Nos amis du site « Algériepart » ont mené leur enquête sur les déboires de l’autoroute Est Ouest pour découvrir comment l’Etat algérien a perdu étrangement 4 milliards de dollars.
Il faut savoir que le budget de l’autoroute est-ouest était prévu initialement à 11 milliards de dollars. Au bout de quelques années, la facture de cette autoroute a atteint les 17 milliards dollars. Une facture salée et pas encore définitive puisque cette infrastructure n’étant pas encore entièrement livrée. Le ministre des Travaux publics, Abdelghani Zaalane, a annoncé au mois de septembre dernier que les travaux destinés à achever le dernier tronçon de l’autoroute Est-Ouest devant relier l’Algérie à la Tunisie seront relancées avant la fin de cette année.
Dix sept milliards de dollars pour une simple autoroute ? Comment est-ce possible ? Les investigations d’Algériepart ont permis de découvrir les combines douteuses qui ont fait perdre, au moins, quatre milliards de dollars à l’Etat algérien dans ce méga-projet. Comment la corruption a-t-elle été orchestrée autour de ce projet ? Le procès expéditif qui s’est tenu au début du mois de mai dernier au tribunal criminel d’Alger, n’a apporté aucune réponse à cette interrogation. Pis encore, les Algériens ont assisté à des échanges d’accusations gravissimes. Mais ni les accusés, ni les avocats, ni le parquet n’a pu expliquer comment 17 milliards de dollars ont été dépensés. Avant de parler de corruption, il est, d’abord, primordial de connaître les “brèches contractuelles” ou “les rédactions lacunaires” constatées par de nombreux experts après la conclusion des contrats entre l’Etat algérien et les deux sociétés, chinoise et japonaise, sélectionnées pour la réalisation de l’autoroute.
Ce sont ces brèches et lacunes qui ont permis de contourner la législation pour, ensuite, recourir à des pratiques de corruption.
La première, impressionnante et choquante, a pour nom : “les intérêts moratoires”. Il s’agit plus exactement de fonds destinés à réparer le préjudice causé par le retard dans l’exécution d’un projet. Les usages internationaux les établissent entre 7 et 8 % du coût total du projet. En Algérie, l’Etat s’est retrouvé, dés les premiers mois des travaux qui ont été lancés à partir de septembre 2006, à verser des pénalités conséquentes pour les deux entreprises sélectionnées pour ce méga-projet, à savoir le groupe chinois CITIC-CRCC et le japonais COJAAL, vu que les travaux étaient régulièrement suspendus pour cause “d’expropriation foncière”.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, les autorités algériennes avaient donné le coup d’envoi de ce méga-projet sans avoir bouclé au préalable les “opérations d’expropriation pour cause d’utilité publique” ! Et pourtant, le tracé de l’autoroute Est-Ouest se heurtait, à chaque 50 ou 100 km, à des propriétés privées. Les chantiers s’arrêtaient brutalement, en attendant que les autorités libèrent ces assiettes foncières après indemnisation de leurs propriétaires. Pendant ce temps, l’Etat algérien versait près de 100 000 euros par jour comme “intérêts moratoires” aux Chinois et Japonais. Des sommes considérables ont été perdues de cette façon pour la simple et, surtout, stupide raison que les autorités en charge des expropriations n’avaient pas correctement fait leur travail.
Un amateurisme intriguant. Car comment un Etat se donne-t-il les moyens de se doter d’une infrastructure aussi gigantesque sans veiller à lui trouver, au préalable, les assiettes foncières nécessaires ? Des fonctionnaires de l’Agence nationale des autoroutes (ANA) et des consultants ayant travaillé sur “ce méga-projet” ont fait part de leur étonnement face à cette faille qui a permis de dilapider des milliers d’euros par jour. “Cette faille a-t-elle été sciemment “creusée” pour déguiser les pots-de-vin en pénalités dues aux intérêts moratoires ?”, s’interroge un expert en finances publiques qui a requis l’anonymat. Aujourd’hui encore, aucune instance n’a osé déclencher une enquête à ce sujet et sur les circonstances réelles qui expliquent le ralentissement des expropriations foncières.
Autre “brèches contractuelles” ou “rédactions lacunaires” : “l’importation définitive” avec l’argent du Trésor public d’engins pour les besoins des travaux . Il s’agit d’une lacune extravagante qui a causé une véritable hémorragie financière à l’Algérie. En effet, d’après les normes internationalement admises, lorsqu’un tel projet est lancé, les entreprises sélectionnées ramènent avec elles leur matériel de réalisation et leurs engins. Ils doivent être introduits dans le pays respectif dans le cadre de la procédure de “l’admission temporaire”. C’est-à-dire qu’ils sont admis dans le pays pour être utilisés uniquement durant ce projet et sont, par la suite, réexportés ou réexpédiés vers leur pays d’origine.
Domicile Hong Kong
Cette procédure a été tout simplement bafouée en Algérie ! Les chinois et les Japonais sont venus les mains dans les poches, sans le moindre engin. Il fallait, dans ce contexte, leur débloquer des lignes de crédits en devises pour en importer. Il s’agit d’un nombre incalculable de camions, de pelleteuses, de grues, bulldozers, etc. Et comme par hasard, ce sont des dizaines d’obscurs importateurs qui ont été chargés de cette opération. L’un des plus importants était un habitué du cercle militaire de Beni-Messous. Simple coïncidence ?
Par ailleurs et comble de l’ironie, les engins importés sont tous de marque chinoise. Mieux, les fournisseurs sont presque tous des sociétés offshore domiciliées à Hong Kong, un paradis fiscal où la traçabilité des fonds n’est pas garantie.
Ces importations ont produit un impact important sur la balance de paiement de l’Algérie. Des centaines de millions d’euros ont été dépensées par les banques algériennes dans ces importations avec leur lot de “surfacturations”, nous confirment de nombreuses sources bancaires. Un camion chinois évalué à 5000 euros est facturé par l’importateur à 10 mille euros. Des exemples similaires sont légion et personne n’a à priori eu le moindre soupçon de transferts illicites de devises. Aucune enquête n’a été diligentée. Et à la fin des travaux, ces engins ont été tout simplement jetés après 4 ou 5 ans d’utilisation. Complètement usés, ces engins ne servent plus à rien.
“Intérêts moratoires”, “Importation définitive d’engins de chantier”, la facture de ces deux “erreurs” monumentales s’élèvent à plus de 4 milliards de dollars, a-t-on appris de plusieurs sources bancaires qui ont collaboré à l’obscur dossier de l’autoroute Est-Ouest. Une enquête approfondie pourra aisément mettre de la lumière sur les zones d’ombres qui entourent cette affaire.
Elle doit absolument plancher sur le rôle joué par la commission nationale des marchés relevant du ministère des Finances, qui avait toutes les prérogatives pour débusquer les irrégularités dans les contrats conclus. L’ANA a également campé un rôle suspect dans ce “méga-projet”, car elle aurait pu signaler ces lacunes et les corriger. Amateurisme, complicité ou manœuvres mafieuses ? Quoi qu’il en soit, l’Algérie ne disposait, malheureusement, pas de l’architecture institutionnelle pour mener à bon port un projet d’une telle envergure.