C’était prévu en 2015, puis reporté à 2020. Et ce ne sera finalement pas avant 2030 au mieux ! Le projet de création d’une monnaie commune aux 15 pays membres de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est transformé en une longue course d’obstacles.
La sous-région est actuellement éclatée en deux zones monétaires. D’un côté, huit pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui ont en partage le franc CFA et, de l’autre, 7 Etats dont le Nigeria, le Ghana, le Liberia, la Sierra Leone, qui ont chacun sa monnaie nationale. Pour attester de sa volonté d’aller vers une réelle intégration régionale, la CEDEAO a fixé des critères de convergence entre les deux zones monétaires. Depuis, l’horizon de cet objectif n’a eu de cesser d’être repoussé. « Une économie est convergente lorsqu’il y a une politique budgétaire coordonnée à la fois avec une politique monétaire et une politique d’endettement. Ce qui n’est pas encore le cas actuellement pour nos Etats », a expliqué Marcel de Souza, président de la Commission de la CEDEAO, au sortir d’une rencontre à Niamey avec le président nigérien Mahamadou Issoufou, Coordonnateur de la coopération monétaire sous-régionale.
Le développement en panne
En réalité, le contexte économique actuel ne se prête pas à de réelles avancées vers l’objectif de la monnaie unique de la CEDEAO. En effet, le Nigeria, qui pèse à lui tout seul 40% du poids économique de la sous-région, est entré en récession en 2016, en raison de la chute du cours du baril de pétrole. Signe des difficultés réelles du pays, le taux d’inflation a grimpé jusqu’à 18% entre 2016 et 2017.
La situation économique n’est guère plus brillante au Ghana, autre poids lourd économique de la CEDEAO. Confronté à la chute drastique du prix du cacao, le pays a enregistré une inflation de l’ordre de 15% en 2016.
Même s’ils se portent relativement mieux, les huit pays de l’UEMOA (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Togo, Sénégal) ne représentent que 10% du produit intérieur brut (PIB) sous-régional. Un poids notoirement insuffisant pour accélérer l’avènement de la monnaie unique. Mais, à supposer même que la conjoncture économique sous-régionale devienne plus favorable dans les toutes prochaines années, le projet de monnaie unique se heurtera à un obstacle politique de taille.
La France aux commandes
Il n’est un secret pour personne que plus de cinquante ans après les indépendances, la politique monétaire des quinze pays de la zone franc (8 en Afrique de l’Ouest et 6 en Afrique centrale) est toujours gérée par la France. Ainsi, chaque six mois, le ministre français de l’Economie et des Finances réunit, une fois à Paris et la fois suivante en Afrique, ses homologues des 14 pays de la zone franc pour « faire un point d’étape ».
En réalité, c’est Paris qui décide, les pays africains subissent. On en eu la preuve en janvier 1994, lorsque le gouvernement d’Edouard Balladur, à l’époque Premier ministre français, avait décidé de dévaluer le franc CFA de 50% contre l’avis des pays africains. Paris était même resté inflexible aux supplications du Gabonais Omar Bongo Ondimba, figure emblématique de la Françafrique.
Un autre signe vient confirmer que rien dans cette zone-là ne peut se faire sans l’accord express de la France. Contre l’avis des Africains, il a été décidé depuis la dévaluation de 1994 que le franc CFA d’Afrique de l’Ouest ne peut être dépensé librement en Afrique centrale et inversement. La conséquence est catastrophique pour les échanges économiques intra-africains. Par exemple, le Tchad utilise le franc CFA d’Afrique centrale alors que le Niger voisin utilise le franc CFA d’Afrique de l’Ouest. Les ressortissants de ces deux pays ont besoin de passer par une autre monnaie pour procéder à des transactions commerciales. De toute évidence, les huit pays membres de l’UEMOA vont se retourner vers la France lorsque viendra le jour où il faudra passer à la monnaie commune.
300 millions de consommateurs
Pour l’Afrique de l’Ouest, l’avènement d’une monnaie unique n’est pas seulement une question économique, c’est plutôt un enjeu de développement. Ce serait même un tournant économique. A tout le moins, un véritable accélérateur des échanges économiques sous-régionaux qui ne représentent actuellement que près de 19% contre environ 25 % dans la zone du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA).
Ainsi la monnaie est un obstacle dans les échanges entre le Nigeria et ses voisins francophones. La puissance économique sous-régionale utilise la naira alors que le Bénin, le Cameroun, le Niger et le Tchad, ses voisins francophones, ont pour monnaie le franc CFA. De même, le Ghana utilise le cedi alors que ses clients que sont le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire et le Togo ont le franc CFA pour devise.
Avec plus de 300 millions de consommateurs, la CEDEAO représente un vaste marché commun que l’intégration régionale peut renforcer. Mais, pour outre le cap de la monnaie commune, les 15 pays doivent travailler à la transformation de la structure de leurs économies pour augmenter le volume d’échanges économiques sous-régionaux.
Des liaisons inexistantes
Premier producteur africain d’or noir avec près de 2 millions de barils par jour, le Nigeria n’exporte pas son pétrole dans la sous-région, faute de raffineries pour transformer son brut. Des pays membres de la CEDEAO importent actuellement du pétrole d’Asie et d’Amérique latine alors qu’ils auraient pu en acheter avec chez le voisin nigérian.
La Côte d’Ivoire et le Ghana détiennent ensemble près de 70% de la production mondiale du cacao, un produit qu’ils ne peuvent exporter dans la sous-région sous forme de chocolat ou autres produits finis, faute de transformation. A cette faible industrialisation s’ajoute l’absence d’infrastructures routières et ferroviaires transnationales et de liaisons aériennes. Il est aujourd’hui plus facile d’aller de Niamey à Paris que de rallier la capitale nigérienne de Freetown, au Liberia. Plus facile de partir de Londres à Abuja que de venir à Dakar, au Sénégal, à partir de la capitale fédérale nigériane.
Depuis sa création en 1975, la CEDEAO a réalisé d’importants progrès en matière de libre circulation des personnes. Il est désormais possible pour un Malien de traverser tous les 15 pays membres de l’espace avec sa seule carte d’identité nationale, sans se voir exiger le moindre visa. Ce qui représente un acquis considérable et une avancée significative par rapport à la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEEAC). En revanche, l’intégration économique, elle patine encore. La longue et difficile quête de la monnaie unique sous-régionale en apporte la preuve.
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