Depuis le début de la guerre libanaise en 1975 – et même avant, mais dans une moindre mesure – les Libanais ont souvent entendu parler de « l’argent politique ». Peu de responsables ont cependant soulevé à ce propos de façon sérieuse la question fondamentale du financement de la vie politique sur la scène libanaise. Dans un précédent article, nous avons tenté de scruter, dans la mesure du possible, les sources de financement du Courant du Futur et du PSP. Nous abordons aujourd’hui le cas très particulier du Hezbollah qui gravite aveuglément dans l’orbite iranienne.
Une enquête de Samir Moukheiber
Si le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah a récemment déclaré, dans une menace très claire à la paix civile, qu’il compte dans les rangs de son parti « 100 000 combattants », les Libanais sont en droit de se demander de quelle manière ces combattants et autres fonctionnaires du parti sont financés, surtout s’ils sont vraiment payés en dollars. Et dans cette même optique il est légitime de se poser la question de savoir avec quel argent le parti finance-t-il ses programmes sociaux, à l’instar de l’entreprise de micro-crédit Al-Qard Al Hassan, ou encore la carte Al-Sajjad distribuée à ses adhérents et qui leur permet d’acheter tous les mois des produits de première nécessité dans certains supermarchés situés dans la zone d’influence du parti (Liban-Sud, Béqaa et banlieue Sud de Beyrouth).
Le seul fait de songer à cette question fait resurgir une réponse de la bouche-même du chef de ce parti, qui déclarait fièrement en 2016 : « Le budget du Hezbollah, ses salaires, ses dépenses, sa nourriture et ses boissons, ses armes et ses missiles viennent de la République Islamique d’Iran ». Inutile de se voiler la face donc, il y aurait d’abord le financement iranien.
Le leader chiite avait même ajouté que « tant qu’en Iran il y aura du « flouss » (de l’argent), le Hezbollah en aura aussi ». Or avec la décision de l’administration Trump de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien, la source de financement s’est tarie et par conséquent les aides iraniennes à ses satellites extérieurs ont diminué. Cela aurait stimulé la créativité du Hezbollah qui a entrepris de diversifier ses sources de financement. Selon plusieurs experts en la matière, l’une des solutions adoptées par le parti a été de pratiquer une politique de contrebande vers la Syrie des produits subventionnés par le contribuable libanais (farine, essence, mazout…). La revente de ces produits de première nécessité sur le territoire syrien était organisée au détriment de la population libanaise qui s’est retrouvée lourdement affectée par la pénurie.
Milice et activités paramilitaires régionales
Il faut préciser que dans le cas du Hezbollah, le financement de la vie politique s’étend au-delà des dépenses politiques classiques et même du clientélisme. Car il s’agit là non seulement du financement d’un parti politique comme les autres, mais également de celui d’une véritable milice et de ses activités paramilitaires régionales, que ce soit en Syrie, au Yémen ou même au Liban (occupation de Beyrouth lors des évènements du 7 mai 2008 ou encore les incidents de Tayyouneh en octobre dernier). Rajoutons à cela que le parti, ployant sous les sanctions internationales et notamment américaines, a été amené pour faire tourner la machine à employer les grands moyens. De fait, toujours selon le magazine Forbes, l’autre principale source de financement pour le parti chiite se situe au niveau de la production et du trafic de drogue à l’échelle mondiale. En creusant un peu plus cette question, il apparaît que ce seraient précisément ces opérations qui constitueraient la vraie mine d’or du parti, classé par le magazine parmi les « 10 plus riches organisations terroristes » pour l’année 2014, tout juste entre les FARC et les Talibans.
Cette implication dans le secteur de la drogue est en tout cas mise en évidence depuis des années par les autorités américaines qui ont par exemple annoncé en 2011 que 483 millions de dollars avaient été blanchis à travers l’Afrique pour le compte du Hezbollah, en lien avec un trafic de drogue. Le parti chiite est également constamment accusé de fomenter des opérations illicites en Amérique du Sud, notamment dans la zone dite des trois frontières (Brésil, Argentine, et Paraguay). Il est par ailleurs depuis peu classé organisation terroriste par ces deux derniers États, et le Brésil serait lui aussi sur le point de s’engager sur cette voie.
Frictions entre le Liban et les pays du Golfe
Ces accusations aussi bien au niveau du trafic de drogues que sur le plan de la contrebande sont formellement réfutées par le parti. Et pourtant l’une des raisons de l’escalade diplomatique entre le Liban officiel et la majorité des pays du Golfe serait l’implication du Hezbollah dans le trafic de stupéfiants, après notamment les découvertes répétées par les autorités saoudiennes de millions de pilules de Captagon produites en Syrie et en provenance du Liban.
En avril 2021, l’Arabie Saoudite annonçait dans ce cadre qu’elle stoppait les importations de fruits et légumes libanais après la découverte de plus de 7 millions de pilules de Captagon et d’amphétamines dans des grenadines. Cinq mois plus tard, ce sont plus de 450 000 pilules de méthamphétamines ayant pour destination l’Arabie Saoudite qui étaient saisies au Nigéria, cette fois-ci dans des pièces mécaniques. Le ministre de l’Intérieur saoudien avait alors déclaré qu’elles sont « liées au Hezbollah »…
►Prochain article : Le Courant patriotique libre
* Il ne revient qu’à la justice d’établir ou pas la présence d’infractions qui ressortiraient des éléments présentés dans cet article qui s’inscrit dans le cadre du droit du public à l’information.
Série Liban, le financement peu transparent de la vie politique (1/5)