S’émanciper de l’influence des puissances occidentales et constituer une nouvelle force économique et géopolitique. Tel est le souhait qu’ont exprimé les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), lors de leur 15e sommet qui s’est tenu à Johannesburg, en Afrique du Sud, du 22 au 24 août 2023. C’est aussi ce qui ressort lors du G77 qui s’est achevé le 16 septembre à la Havane.
Un papier du site « The Conversation »
- Mary-Françoise Renard Professeur d’économie, Université Clermont Auvergne (UCA)
Il ne s’agit pas de rompre avec ces puissances, mais de s’affirmer face à elles. Ces États, à l’instar d’autres pays émergents, considèrent qu’ils subissent les effets négatifs du développement des économies avancées, par exemple en matière environnementale, tout en devant en payer le prix. Ils souhaitent donc limiter leur dépendance et accroitre leur pouvoir de décision.
On retrouve parmi les BRICS des situations très diverses. Le principal point commun à ces pays est d’être des économies émergeant grâce à une forte croissance, représentant des marchés attractifs pour les investisseurs internationaux, et n’appartenant plus au groupe des pays en développement sans être entrées dans celui des pays développés.
Le sommet de Johannesburg s’est conclu par l’adhésion de 6 nouveaux pays à partir de 2024 : l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie, et l’Iran. Les candidats étaient nombreux et un futur élargissement est probable. Ce sommet très médiatisé fut un succès, notamment pour la Chine, très favorable à de nouvelles adhésions, celles-ci concernant des pays avec lesquelles elle entretient de solides relations.
Quelles sont les raisons de cette évolution ? Et quelles peuvent en être les conséquences ?
Peser sur la gouvernance mondiale
Deux jours avant le sommet, le président sud-africain a affirmé sa volonté de non-alignement sur les grandes puissances. Il a ainsi confirmé la position de nombreux pays refusant de condamner l’agression russe en Ukraine afin de ne pas suivre la volonté de l’Europe et des États-Unis.
Ce sommet a donc été l’occasion de rappeler l’ambition de nombreux États du sud de reconfigurer leur rôle dans la gouvernance mondiale. Cela fait plusieurs années que les BRICS souhaitent accroitre leur poids au sein des institutions internationales, particulièrement le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Ce vœu avait particulièrement été exprimé lors du premier G20 en 2008.
Ces demandes répétées ont fait l’objet d’un vote de principe en 2012 au FMI et une modification de ce que l’on appelle les « quotes-parts » en 2015. La quote-part d’un pays détermine le montant maximal de ressources financières qu’il s’engage à fournir au FMI ainsi que le montant maximal de prêt qu’il pourra en obtenir. Surtout, en matière de gouvernance, elle représente le pouvoir de vote dans les décisions de cette instance mondiale. Ces quotes-parts sont révisées au moins tous les 5 ans par le Conseil des gouverneurs.
Or, malgré de profonds changements dans l’économie mondiale, les économies développées continuent d’être très majoritaires dans ce pouvoir de décision. La 15ᵉ révision présentée en 2020 n’a donné lieu à aucune modification des quotas, exacerbant le mécontentement des pays émergents : les BRICS restent en position de faiblesse par rapport aux économies avancées. Plusieurs modifications ont été proposées notamment dans la méthode de calcul, sans résultat jusqu’à maintenant. Cette méthode tient pour l’heure compte, par ordre d’importance, du PIB, du degré d’ouverture de l’économie, de sa stabilité et des réserves en or et en devises du pays.
Une 16e révision générale des quotes-parts est en cours et devrait être achevée d’ici mi-décembre 2023. En attendant, face à ce qu’elle considère comme une sous-estimation de son rôle dans l’économie mondiale, la Chine, en lançant l’initiative « Une ceinture, une route » (généralement appelée projet des routes de la soie), veut permettre la création d’institutions considérées comme des alternatives au FMI et à la Banque mondiale. La Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures créée en 2013 et la Nouvelle banque de développement, appelée parfois banque des BRICS, en 2015, ont leurs sièges respectifs à Pékin et Shanghai.
La Chine détient 26 % des droits de vote dans la première, contre 16 % pour la zone euro, et accroit ainsi son rôle dans la gouvernance mondiale. L’ouverture de la seconde à de nouveaux pays comme l’Arabie saoudite va renforcer ses capacités financières tout en permettant à ce pays de diversifier ses placements. Elle n’est pas une alternative au FMI ou à la Banque mondiale mais elle renforce le pouvoir de négociation des BRICS.
Internationaliser le Yuan
Outre les instances internationales, c’est également via le marché des devises que les BRICS tentent d’acquérir un poids nouveau. Brièvement évoquée par le président du Brésil, l’existence d’une monnaie commune à ces États n’a pas été retenue et semble très peu probable compte tenu de leur hétérogénéité. Celle-ci devient en outre encore plus grande avec l’élargissement du groupe.
Le caractère international d’une monnaie s’apprécie par son utilisation en dehors de son territoire national, pour les échanges commerciaux et financiers, comme réserve de change et sur le marché des changes. Elle est un vecteur de confiance dans les transactions internationales. Depuis la création de l’euro en 1999, la part du dollar dans les réserves des banques centrales est passée de 71 % à 54,7 % en 2023, celle de l’euro étant de 18,3 % et celle du Yuan de 2,39 %. La baisse du poids du dollar est donc réelle, mais cette monnaie continue néanmoins à dominer très largement les autres, le Yuan (ou Renminbi) occupant le 7e rang.
C’est la Chine qui semble la plus à même de proposer une alternative et de permettre à certains pays de se soustraire à la domination du dollar. Le contexte y semble propice pour plusieurs raisons.
En faisant usage du pouvoir d’extraterritorialité de leur loi, permise par le statut de monnaie internationale du dollar, pour pénaliser notamment des entreprises étrangères, les États-Unis ont en quelque sorte rompu le pacte implicite qui les liait au reste du monde. En sanctionnant les pays commerçant avec ses adversaires, Washington a généré une grande inquiétude dans de nombreux pays réticents à s’aligner sur les positions américaines. D’ailleurs, à partir de 2014, début des sanctions occidentales contre la Russie, même les entreprises françaises ont diminué leur usage du dollar.
Alors que le gel des avoirs de la Russie et son exclusion du système de paiements internationaux Swift à la suite de l’invasion de l’Ukraine a été très mal perçu par nombre de pays du sud, la Russie s’est par ailleurs tournée vers le système alternatif mis en place en 2015 par la Chine, nommé CIPS pour « China International Payment System ».
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L’internationalisation du Yuan progresse donc, assez lentement, mais son utilisation par les pays émergents et en développement est croissante. Il a été intégré aux Droits de tirage spéciaux du FMI en 2016. La banque centrale chinoise multiplie les accords de swaps qui facilitent les échanges de devises, et les prêts aux pays intégrés au projet des routes de la soie se poursuivent.
Le dollar, toujours monnaie de référence
En juillet 2023, le yuan ne représentait que 3,06 % des paiements en devise contre 46,46 % pour le dollar et 24,42 % pour l’euro, ce qui le place au 5ᵉ rang. La taille du pays, son poids dans l’économie mondiale et particulièrement dans le commerce international pourrait soutenir la position du Yuan comme monnaie internationale.
Si l’on observe une diversification dans l’utilisation des monnaies, l’évolution la plus probable est une poursuite de ce mouvement, avec une régionalisation permettant l’usage de monnaies locales et la poursuite d’un processus d’internationalisation du Yuan, mais le dollar restant la monnaie internationale de référence. L’inconvertibilité du Yuan, le contrôle des capitaux et la taille insuffisante des marchés de capitaux de la Chine l’empêchent en effet encore de faire de sa monnaie une alternative au dollar. Celui-ci garde un rôle central dans le système monétaire international en raison du poids politique, militaire et économique des États-Unis qui, eux, présentent les garanties permettant d’avoir une monnaie internationale : un système financier de grande taille, une gouvernance de celui-ci transparente et fondée sur des règles et une faible distinction entre résidents nationaux et étrangers.
L’hétérogénéité des BRICS, la divergence de leurs intérêts rend difficile la coordination de leurs politiques. Comme ils ne souhaitent pas une rupture avec les États-Unis et l’Europe, ces rapprochements peuvent néanmoins leur permettre d’accroitre leur pouvoir de négociation et de peser sur la gouvernance mondiale sur les sujets fondamentaux que sont la lutte contre la pauvreté ou la soutenabilité environnementale du développement.