Dans un article d’Orient XXI, Jean-Pierre Séréni analyse les causes et les limites des légers éclaircissements de la conjoncture économique égyptienne après quatre années difficiles
Quatre ans après la chute de Hosni Moubarak, l’économie égyptienne retrouve quelques couleurs. En mission dans le pays en novembre 2014 (1), une délégation d’experts du Fonds monétaire international (FMI) s’est réjouie que « la reprise de l’économie ait débuté après quatre années au ralenti ». Dans les couloirs des ministères spécialisés, on évoque à mi-mot les « signes positifs » enregistrés au quatrième trimestre 2014 dans les industries manufacturières, le tourisme et les télécoms. L’agence internationale de notation Fitch entrevoit une amélioration et a réévalué à la hausse la note de l’Égypte (2). On s’attend d’ailleurs dans les milieux financiers internationaux à un retour prochain de l’Égypte, qui devrait emprunter un milliard d’euros à dix ans.
Mais c’est à la Bourse du Caire que le changement est le plus spectaculaire. Après les onze premiers mois de baisse de l’exercice 2014 qui resteront comme l’un des pires souvenirs des boursicoteurs cairotes, son principal indice, EGX30, a grimpé de plus de 21 % depuis décembre 2014. Par exemple, GB Auto, un distributeur de véhicules automobiles qui assemble sur place des modèles étrangers, a grimpé dans la seule journée du 14 janvier de 10 %. La demande était telle que ce chiffre aurait été dépassé si le règlement de la Bourse ne limitait pas à 10 % la hausse journalière d’une valeur mobilière. Les investisseurs étrangers qui avaient disparu sont de retour.
Dégringolade des prix du pétrole
À l’origine de ce « rally » boursier qui dépasse — et de loin — les performances des places de la région, le sentiment qui habite les agents de change est que la baisse des prix du pétrole est positive pour l’Égypte. Elle facilitera la maîtrise du déficit budgétaire, contiendra l’inflation et surtout dégonflera les subventions au secteur de l’énergie. Depuis dix ans, la consommation intérieure augmente plus vite que la production locale. Le pays est importateur net d’hydrocarbures, 100 % du diesel est importé, plus de la moitié des bouteilles de gaz consommées par les ménages le sont également. L’aide directe des monarchies du Golfe s’est, semble-t-il, presque interrompue : à peine 0,66 milliard de livres égyptiennes (LE) au troisième trimestre 2014 contre 37 milliards un an plus tôt. Elle devrait à l’avenir prendre la forme d’investissements directs plutôt que de prêts ou de dons.
Mais plus encore que la chute de l’or noir, c’est la perspective d’une forte dépréciation de la devise égyptienne qui a provoqué la reprise boursière. Depuis la visite des experts du FMI, qui avaient insisté publiquement sur la nécessite de revoir la politique de change, il était de notoriété publique que le gouvernement allait sauter le pas. La livre accrochée au dollar depuis mai 2014 (7,14 LE pour 1 dollar) ne pouvait pas suivre plus longtemps la hausse de la devise américaine contre l’euro (+ 20 %). L’Europe est en effet le principal marché de l’Égypte, qui risquait de perdre ses derniers clients sur le Vieux continent.
Tout au long de ces derniers mois, cette surévaluation de la livre a coûté cher. La Banque centrale d’Égypte (BCE) a gaspillé des milliards de dollars à défendre une parité intenable et a fini l’année 2014 avec des réserves officielles de change de 15,3 milliards de dollars. Depuis 2011, plus de 20 milliards de dollars ont été dépensés pour défendre en vain la monnaie (3). L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Koweït, ses principaux soutiens, sont moins compréhensifs que par le passé : le retour des Frères musulmans au pouvoir n’est plus une menace, les élections législatives du 15 mars n’auront rien d’un scrutin libre et la crise pétrolière n’épargne personne.
L’économie a également souffert de cette devise survitaminée. Au troisième trimestre 2014, le déficit commercial a augmenté de 30 %, les importations non pétrolières de 15 % mais les exportations, handicapées par la surévaluation de la livre, ont stagné. Le 18 janvier, à la veille du voyage du président Abdel Fattah Al-Sissi au Forum économique mondial de Davos où se trouvaient réunis un grand nombre d’investisseurs internationaux, la BCE cédait aux enchères 38 millions de dollars à 7,19 LE pour un dollar. Un semaine plus tard, on en était à 7,49, soit une baisse de 5 %.
Jusqu’où ira la correction ? L’objectif officiel serait de faire disparaître le marché noir des devises, très actif, qui cote le dollar à 8 Le baril; l’écart entre les deux marchés, l’officiel et le parallèle qui a atteint jusqu’à 80 %, serait ainsi ramené à zéro à la fin de l’année 2015.
Attirer les investisseurs
Avec un taux de change plus réaliste disparaît un important obstacle au grand dessein du nouveau régime centré autour du canal de Suez. Il y a en réalité deux projets. Le premier, le Suez Canal Axis Project, porte sur l’élargissement de la voie d’eau. Son financement (60 milliards de LE) est exclusivement assuré par les citoyens égyptiens qui ont été fortement incités à souscrire des obligations censées rapporter 12 % par an d’intérêt. Les travaux sont assurés par le corps du Génie de l’armée égyptienne.
Le second projet, le Suez Canal Development Project, prévoit l’implantation de nouvelles activités dans six ports du canal et dans le nord-ouest du golfe de Suez, d’une Technology Valley à Ismaïlia. Les études ont été confiées à un consultant libano-égyptien, Dar Al-Handasah qui doit rendre son rapport en mars prochain. Il devrait servir de produit d’appel à la grande conférence internationale qui doit également se tenir en mars et où sont invités les grands investisseurs locaux, régionaux et internationaux. Une vingtaine de projets y seront présentés et on en attend 10 à 12 milliards d’investissements qui devraient servir de locomotive pour atteindre le taux de croissance de 7 % par an (contre 2 % environ actuellement) promis à Davos par le président Al-Sissi.
À coup sûr, les invités viendront. Mais investiront-ils ? C’est la grande question. Une fois levé l’obstacle du taux de change, il en reste d’autres qui ne sont pas tous économiques et qui freinent le retour de la confiance, pourtant indispensable pour réduire un taux de chômage grimpé à 13 % de la population active (contre 8,9 % il y a quatre ans).
L’insécurité reste à un niveau élevé, y compris dans des zones proches du canal comme le Nord Sinaï où 27 militaires et policiers ont encore été tués le 27 janvier et dissuade de nombreux investisseurs et touristes, même si on a constaté un retour de ces derniers l’été dernier (+ 70 % selon la Banque mondiale).
Ce que les experts appellent pudiquement le « climat des affaires », et qui va de la bureaucratie à la corruption et à l’absence d’un État de droit, reste mauvais en Égypte. Le président l’a reconnu sans ambages à Davos et il a promis d’en faire « sa » grande réforme, avec la révision constitutionnelle et l’aggiornamento religieux. Il n’est pas le premier à le promettre mais l’expérience l’a montré par le passé : les résistances sont fortes et restent un obstacle sérieux à l’arrivée de nouveaux venus.
(1) « The economy has begun to recover after four years of slow activity », IMF Staff Concludes 2014, Article IV Mission to Egypt, revue de presse n° 14/538, 25 novembre 2014.
(2) « Fitch Upgrades Egypt to ’B’; Outlook Stable, Fitch ratings », Reuters, 19 décembre 2014.
(3) MENA Quarterly Economic Brief, Banque mondiale