Rencontré à la veille de la grande conférence annuelle du pétrole et du gaz qui a eu lieu du 9 au 12 novembre à Abu Dhabi, Francis Perrin, président de Stratégies et politiques énergétiques, explique les conséquences de la chute du prix du pétrole sur les pays africains.
Mondafrique. Pourquoi n’y a-t-il pas eu beaucoup de sociétés africaines présentes au forum ADIPEC ?
F. P. Il faut garder à l’esprit que dans l’industrie pétrolière et gazière, un grand nombre de conférences et d’ expositions comme ici à Abu Dhabi mais aussi en Afrique, en Europe, à Houston aux Etats-Unis ont lieu chaque année. Les compagnies pétrolières choisissent celles qui les intéressent le plus. Elles ne peuvent pas être partout.
Du point de vue des compagnies africaines, à part quelques exceptions que nous évoquerons, ADIPEC n’est pas considéré aujourd’hui comme l’évènement le plus intéressant parce qu’il porte d’abord sur le Moyen-Orient et concerne des industries très mondialisées. Les compagnies africaines préfèrent privilégier des conférences et/ou des expositions qui sont centrées sur l’Afrique ou sur une partie du continent africain.
Cela dit, je suis persuadé qu’il y a un gros potentiel de développement des relations énergétiques entre l’Afrique et le Moyen-Orient. ADIPEC pourrait être un bon rendez-vous.
Mondafrique. Est-ce le développement de ce secteur qui vous a conduit à créer une publication spéciale dédiée au pétrole et au gaz en Afrique ?
F. P. Avec l’agence Ecofin basée à Genève et qui travaille sur l’Afrique depuis plusieurs années, je viens de créer une publication bihebdomadaire sur le pétrole et le gaz en Afrique intitulée « OAG Africa » (Oil and Gas Africa) qui vise essentiellement un lectorat professionnel. Nous sommes persuadés que le potentiel de l’Afrique en matière pétrolière et gazière est très important et qu’il est sous exploré, sous exploité. Dans les années à venir, de nouvelles réserves devraient être découvertes. Plusieurs pays africains vont devenir des producteurs et exportateurs d’hydrocarbures comme l’Ouganda, le Kenya, le Mozambique, la Tanzanie. Le moment est venu, malgré la chute du prix du pétrole, de lancer une publication pour informer de façon professionnelle, avec des analyses et des informations spécialisées sur ce secteur.
Mondafrique. Aujourd’hui, le prix du pétrole est en chute libre. Va-t-il rester à ce niveau ou remonter en 2016 comme l’ont annoncé plusieurs spécialistes ?
F. P. Le prix du pétrole a toujours été marqué par des fluctuations à la baisse et à la hausse. Depuis les années 1970, c’est même la quatrième fois. Mais à mon avis, les prix ne devraient remonter que très sensiblement à la fin de cette année 2015 et sans doute pas en 2016 parce que l’OPEP n’est pas unanime sur ce qu’il faut faire. Certains pays veulent baisser la production de l’organisation pour faire remonter le cours du pétrole le plus rapidement possible, d’autres disent qu’il faut attendre. L’OPEP se réunit la prochaine fois début décembre à Genève et il est très probable qu’aucune décision ne sera prise. Par ailleurs, l’Iran devrait obtenir, dans les premiers mois de 2016, la levée des sanctions économiques occidentales qui le frappe. Téhéran a d’ores et déjà annoncé vouloir produire plus de pétrole pour retrouver ses parts de marché antérieur.
C’est sans doute à partir de 2017 que les prix pourraient commencer à remonter, sachant que la tendance actuelle génère certains effets d’équilibrage du marché. Des prix bas incitent en effet le consommateur à consommer plus du pétrole parce que c’est plus intéressant.
Sur la base des éléments que nous avons, aujourd’hui la hausse du prix nous semble improbable à moins que l’OPEP change sa stratégie ou qu’une crise politique grave freine la production et les exportations de ce pays.
Quelle est aujourd’hui la position des pays africains membres de l’OPEP ?
F. P. Parmi les douze Etats membres de l’OPEP, quatre sont africains : l’Algérie, la Libye, l’Angola et le Nigeria. Ces quatre pays sont durement affectés par la chute du prix à cause de leur forte dépendance aux revenus pétroliers. Ils souhaitent clairement que l’OPEP réduise sa production pour inverser la tendance. Ceux qui ne veulent pas que l’organisation réduise sa production sont essentiellement les pays du Golfe : Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Koweït, Qatar. Ils demandent d’abord à ce que les pays qui ne sont pas membres de l’OPEP réduisent aussi leur production.
Mondafrique. Les pays africains doivent-ils s’inquiéter de la chute du prix du pétrole ?
F. P. Pour l’Algérie, par exemple, la vente du pétrole et du gaz représente actuellement 96% des revenus d’exportation. On a une proportion à peu près similaire pour la Libye et également très élevée pour le Nigeria et l’Angola. Pour ces pays la chute du prix du pétrole est incontestablement inquiétante. Mais certains ont accumulé des réserves financières et budgétaires importantes quand le cours du pétrole était élevé, c’est-à-dire entre 2011 et 2014 avec une moyenne de 100 à 120 dollars/baril. Pendant cette période, plusieurs pays africains ont pu gonfler les réserves de change de leur banque centrale et doter leur fonds souverains de réserves monétaires importantes. Ceux-là peuvent se permettre, même si cela est très dur, de puiser dans leurs réserves et ne sont pas immédiatement pris à la gorge.
C’est le cas de l’Algérie dont la banque centrale avait constitué des réserves de change très importantes. Bien sûr, ces réserves sont actuellement en train de baisser et même rapidement mais l’Algérie reste par exemple en mesure de financer ses importations. Par contre, si le prix du pétrole demeure bas pendant plusieurs années, la situation pourrait devenir catastrophique.
Concernant l’Afrique dans son ensemble, une majorité de pays ne sont ni producteurs, ni exportateurs mais plutôt importateurs et consommateurs ! Pour ces derniers, la chute des prix est plutôt une bonne nouvelle puisque le poids de leur facture énergétique diminue de façon très importante. Il faut donc nuancer le bilan de l’impact de la chute du prix du pétrole sur l’Afrique. La situation de chaque pays est très différente. Seule une quinzaine de pays produisent du pétrole sur le continent soit moins du tiers de l’ensemble des Etats. Cela signifie que paradoxalement, pour la grande majorité d’entre eux, la chute des prix est plutôt quelque chose de positif.
Mondafrique. Que représente la production pétrolière africaine au niveau mondial ?
F.P. L’Afrique ne représente qu’une part assez faible de la production et des réserves en hydrocarbures. En terme de production on est à moins de 10%. L’Afrique du nord et l’Afrique de l’ouest avec le golfe de Guinée constituent deux pôles essentiels de production depuis de nombreuses années.
Mais je suis convaincu le continent reste sous exploré. Or, la situation actuelle des prix du pétrole ne pousse pas à entamer des recherches. L’un des défis pour les pays africains sera de trouver les modalités et les incitations pour faire en sorte que l’industrie pétrolière continue à mener des explorations sur le continent.
N’oublions pas que plusieurs pays africains vont devenir dans les prochaines années des producteurs : l’Ouganda, le Kenya pour le pétrole, la Tanzanie et le Mozambique pour le gaz naturel. Il y a une dynamique. L’Afrique de l’est, où de nombreuses ressources ont été découvertes, pourrait devenir dans les années à venir le nouvel Eldorado pétrolier et gazier du continent.
Propos recueillis par Brahim Moussa