Niger, le jeu trouble de l’exprésident Issoufou dans le coup d’état

Quelques jours après le coup de force contre le Président démocratiquement élu du Niger, Mohamed Bazoum, perpétré par le commandant de la garde présidentielle, le général Abdourahamane Tchiani, Mondafrique s’interroge, comme certains de nos lecteurs  nigériens, sur le rôle peu clair de l’ancien président Mahamadou Issoufou dans les événements actuels.

Beaucoup s’interrogent sur le role réel de l’ex Président Issoufou dans les événements actuels

Quatre jours après l’annonce du renversement du régime, l’ancien président du pays, Mahamadou Issoufou, auquel Mohamed Bazoum a succédé en 2022, a enfin pris la parole. Quatre jours, c’est bien long pour dénoncer un coup de force. Un tel délai en tout cas n’est pas le signe d’une indignation particulière « Je me suis employé, par diverses voies, à trouver une sortie de crise négociée permettant notamment de libérer le président Mohamed Bazoum et de le restaurer dans ses fonctions« , a déclaré Mahamadou Issoufou dimanche 30 juillet dans une série de publications sur les réseaux sociaux.  « Tant qu’il y a un espoir d’y parvenir, je poursuivrai sur cette voie« , a-t-il ajouté. Là encore, l’ex Président ne montre pas dans la teneur de son intervention comme dans le ton utilisé une grande fermeté face aux auteurs du coup d’État

Comment l’ex-président Mahamadou Issoufou pourrait s’en prendre à son protégé dont il a fait la carrière? C’est lui en effet  qui l’avait nommé chef de la garde présidentielle, sept cent hommes sur équipés, durant ses deux quinquennats de 2011 à 2021, Il fallait à tout prix pour Issoufou se protéger dace à une armée qui ne l’aimait guère (1) et dont il avait écarté certains des éléments les plus brillants dans des postes éloignés et de deuxième ordre.

Si le général Abdourahamane Tchiani avait été reconduit à son poste en 2022 par Mohamed Bazoum,, c’est en raison de ses liens avec son mentor, Mahamadou Issoufou, qui avait imposé ce choix à son dauphin qui ne pouvait alors rien lui refuser. Sans doute que Mohamed Bazoum, qui depuis son arrivée au pouvoir n’a pas démérité, a pris en charge les questions d’éducation et de santé,  et s’est révélé un Président avisé et audacieux, regrette aujourd’hui de ne pas s’être affranchi plus tôt de la tutelle de son prédécesseur et de na pas avoir fait le ménage dans les réseaux gangrenés du Niger d’hier!  

Deux poids, deux mesures

Notons que ce sont les éléments putschistes de la garde présidentielle qui assurent toujours, nous indiquent des sources à Niamey, sa sécurité, tout comme celle de son fils. Mahamane Sani Mahamadou Issoufou, dit Abba, resté ministre du Pétrole et de l’ Énergie de Bazoum. Ces jours ci, ce dernier  s’est déplacé à l’hôpital escorté par ces éléments de la sécurité présidentielle. À quel titre, un ministre théoriquement déchu dispose d’une garde rapprochée? Pourquoi plus généralement les proches d’Issoufou et tous les anciens ministres sont sous bonne garde? Est ce dans l’intention de les protéger? La situation est confuse

Les biens qui ont été incendiés sont des véhicules du parti au pouvoir, le PNDS,, pas du Président. Et la police a dispersé cette manif spontanée par des gaz lacrymogènes, avant de publier un communiqué officiel rappelant les citoyens au respect de l’ordre et de la propriété privée. Le problème, c’est que la rancoeur contre le parti au pouvoir est immense, en particulier à Niamey. En revanche des dispositions sécuritaires ont été immédiatement prises pour protéger la famille de Malika, l’épouse du Président Issoufou.

Le lendemain de l’annonce du coup d’Etat par les militaires, des jeunet en colère se sont attaqués au siège du parti au pouvoir (PNDS).  Rien a été fait alors pour empêcher la violence des manifestants d’incendier les biens privés des partisans du Président Bazoum. qui tenaient le PNDS En revanche des dispositions sécuritaires ont été immédiatement prises pour protéger la famille de Malika, l’épouse du Président Issoufou.

En fin de semaine, des diplomates étrangers ont eu un entretien avec le Président Issoufou sur la situation. A cette occasion, l’ancien Président du Niger leur a expliqué que le général Tchiani, le chef de la junte, avait vécu des grandes frustrations, une façon d’expliquer les raisons du coup de force en le dédouanant.

Si le président Bazoum est retenu prisonnier parles militaires de la garde présidentielle, i le doit beaucoup au role trouble joué par son prédécesseur, l’ex président Issoufou

Dans le rôle du traitre

La loyauté n’est pas le fort d’un Mahamadou Issoufou. Lorsqu’il était Premier ministre du Président Mahamane Ousmane en 1993, le même Issoufou s’était retourné contre lui et mis son parti en minorité à l’Assemblée nationale. Autre épisode en 2010 lorsque Mahamoudou Issoufou se fait élire Président de la République au second tour avec le soutien de l’ancien Président de l’Assemblée Nationale, Hama Amadou, avant de le mouiller dans une histoire rocambolesque de bébé volé et de le débarquer. 

Mahamadou Issoufou a-t-il quitté le pouvoir pour mieux y revenir? Le scénario est peu probable. A-t-il en revanche un plan pour que son fils Abba accède à la Présidence comme on le murmure sur les bords du fleuve Niger? Ou bien sentait-il que son successeur, Mohamed Bazoum, échappait à son influence contrairement au chef de la garde présidentielle qui restait pue à peu sa créature?

Issoufou rattrapé par la justice

N’oublions pas que l’ambition d’Issoufou était de succéder à Antonio Guterres à la tète de l’ONU, grâce notamment à l’aide des Français. Or ce rêve avait volé en éclat depuis peu en raison de la grave mise en cause judiciaire dont l’ancien Président nigérien est victime  dans « l’Uranium gâte », où il est accusé d’avoir touché d’énormes commissions en 2011(voir l’article ci dessous). Il lui fallait donc d’urgence trouver un plan B pour échapper aux foudres de la justice et pour voir conforter son role au sein du système politique nigérien.

L’ex Président serait-il le mauvais génie du coup d’État auquel on assiste aujourd’hui au Niger? La question mérite d’être posée.

 

(1) Lors du premier tour des présidentielles en février 2016, les militaires avaient voté deux jours avant le reste des citoyens. Le résultat dans les casernes n’avait pas pu être fraudé, car sous bonne surveillance…de l’Armée. Or les résultats du vote des casernes est plus que clair. Hama Amadou dont les connections au sein de l’armée sont nombreuses est arrivé largement en tête alors que le président Issoufou figurait en quatrième position!

Uranium gate, l’ex-président Issoufou dans le viseur de la justice

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)