Pour trois pays au moins, le Qatar, l’Iran et Israël, la coupe du monde de football va représenter un enjeu politique et de communication important.
Pour le Qatar, pays organisateur, proche des Frères Musulmans et de l’Iran, les sommes pharamineuses investies tant dans la conquête de l’organisation de la Coupe du monde que dans la construction de stades réfrigérés sont la consécration d’une politique.
Qatar, l’arme diplomatique
Comme tous les pays autoritaires, le Qatar a compris que le sport était à la fois une arme diplomatique et militaire. Diplomatique, car le foot draine notoriété et sympathie. Militaire, car le PSG et la coupe du monde de foot représentent ce que représentent la bombe atomique pour l’Iran ou la Corée du Nord : une protection politique. La notoriété par le football est un outil de dissuasion de tout agresseur potentiel, l’Arabie Saoudite par exemple. Avec le foot, le Qatar s’assure que son ennemi aura contre lui des millions de supporters de football dans tous les pays du monde.
Mais focaliser l’attention par l’organisation d’un évènement planétaire a son revers : le passé trouble resurgit. Chacun se rappelle que Doha, capitale du Qatar, est le point de ralliement des Frères Musulmans, une organisation interdite dans la quasi-totalité du Moyen Orient. Chacun a en mémoire la chronique offerte à Youssef al Qaradawi, chantre des Frères Musulmans, sur al Jazeera, sans parler de l’hébergement permanent à Doha, des leaders du Hamas, une organisation terroriste. Chacun sait aussi que le Qatar joue un jeu trouble avec l’Iran et a été à l’origine de la mort de milliers d’ouvriers indiens, philippins, pakistanais etc… en raison des mauvaises conditions de travail sur ses chantiers pharaoniques. Amnesty, Human Rights Watch ont fustigé récemment le traitement réservé par le Qatar aux ouvriers venus travailler sur son sol, aux femmes et aux autres minorités.
L’idée d’un boycott est aujourd’hui rampante. Pas d’un boycott des équipes sportives, mais d’un boycott des audiences télé. Si les téléspectateurs boudaient les compétitions de football, ce qui devrait être une consécration deviendrait cataclysme. Pour parer à ce risque, l’émir al Thani a donné une interview au Point, dans laquelle il ment sans hésiter, affirmant que son pays n’a jamais entretenu aucun lien avec les Frères Musulmans, ni aucune organisation islamiste comme le Hamas, que le Qatar entretient des bonnes relations avec tout le monde, que l’émir est partisan d’un islam décontracté etc etc.
Et comme cette interview donnée au Point n’a guère de chance de dissiper la méfiance, le Qatar a entrepris de dépenser des dizaines de millions d’euros supplémentaires pour inviter (tous frais payés, avion, hôtel, billets…) des dizaines de milliers de supporters à garnir les gradins de ses stades. Pour le Qatar, il est indispensable que les téléspectateurs qui regarderont les matches à la télévision voient des tribunes qui ne seront pas uniquement peuplées de locaux.
Israël, la main tendue.
La nécessité pour le Qatar de fuir la polémique l’a même incité à autoriser les vols directs Tel Aviv – Doha alors que les deux pays n’entretiennent pas de relations diplomatiques, ni aériennes. Israéliens et Palestiniens titulaires d’un ou plusieurs tickets de stade seront autorisés à se rendre directement à Doha. Nombreux sont déjà les Israéliens qui sont impatients de saisir cette occasion de visiter un émirat qui leur est habituellement interdit.
Les experts de science politique comme Emmanuel Navon, chercheur à l’Institut d’études stratégiques de Jérusalem, y voient le signe « qu’ils (le Qatar) sont prêts à assouplir leur position sur Israël ». Peut-être ! A moins qu’il ne faille y voir le signe qu’aucun pays arabe organisateur d’un quelconque évènement planétaire, ne peut plus se permettre de faire l’impasse sur Israël.
Les Émirats arabes unis l’avaient compris dès 2018. Cette année-là, deux ans avant que les Emirats n’officialisent leurs relations avec Israël, l’hymne national israélien a été joué et le drapeau du pays a flotté lors d’une compétition de judo à Abu Dhabi. L’’époque ou les sportifs arabes et iraniens refusaient de serrer la main des sportifs Israéliens ou déclaraient forfait avant la compétition, est peut être en passe d’être révolue.
Iran, des joueurs patriotes.
En revanche, c’est la présence de l’Iran dans la coupe du monde qui risque de poser problème. Des militants iraniens ont déjà exigé que la FIFA, la Fédération internationale de football, expulse l’Iran de la Coupe du monde pour sanctionner la violente répression des manifestants. Le meilleur club de football ukrainien a également demandé à la FIFA de sanctionner le soutien militaire de l’Iran à la Russie. Sans succès.
L’insurrection qui depuis deux mois bouscule le régime et ensanglantent le pays se déplacera inévitablement à Doha. Comment rater cette exceptionnelle concentration de caméras de télévision ? Des manifestations de supporters brandissant des photos d’Amini et scandant « Femmes, vie, liberté » sont largement attendues au Qatar, à l’intérieur et à l’extérieur des stades.
Que se passera-t-il sur le terrain ? Les joueurs de l’équipe d’Iran sont patriotes. Ils ont parfaitement conscience de représenter la nation iranienne et pas le régime des mollahs. Certains feront-ils des signes discrets de solidarité avec les manifestants comme ils l’ont fait lors de la révolte de 2009 ?
Certains joueurs iraniens se sont prononcés en faveur du mouvement de protestation. Dans un post Instagram supprimé par la suite, l’attaquant international iranien Sardar Azmoun a déclaré qu’il sacrifierait sa place dans le tournoi pour « un cheveu sur la tête des femmes iraniennes ». Les anciennes stars du football ont été moins prudentes. Deux ont été arrêtés pour leur soutien aux manifestations.
Lors d’une réunion du cabinet le 30 octobre, le président iranien, Ebrahim Raisi, a déclaré qu’il était inquiet pour l’équipe Melli et qu’il avait demandé au ministère des Affaires étrangères de se coordonner avec le Qatar – le plus proche allié arabe de l’Iran – pour empêcher « les problèmes de faire surface ».
Nul doute que le Qatar s’y emploiera. Mais au risque de son image internationale.