Les légionnaires français arrêtés à Bangui interrogés par Wagner

Arrêtés le 21 février à l’aéroport de Bangui sur fond de guerre informationnelle entre la Russie et la France, les quatre militaires français qui escortaient le chef d’État major de la Minusca auraient été interrogés par des éléments de la force russe Wagner. Une enquête est toujours en cours sur la provenance des armes saisies dans leur véhicule banalisé.

Par Alexis Flausse

La provenance des armes saisies dans leur véhicule banalisé reste mystérieuse

Tant du côté français que du côté centrafricain, les autorités s’interrogent encore sur les suites et la signification à donner à l’affaire de l’arrestation de quatre légionnaires français, le 21 février à l’aéroport de Bangui. L’histoire avait rapidement été interprétée comme une manœuvre de la société militaire privée russe nommée Wagner, très présente en Centrafrique, pour embarrasser la France dans un contexte de guerre informationnelle qui dure de plus quelques années entre Paris et Moscou.

Que s’est-il passé ? Les militaires ont été arrêtés sur le parking « VIP » de l’aéroport alors qu’ils escortaient le général Stéphane Marchenoir, chef d’État major de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine (Minusca). Ce dernier attendait son vol pour Paris. Les quatre militaires, sous contrat avec la Minusca, possédaient un badge de l’organisation valable jusqu’au 22 avril 2022. Leurs nationalités d’origine (roumaine, bulgare, italienne et française) ont alors suscité de nombreux commentaires côté centrafricain, tout comme le corps d’armée auquel ils appartiennent – la Légion étrangère. « Pourquoi avoir recruté spécifiquement des légionnaires pour son escorte au lieu de casques bleus déjà présents dans la Minusca ? », s’interroge encore une source proche du gouvernement.

Il n’est pourtant pas « rare que des hauts gradés français fassent appel à des forces spéciales, comme la Légion, pour son escorte », estime un expert français des pratiques militaires. Selon nos informations, d’autres casques bleus étaient par ailleurs présents avec eux, ce qui aurait dû lever toute ambiguïté… Vite qualifiés de « mercenaires » dans la presse centrafricaine pro-russe, les légionnaires ont été emmenés dans les locaux de la section de recherche et d’investigation (SRI).

Interrogés par des « non centrafricains »

Dans un communiqué publié le 22 février et signé par le procureur Laurent Lengade, le Toyota noir blindé aux vitres teintées du général français était suivi depuis deux mois. « Un véhicule banalisé transportant des hommes en treillis est suspect », ajoute notre source proche du gouvernement. C’est la présence à l’aéroport, au moment où le président Faustin Archange Touadéra allait atterrir, qui a déclenché l’alerte. Interrogé sur le statut du véhicule, la Minusca confirme qu’il a été « loué, mais pas par la Minusca », et ajoute que « ces quatre militaires ont été recrutés par l’organisation des Nations unis pour la mission spécifique d’une garde rapprochée du chef d’État major de la Force de la Minusca ». Du côté des autorités centrafricaines, on relève le statut « banalisé » du véhicule, alors que le général est à Bangui depuis plusieurs mois. Côté Minusca, on dédramatise : un véhicule est bel et bien prévu, mais sa livraison a pris du retard…

Dans le Toyota, les armes des militaires ont été saisies : trois fusils d’assaut allemand HK 416, une mini mitrailleuse, des grenades offensives… Le tout pris en photo et diffusé sur les réseaux sociaux, suggérant qu’une opération d’envergure contre le président centrafricain avait été stoppée.

A la SRI, des éléments « non centrafricains » ont tenté d’interroger les légionnaires. Cette information étaye la version de la diplomatie française selon laquelle cette arrestation est bien une opération montée par les éléments de Wagner – avec en sous-main Moscou – en représailles à un documentaire réalisé par les journalistes Ksenia Bolchakova et Alexandra Jousset, diffusée sur la chaîne France 5 le 20 février, soit la veille de l’arrestation. « Wagner, l’armée de l’ombre de Poutine » est une enquête fouillée sur cette société militaire privée, notamment en Centrafrique, ses pratiques, ses crimes contre l’humanité et ses liens avec Vladimir Poutine.

Nicolas de la Rivière entre dans la danse

A l’ambassade de France, on marche sur des œufs, alors que Paris a officiellement arrêté sa coopération en Centrafrique, en mai 2021, et qu’une propagande anti-française est à l’œuvre depuis plusieurs années avec le soutien de la Russie. Selon nos confrères d’Africa Intelligence, « en coulisses, l’ambassadeur de France à Bangui, Jean-Marc Grosgurin, a envoyé des messages particulièrement explicites à la présidence centrafricaine, afin d’appeler à la libération des soldats ». D’autres sources proches de l’ambassade affirment que le diplomate s’en est tenu à des échanges avec la Minusca, et qu’aucune action particulière n’a été mise en place.

A New York, en revanche, la diplomatie française a été plus active. Le 22 février, le représentant de la France à l’ONU, Nicolas de la Rivière, a profité de la présence de la ministre centrafricaine des Affaires étrangères, Sylvie Baïpo-Temon, pour lui remettre des documents prouvant le statut onusien des légionnaires arrêtés.

Le 23 février, Antònio Guterres, le secrétaire général l’ONU, a réagi à son tour, affirmant que « ces membres de la Minusca bénéficient de privilèges et d’immunités » et que selon « l’Accord sur le statut des forces de 2014, [il existe] une procédure spécifique dans les cas où des membres de la Minusca sont soupçonnés, par les autorités de la République centrafricaine, d’avoir commis une infraction ». « Cette procédure n’a pas été suivie dans le cas présent », a-t-il asséné. 

L’affaire est remontée jusqu’au Parlement français. Le sénateur LR des Français établis à l’étranger, Christophe-André Frassa, a mis les pieds dans le plat en dénonçant un « coup monté » contre les légionnaires et à travers eux, la France. Dans une question adressée à la ministre des armées, il a exprimé « sa plus vive inquiétude quant à la situation de quatre légionnaires français » et « sa perplexité quant aux conditions de leur arrestation », et a dit « craindre un enlisement » suite à « l’ouverture d’une prétendue enquête par le parquet de Bangui ».

Les légionnaires ont finalement été remis en liberté le 24 février. Fin de l’histoire ? Pas vraiment. Selon nos informations, une procédure est toujours ouverte, concernant notamment la saisie des armes.