Ancien de la Sonatrach, Hocine Malti a dressé, le 27 aout devant l’université d’ATTAC, un état des lieux critique de l’exploitation de gaz de schiste en Algérie
La situation de l’Algérie est particulière en ce sens que seule l’entreprise nationale des hydrocarbures, Sonatrach a démarré une certaine activité en vue de l’exploitation du gaz de schiste. Pour différentes raisons les compagnies étrangères ne s’y sont pas encore intéressées. Total qui était associé à Sonatrach sur le permis de l’Ahnet dans la région d’In Salah, dit n’y être plus présent; les explications ambiguës qu’il a fournies n’ont cependant pas convaincu.
Etat des lieux
Sonatrach aurait foré à ce jour une dizaine de puits de gaz de schiste, (je dis « aurait » parce que l’omerta la plus totale prévaut dans ce domaine), dont deux sur ce permis. L’exploitation du gaz de schiste a été autorisée par une loi établie en 2012 et entérinée par le Parlement algérien en 2013. Le mouvement de contestation prit forme dès que furent connues, en 2012, les premières dispositions de cette loi et prit de l’ampleur après sa promulgation. C’est à In Salah qu’il a été et qu’il est encore le plus puissant, où a été créé dans le courant de l’année 2014 un collectif anti gaz de schiste.
Depuis le 1er janvier 2015, c’est toute la population de cette petite ville située au coeur du Sahara qui manifeste quotiidiennement sa colère sur la place centrale de la ville qu’elle a débaptisée et qu’elle appelle Sahat Essoumoud (Place de la résistance). Cette population a déjà subi d’autres traumatismes par le passé, notamment les expériences atomiques françaises des années 1960 et la séquestration du gaz carbonique dans le gisement de gaz de Krechba, où ont été constaté des fuites extrêmement dangereuses pour l’homme, son environnement et qui favorisent le réchauffement climatique. Deux déclarations, faites en 2014, par le premier ministre et par le ministre de l’énergie ont contribué à jeter de l’huile sur le feu; le premier ministre a dit que les produits chimiques utilisées lors de la fracturation hydraulique n’étaient guère plus nocifs que ceux dont sont imbibées les couches bébé, tandis que le ministre de l’énergie a lui accusé les habitants d’In Salah de vouloir du mal à leur pays et de chercher à entrainer l’Algérie dans la situation de l’Irak ou de la Libye par leur manifestation de rejet du projet du gouvernement.
Fronde citoyenne
Ce mouvement de contestation est inédit en Algérie et ce pour plusieurs raisons. C’est, en effet, la première fois que l’on assiste à une fronde citoyenne qui dure aussi longtemps; même si elle a baissé récemment d’intensité en raison du mois de Ramadan qui vient tout juste de s’écouler et en raison des températures caniculaires qui prévalent en cette période de l’année, la colère continue à gronder à In Salah. Secundo, à l’inverse de ce que l’on a connu par le passé, ces citoyens n’expriment de revendications ni politiques, ni matérielles. Tertio, c’est la première fois que l’on voit pratiquement autant d’hommes que de femmes dans une manifestation de rue. Au cours du premier trimestre 2015, on a vu naître un peu partout à travers le pays des collectifs identiques à celui d’In Salah qui se sont rassemblés au sein d’un « Collectif national, Non au gaz de schiste » qui a adressé, le 23 février une demande de moratoire au président de la République.
Dans l’argumentaire accompagnant cette demande, avaient été soulignés tous les dangers que représentent, pour l’homme, la faune et la flore, la technique de fracturation hydraulique utilisée pour extraire le gaz de la roche-mère. Y étaient mentionnées aussi les énormes quantités d’eau consommées lors de chaque forage ( 15 à 20 millions de litres), une denrée précieuse en zone désertique. Il y était indiqué aussi que l’exploitation du gaz de schiste n’est pas une activité rentable en Algérie, vu les énormes capitaux qu’elle requiert et vu que les Algériens ne maitrisent pas la technique nécessaire. Il y était enfin fait état des risques de pollution du sol, du sous-sol, de l’air et des couches d’eau souterraines que causerait le fracking.
Le plus grand danger est que soit polluée la couche albienne qui recèle plusieurs dizaines de milliers de milliards de m³ d’une eau fossile, provenant des pluies qui se sont abattues depuis la nuit des temps sur les montagnes de l’Atlas au nord du pays et qui s’est accumulée dans cette couche géologique. Si une telle éventualité devait survenir, c’est la vie de plusieurs générations de Maghrébins qui serait mise en danger. La pollution est d’ailleurs déjà là, puisque que ne sachant trop quoi faire des eaux usées, les exploitants les rejettent dans des bassins creusés dans le sable, recouverts de plastique qui en assure une étanchéité très relative; car ces eaux contenant toutes sortes de produits chimiques extrêmement dangereux finissent par s’infiltrer dans le sol. Par ailleurs, ainsi exposées à l’air libre et aux rayons du soleil, elles polluent lors de leur évaporation l’atmosphère par les émanations qu’elles dégagent et le sol par les résidus qu’elles génèrent. Les habitants d’In Salah ont d’ailleurs constaté, que depuis qu’ont été forés ces deux puits dans la proximité immédiate de la ville, des pigeons, des faucons et des volées de cigognes en migration sont morts. Ils ont demandé aux autorités locales de se pencher sur le phénomène et de déterminer les causes d’une telle hécatombe, tout comme ils ont demandé à la compagnie nationale des hydrocarbures d’installer des appareils de mesure de la toxicité de l’air dans la région.
Ces demandes sont restées pour le moment lettre morte. De par sa démarche résolue, cette population semble avoir néanmoins gagné la bataille puisque la Sonatrach, avec l’accord de l’Etat certainement, aurait dit-on renoncé à forer un troisième puits qui était programmé sur ce permis.
Deal américain
Pourquoi un tel forcing de la part de l’Etat?
Deux raisons expliquent l’entêtement du régime à vouloir exploiter coûte que coûte le gaz de schiste : l’alignement sur la politique américaine en la matière et la panique qui règne dans les rangs du pouvoir depuis qu’a été constatée la baisse drastique des recettes pétrolières du pays.
En faisant appel à Abdelaziz Bouteflika et en le faisant élire président de la République en avril 1999, l’armée et les services de sécurité, qui constituent l’ossature du régime, lui ont fait comprendre qu’il ne pouvait exercer ses pouvoirs au-delà de lignes rouges qu’ils lui ont tracées d’entrée de jeu. Afin d’échapper à cette tutelle – ne pas être un 3/4 de président comme il l’a souvent déclaré lui-même – et dans l’espoir qu’il pourrait ainsi s’imposer aux généraux qui l’avaient installé dans le fauteuil présidentiel, il a sollicité le soutien de l’étranger, notamment celui du président des Etats-Unis. Lors de deux rencontres avec George W. Bush en octobre et novembre 2001, il passait un deal avec lui : l’Algérie mettrait immédiatement en application la nouvelle doctrine américaine en matière d’énergie, avec pour conséquence la cession déguisée des richesses pétrolières algériennes aux entreprises américaines; elle mettrait aussi à disposition des services de sécurité américains la mine d’informations sur Al Qaïda qu’elle détenait alors. En contrepartie de quoi les Etats-Unis fourniraient aux hommes du régime et à lui personnellement, soutien et protection. Les dispositions les plus controversées de la loi sur les hydrocarbures qui fut alors adoptée – un copier-coller de la doctrine de l’administration de George W. Bush en la matière – furent certes annulées à l’issue d’une saga qui dura 5 années, mais l’engagement pris par Bouteflika d’une exploitation intensive des ressources pétrolières algériennes afin de satisfaire les besoins et desiderata des Américains fut maintenu.
C’est dans ce cadre que furent engagés par le ministère de l’énergie, dans le courant des années 2010/2011, des contacts secrets avec les multinationales pétrolières qui aboutirent à la promulgation en 2013 de la nouvelle loi autorisant l’exploitation du gaz de schiste. L’alignement de l’Algérie sur la politique américaine dans ce domaine est apparu au grand jour dans le courant du premier trimestre de cette année. De crainte que le virus de la contestation anti gaz de schiste n’atteigne les rouages de l’entreprise nationale des hydrocarbures, le gouvernement fit appel en février aux services d’un « spécialiste » Mr. Thomas Murphy, directeur d’un centre de recherches chargé du suivi de l’exploitation du gisement de Marcellus en Pensylvannie, qu’il fit venir à Alger pour y « prêcher » la bonne parole aux cadres supérieurs de Sonatrach. Quand on sait que le financement et le fonctionnement du centre que dirige Mr. Murphy sont assurés par quelques 300 entreprises qui participent à des degrés divers à l’exploitation du gaz de schiste de ce gisement, on peut imaginer aisément ce qu’a pu dire Mr. Murphy aux cadres de la Sonatrach. On vit, de même, en mars de cette année, le sous secrétaire d’Etat aux affaires économiques Mr. Rivkin déclarer lors de son passage à Alger, au cours d’une conférence de presse tenue à l’ambassade américaine, qu’il n’avait pas de conseils à donner aux Algériens, mais qu’il les informait néanmoins que l’exploitation de ce gaz avait été créative d’emplois dans son pays, que la technique utilisée était saine et sans dangers et que les Etats-Unis étaient disposés à leur fournir l’assistance technique nécessaire, s’ils le désiraient.
« L’après pétrole »
La seconde raison pour laquelle le régime a décidé de faire le forcing pour l’exploitation du gaz de schiste a commencé à prendre forme en 2011, quand il se rendit brusquement compte de l’essoufflement des gisements de pétrole et de gaz dont la production avait commencé (et continue) à chuter. En parallèle, le prix du baril de pétrole a entamé une dégringolade devenue encore plus importante depuis novembre 2014. Or les hydrocarbures représentent 98% des recettes en devises de l’Algérie qui importe quasiment tout ce qu’elle consomme. Etant donné que rien n’a été fait par le régime pour préparer ce qu’il appelle « l’après-pétrole », dont il parle depuis une quinzaine d’années au moins, il se retrouve de par son incurie pris de panique, car il sait que toute baisse de ces recettes affectera directement le vécu quotidien des citoyens, dont il craint le réveil brutal.
Par ailleurs et surtout, cette rente constitue l’assise du régime qui l’utilise pour acheter des consciences et des soutiens à l’intérieur et à l’extérieur du pays et à acheter aussi la paix sociale en distribuant de l’argent à tout-va (subventions diverses, prêts qui ne sont jamais remboursés, etc.) qui sert à éteindre les nombreux foyers de tension qui apparaissent journellement aux quatre coins du pays. C’est donc pour renflouer la rente pétrolière qui lui permet de renforcer et de pérenniser son pouvoir, qui permet aussi aux barons du régime de gonfler leurs comptes en banque par les énormes commissions qu’ils perçoivent de la part des entreprises pétrolières exerçant dans le pays, et par celles qu’ils perçoivent également sur les ventes de pétrole de Sonatrach et sur quasiment tous ses contrats de fourniture de matériels ou de services; c’est donc pour toutes ces raisons que le pouvoir en place à Alger a opté pour une politique de la terre brulée, en remplaçant une rente par une autre, en autorisant l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, bien qu’il soit conscient des dangers encourus par la population. Je suis cependant convaincu que la mobilisation de la population d’In Salah a réussi à semer le doute dans l’esprit des responsables politiques algériens. Et cela aussi est un fait inédit en Algérie.
De tous temps et en toutes occasions le pouvoir a considéré qu’il était seul à détenir la vérité, que les citoyens étaient des mineurs incapables de toute réflexion, qu’il n’avait donc pas à discuter ou à négocier quoi que ce soit avec eux et qu’il pouvait donc les manipuler à sa guise. Mais là, pour la première fois, on a réellement l’impression qu’il hésite. C’est pourquoi notre soutien aux militants anti gaz de schiste algériens, aux habitants d’In Salah en particulier, est important et les aidera certainement à vaincre cette hésitation et à imposer le changement de politique souhaité.
Cette présentation a été faite par Hocine Malti lors de l’Université d’été d’ATTAC qui s’est tenue à Marseille le 27 août 2015