Le Nigérian Akinwumi Adesina s’est finalement imposé à la tête de la BAD aux dépends des candidats francophones dont le tchadien que la France n’a pas soutenu malgré ses promesses
C’est finalement le Nigérian Akinwumi Adesina, 55 ans, qui prêtera serment le premier septembre prochain comme huitième président de la Banque africaine de développement (BAD). Pourtant, il n’y pas si longtemps, cet agroéconomiste, formé aux Etats-Unis, était au mieux considéré comme un bon outsider. Depuis la création de l’institution financière africaine en 1964, jamais le Nigeria n’avait réussi à faire élire un de ses ressortissants à sa présidence.
La surprise Adesina
Pour les sceptiques, la candidature de M. Adesina avait d’autres handicaps. Après le Rwandais Donald Kaberuba, un parfait anglophone formé à Glasglow au Royaume-Uni, la règle non écrite favorisait plutôt un président francophone. Comme dans d’autres institutions multilatérales, la logique non écrite de l’alternance géographique voulait justement que l’Afrique de l’Ouest attende son tour après le passage pas si éloigné à la tête de la première banque africaine de financement du développement du Sénégalais Babacar NDiaye (1985-1995). En obtenant le 28 mai 58,1% des suffrages exprimés par 54 pays africains et 26 non africains, Akinwumi Adesina a déjoué les pronostics et permis à la première puissance économique africaine (500 milliards de dollars de PIB) de mettre la main sur la première institution financière du continent. Pour y arriver l’ancien étudiant de l’université de Purdue, aux Etats-Unis, issu d’une famille très pauvre du Sud du Nigeria, a dû capitaliser sur l’alternance démocratique que son pays a réussi le 31 mars dernier avec l’élection de l’opposant Muhamadu Buhari.
Pour les actionnaires non-Africains de la BAD, la succession du président Goodluck Jonathan à la suite d’un scrutin transparent et libre réconcilie leurs intérêts économiques (le Nigeria est un marché de 170 millions d’habitants) et la défense des valeurs démocratiques. Ils peuvent dès lors apporter leur voix au candidat nigérian sans avoir à le cacher. C’est d’ailleurs les voix des non-Africains qui ont permis à Adesina de distancer très largement le candidat tchadien Kordjé Bedoumra arrivé deuxième avec 31,62%. Le nouveau président de la BAD a également su compter sur la solidarité linguistique. Après l’élimination du Zimbabwéen Thomas Salaka au 5 ème tour, la Communauté des Etats d’Afrique australe (SADC) a reporté ses voix sur Akinwumi Adesina. Celui-ci a d’ailleurs bénéficié de l’affaiblissement du bloc francophone dont les voix se sont dispersées entre le Tunisien Jalloul Ayed, le Tchadien Bedoumra et le Malien Birima Sidibé.
Le Tchad « trahi » par la France
Surfant sur son engagement dans la lutte anti-terroriste dans la bande sahélo-saharienne, N’Djamena était persuadé de l’appui total de la France à son candidat. L’assurance tchadienne est même montée d’un cran après l’entretien le 14 mai dernier à l’Elysée, à Paris, entre les présidents François Hollande et Idriss Deby. Lorsqu’ils découvrent le jour de l’élection que la France n’a voté à aucun des six tours pour leur candidat, les Tchadiens s’effondrent et crient à « la trahison ». Piquée au vif, la Vice-gouverneur du Tchad à la BAD, Mariam Maman Nour, interpelle le Gouverneur français François Kruger sur le ralliement de la France au Nigeria qui se défend en affirmant avoir strictement suivi les ordres venus de l’Elysée et du ministère des Finances. Une tentative de justification qui n’a pas apaisé la colère de la délégation tchadienne qui a dû repartir d’Abidjan dès le vendredi 29 mai d’Abidjan, à bord d’un avion spécial sur ordre du président Idriss Deby.
La vérité, c’est que dès le départ la France a fait le choix de ses intérêts économiques énormes au Nigeria plutôt que de verser à N’Djamena des dividendes de son engagement dans la lutte contre le terrorisme. Le problème n’est pas que la France ait pris cette option, mais qu’elle ait entretenu l’ambiguïté sur son vote au point de laisser croire aux Tchadiens que leur candidat bénéficie de son soutien total. Même si rien n’est pour l’instant décidé, le président tchadien, que l’on sait très proche du ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian et de ses militaires, entend donner une suite « à la trahison française ».
Les résultats de l’élection à la présidence de la BAD, tour par tour :
Premier tour
Nigeria total 25,98 Régional vote 21,34
Cap vert total 24,52 Régional vote 3,39
Zimbabwe total 13,60 Régional vote 22,77
Tchad total 11,06 Régional vote 18,51
Tunisie total 10,96 Régional vote 17,23
Mali total 9,55 Régional vote 11,76
Ethiopie total 3,88 Régional vote 4,23
Sierra Leone total 0,45 Régional vote 1,00
Deuxième tour
Nigeria total 26,18 Régional vote 21,68
Cap vert total 21,98 Régional vote 6,04
Zimbabwe total 13,60 Régional vote 22,77
Tunisie total 15,07 Régional vote 17,23
Tchad total 9,98 Régional vote 16,72
Mali total 9,66 Régional vote 11,94
Ethiopie total 3,52 Régional vote 3,62
Troisième tour
Nigeria total 32,06 Régional vote 22,36
Cap vert total 19,21 Régional vote 4,21
Zimbabwe total 13,60 Régional vote 22,77
Tunisie total 12,21 Régional vote 17,23
Tchad total 11,71 Régional vote 19,61
Mali total 9,19 Régional vote 11,15
Quatrième tour
Nigeria total 35,54 Régional vote 28,19
Cap vert total 18,66 Régional vote 3,29
Tchad total 17,86 Régional vote 25,85
Zimbabwe total 15,19 Régional vote 25,43
Tunisie total 12,75 Régional vote 17,23
Cinquième tour
Nigeria total 40,22 Régional vote 34,03 Tchad total 25,32 Régional vote 38,01 Cap vert total 19,27 Régional vote 2,53 Zimbabwe total 15,19 Régional vote 25,43
Sixième tour
Nigeria total 58,10 Régional vote 60,50 Tchad total 31,62 Régional vote 36,63 Cap vert total 10,27 Régional vote 2,87