La grogne contre la dévaluation du franc CFA monte dans les six pays de la CEMAC (Afrique Centrale) qui se sont réunis lors d’un sommet extraordinaire au Tchad le 25 octobre dernier.
Le feu couve dans les relations diplomatiques entre Paris et plusieurs capitales africaines. Le 25 octobre dernier, les chefs d’Etats et représentants des gouvernements des six pays* de la CEMAC ( Cameroun, Congo, Tchad, Guinée Equatoriale, Gabon, Centrafrique) se sont réunis à N’Djaména, au Tchad, lors d’un sommet extraordinaire. Au programme de cette réunion qui s’est tenue à huis clos: le franc CFA. En effet, le FMI et la France plaident depuis plus d’un an pour une dévaluation de cette monnaie commune créée en 1958. Et exercent de fortes pressions sur la CEMAC dont les économies sont en berne à cause de la baisse des cours du pétrole. L’année dernière, la patronne du FMI, Christine Lagarde, avait même usé d’un franc-parler déconcertant face aux chefs d’Etat d’Afrique Centrale : « Vos perspectives sont mauvaises, la zone CEMAC se dirige vers une crise encore plus sérieuse, il faut songer à dévaluer ».
Diviser pour régner
Ces menaces passent très mal auprès de la CEMAC dont les opinions publiques sont vent debout contre le franc CFA, assimilé à une monnaie coloniale. Premier objet de colère : si elle devait avoir lieu, cette dévaluation ne concernerait que la CEMAC et non l’UEMOA voisine (Union économique et monétaire ouest-africaine) qui se porte mieux.
En Afrique Centrale, on n’est pas loin d’accuser Paris de vouloir diviser pour mieux régner sur ses anciennes colonies alors que c’est le principe de solidarité qui devrait -estime-t-on – primer dans toute la zone CFA. Déjà en 2017, le Président Idriss Déby du Tchad s’en était offusqué sur les ondes de RFI et de TV5 Monde : « le seul intérêt du franc CFA, c’est d’avoir 14 pays avec une monnaie commune ».
Le retour de la croissance
Autre point d’achoppement : la situation économique réelle de la CEMAC. Alors que la zone a connu une récession en 2016 et une stabilisation en 2017, elle semble reprendre des couleurs en 2018. Ainsi, selon les prévisions de la BEAC (Banque des Etats de l’Afrique centrale) en date du 1er novembre 2018, la croissance réelle du PIB des pays de la CEMAC devrait atteindre 1,7% contre 0,2% l’an passé. La raison de cette embellie selon cette institution qui fait office de banque centrale régionale ? « La remontée des cours et de la production du pétrole brut, l’accélération de la mise en œuvre des réformes économiques, monétaires et financières prévues dans le Plan de réformes et les programmes conclus avec le Fonds monétaire international (FMI). » Autant d’arguments qui sont sensés éloigner le spectre d’une dévaluation estime-t-on dans les couloirs de la BEAC et dans la totalité des palais présidentiels d’Afrique centrale.
Voilà pour le contexte dans lequel le sommet de N’Djaména s’est tenu. Mais pour comprendre ce qui s’y est réellement passé, il faut commencer par décrypter le texte final de la résolution adoptée le 25 octobre. Aucune mention n’est faite à une dévaluation du franc CFA alors qu’elle était dans tous les esprits !
En réalité, cette dernière a été unanimement rejetée par les six pays présents après toutefois quelques égarements qui ont fait craindre des divisions. Ainsi, un ministre des Finances africain s’est-il montré trop favorable aux arguments de Paris au point que les représentants des autres pays ont dû téléphoner au chef de l’Etat en question pour s’assurer qu’il s’opposait bien à une dévaluation.
Au final, tout au plus les pays de la CEMAC concèdent-ils que « les Etats membres réaffirment l’urgence à mettre en œuvre toutes les mesures contenues dans les programmes économiques conclus avec le Fonds Monétaire International (FMI) » en 2016, à Yaoundé.
Là encore l’unité politique de la CEMAC aura tenu bon face au FMI et à Paris car dans les faits, deux pays de la zone n’ont pas conclu d’accords d’ajustements structurels avec le FMI. Il s’agit de la Guinée Equatoriale et du Congo. Des discussions sont toutefois en cours.
A Malabo, capitale de la Guinée Equatoriale, on fait savoir que le pays a déjà un programme avec le FMI mais que celui-ci concerne une assistance technique pour former les personnels ministériels en charge de la gestion économique et financière du pays. Mais aussi que la Guinée Equatoriale n’a que peu ou prou de dette extérieure et n’accepte pas qu’on la force à avoir recours au FMI.
Incompréhensions entre le Congo et le FMI
La situation de la République du Congo, lourdement endettée, est, elle, moins favorable. Après avoir tenté pendant de longs mois de contourner le FMI, le Président Sassou NGuesso a fini, en septembre 2017, par demander son assistance. Il faut dire qu’il avait été révélé que l’entreprise publique SNPC (Société Nationale des Pétroles Congolais), avait contracté de la dette en échange de futures ventes sur des hydrocarbures… pas encore extraits.
Mais là encore les négociations entre le Congo et le FMI patinent comme l’illustre cette déclaration du Premier ministre congolais d’août 2018 : « avec le Fonds monétaire international, le processus traîne parce qu’il s’agit d’un programme délicat, concernant les gros sous. Nous devons le faire avec responsabilité. Je tiens à vous informer que dans le cadre de ce programme, le gouvernement vient de signer la lettre d’intention ».
Si l’unité des points de vue au sein de la CEMAC a résisté aux pressions conjointes de Paris et du FMI, c’est que tous les participants au sommet de N’Djaména se sont accordés pour dénoncer une hérésie du franc CFA : le compte d’opérations.
Il faut savoir qu’en contrepartie du fait que le Trésor public français garantisse la convertibilité illimitée du franc CFA, les pays africains sont tenus de déposer 50 % de leurs réserves de change sur un compte dit d’opérations géré par le seul Trésor Public français. Autrement dit, ce sont 50 % des réserves de changes qui ne peuvent pas être utilisées par leurs propriétaires – les pays africains – pour se développer ! A la place, ces derniers sont contraints d’emprunter à des taux onéreux … ou de recourir au FMI.
Trois chefs d’Etat contre le franc CFA
Tous les pays présents à N’Djaména, emmenés par les Présidents Idriss Déby, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo et Denis Sassous Nguesso, ont exigé de faire le point sur ce compte très décrié. Et de le faire auditer !
Rien de surprenant tant ces trois chefs d’Etats se distinguent par leurs positions critiques envers le franc CFA. Le plus virulent est incontestablement Idriss Déby. En 2015, à la stupeur de beaucoup à Paris, il avait choisi de s’en prendre à cette monnaie lors des célébrations du 55è anniversaire de l’Indépendance du Tchad.
Dans un discours lourd de sens, il avait déclaré :« Il y a aujourd’hui le FCFA qui est garanti par le Trésor français. Mais cette monnaie, elle est africaine. C’est notre monnaie à nous. Il faut maintenant que réellement dans les faits cette monnaie soit la nôtre pour que nous puissions, le moment venu, faire de cette monnaie une monnaie convertible et une monnaie qui permet à tous ces pays qui utilisent encore le FCFA de se développer. » Avant de poursuivre dans une tirade dont il a le secret : « On n’a pas besoin de chercher de midi à 14 heures. Nous allons continuer à cœur l’amitié avec la France. Mais il faudra avoir le courage de dire que le moment est venu de couper un cordon qui empêche l’Afrique de décoller ».
A l’époque, les hauts fonctionnaires de Bercy avaient peu goûté ces attaques mais les avaient mises sur le dos d’une énième rodomontade du président tchadien. Avec du recul, ce dernier a bel et bien ouvert une brèche et ne prêche plus seul.
Partisan maintenant convaincu de la nécessité d’une souveraineté monétaire pour l’Afrique, le président équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, n’est pas en reste et était peut-être même le chef d’Etat le plus remonté à N’Djaména. Au cours de ces derniers mois, son pays a vu plusieurs de ses transferts financiers internationaux bloqués du fait que ses avoirs extérieurs étaient descendus en dessous de la barre fatidique des 50%.
A Malabo, on se souvient avec acuité que la Guinée Equatoriale n’a rejoint le franc CFA qu’en 1985 et que jusqu’à cette date, le pays possédait sa propre monnaie, l’Ekuele. Renouer avec une monnaie propre ne serait donc pas un drame. « Nous sommes entrés librement dans le franc CFA. Nous pouvons en sortir tout aussi librement » est une phrase que l’on entend beaucoup ces derniers jours.
L’insolente santé économique de pays tels que le Rwanda (8,4% de croissance annuelle moyenne ces 5 dernières années) ou l’Ethiopie (10,6% de croissance en moyenne depuis 10 ans) qui possèdent leurs propres monnaies plaide en faveur d’une pleine souveraineté monétaire, argue-t-on.
Quand au Congo de Denis Sassou NGuesso, il a opté pour le contournement plutôt que l’affrontement avec la France. Acculé par sa montagne de dettes, le pays a choisi de passer outre le diktat du compte d’opérations en plaçant d’importantes réserves de change dans des banques chinoises. Et de contourner les prêts du FMI en empruntant directement auprès de Pékin. Une situation qui aurait d’ailleurs causé, lors du sommet de N’Djaména, une prise de bec entre un représentant de l’Etat français et le président congolais qui n’entend pas révéler le montant des réserves de son pays mises à l’abri dans l’Empire du Milieu.
La France respecte-t-elle les conventions régissant le franc CFA ?
Le sommet de N’Djaména aura aussi été l’occasion de s’interroger sur le respect par la France des textes des différentes conventions régissant le fonctionnement du franc CFA. Ainsi a-t-on pu entendre que la Convention signée en 1972 prévoyait que se soit un simple compte séquestre des avoirs extérieurs des pays de la CEMAC qui soit ouvert auprès du Trésor public français.
Mais que dans les faits, c’est un compte courant qui a été ouvert et qui donne de facto mandat à la France pour gérer et utiliser comme bon lui semble les avoirs extérieurs des pays de la CEMAC. D’où la volonté de faire auditer ce fameux compte d’opérations qui, rappelons-le, gèle 50% des avoirs extérieurs d’Afrique Centrale. Ce qui pourrait effectivement réserver quelques surprises…
* La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) regroupe les six pays suivants : Cameroun, Centrafrique, République du Congo, Gabon, Guinée Equatoriale et Tchad.