L’Elysée et le chef du Quai d’Orsay ont repris leurs démarches pour pousser les dirigeants libanais à débloquer la formation d’un nouveau gouvernement, dans l’impasse depuis huit mois.
Un article de Michel TOUMA
Paris ne baisse pas les bras et s’en tient à son initiative visant à sortir le Liban de l’impasse dans laquelle il se débat depuis plus de huit mois et qui menace sa pérennité en tant qu’entité indépendante et souveraine. Cette initiative française avait été lancée par le président Emanuel Macron le 1er septembre dernier lors d’une visite à Beyrouth au lendemain de la double explosion apocalyptique qui avait ravagé le 4 août dernier le port de Beyrouth et plusieurs quartiers voisins. Le président Macron s’était alors réuni à la Résidence des Pins (la résidence de l’ambassadeur de France) avec les chefs des principaux partis politiques et leur avait soumis une initiative en vue d’une sortie de crise fondée sur la formation d’un « gouvernement de mission » regroupant des ministres technocrates totalement indépendants des formations politiques.
Emmanuel Macron dans les pas de Jacques Chirac
La mission d’un tel gouvernement devait être la mise en application d’une série de réformes structurelles appelées à paver la voie à une aide économique de 11 milliards de dollars qui avait été convenue lors d’une conférence d’aide économique au Liban qui s’était tenue à Paris en avril 2018. Les efforts du président Macron en faveur du Liban remonte en réalité à cette date lorsque le chef de l’Elysée avait réuni la « conférence économique pour le développement du Liban par les réformes et avec les entreprises » (la CEDRE, appelée également Paris IV).
Un tel soutien de la France au pays du cèdre s’inscrivait dans le prolongement d’une aide similaire initiée déjà à la fin des années 90 du siècle dernier. Sous le mandat du président Jacques Chirac, trois conférences internationales de soutien économique au Liban s’étaient en effet tenues à Paris à l’initiative du président français en 1998 (Paris I), en 2002 (Paris II) et en janvier 2007 (Paris III). Selon les milieux libanais opposés à l’influence de l’axe Téhéran-Damas sur la scène libanaise, les aides convenues lors de ces trois conférences, s’élevant à plusieurs milliards de dollars, avaient été bloquées par les alliés locaux de l’Iran et de la Syrie, leur but étant de maintenir le pays dans une situation d’instabilité et de crise chroniques.
La grand messe d’avril 2018
La conférence Paris IV (la CEDRE) s’était tenue en présence de responsables officiels de 50 États et organisations internationales, du chef du gouvernement libanais de l’époque Saad Hariri, d’une délégation ministérielle libanaise et de représentants du secteur privé et de la société civile libanaise. Un plan global de réformes et d’investissements pour le développement des infrastructures de base, préparé par les autorités libanaises, avait été présenté lors de cette conférence. La mise en application de ce plan (de 11 milliards de dollars) avait toutefois été conditionnée par l’adoption d’une série de réformes structurelles qui n’ont jamais vu le jour, ce qui a eu pour conséquence d’aggraver davantage la crise financière et économique qui touchait de plein fouet le Liban.
C’est dans un tel contexte que s’est produite le 4 août dernier la double explosion qui a pratiquement détruit le port de Beyrouth et ravagé les vieux quartiers commerçants, touristiques et résidentiels de la capitale libanaise. Cette catastrophe a précipité l’effondrement économique à un point tel que le président Macron a rapidement réagi et a lancé une nouvelle initiative pour aider le Liban à remonter la pente. De là est née la feuille de route présentée aux chefs des partis lors de la réunion avec le président français à la Résidence des Pins. Les formations politiques s’étaient alors engagées à se conformer aux termes de l’initiative française, portant notamment sur la formation d’un « gouvernement de mission » dont l’objectif devait être de mettre en application les réformes prônées lors de la réunion d’avril 2018 (la CEDRE) afin de débloquer l’aide de 11 milliards de dollars promise par les pays donateurs. Mais une fois de plus, le Hezbollah n’a pas respecté son engagement sur ce plan et a entravé la formation du « gouvernement de mission ».
Face au blocage politique qui dure depuis près de huit mois, les dirigeants français sont revenus à la charge au cours des derniers jours afin d’accroître la pression sur les responsables officiels libanais afin de les amener à trouver un terrain d’entente susceptible de favoriser la mise sur pied d’une équipe ministérielle. Cette question a été au centre d’entretiens téléphoniques que le chef du Quai d’Orsay Jean-Yves Le Drian a eus il y a quelques jours avec le chef de l’Etat Michel Aoun, le président du Parlement libanais Nabih Berry et le Premier ministre désigné Saad Hariri. Dans le but d’accroître encore plus la pression, Le Drian a en outre indiqué, à la veille de la conférence des ministres des Affaires étrangères des pays de l’Union européenne qui s’est tenue récemment, qu’il allait saisir ses homologues de l’UE du dossier libanais afin d’examiner des mesures qui pourraient être prises au niveau européen afin d’inciter les dirigeants libanais à sortir leur pays de l’impasse.
D’un « gouvernement indépendant, au « gouvernement crédible » »
De son côté, le président Macron a discuté de la crise libanaise avec le prince héritier saoudien, l’émir Mohammed ben Salman, au cours d’un entretien téléphonique, il y a quelques jours. Paris et Ryad se sont prononcés à cette occasion pour la formation d’un « gouvernement crédible » au Liban. Cette position reflète une nette évolution dans la position française qui était axée, en septembre dernier, sur la mise sur pied d’un « gouvernement de mission », indépendant de la classe politique.
Face à la dégradation continue de la situation sur la scène libanaise et compte tenu de la complexité de la conjoncture régionale, marquée par le bras de fer entre l’Iran et l’Occident, l’Elysée n’insisterait plus sur la formation d’un gouvernement totalement « non politisé » et ferait montre de souplesse concernant la désignation de ministres qui seraient proches des grandes formations politiques sans pour autant être partisans.
Au stade actuel, même si le gouvernement voit le jour – il serait question d’une équipe de 24 – la grande question reste de savoir si le Hezbolah entravera ou non la mise en application des réformes nécessaires pour débloquer l’aide de 11 milliards de dollars prévus par la conférence d’avril 2018.