Le 19 avril dernier, Christophe Castaner, Bernard Laporte, Karim Zeribi, Francis Spziner, ou encore Jean-Pierre Elkabbach ont participé à une soirée de soutien à la candidature d’Emmanuel Macron organisée par la Grande Mosquée de Paris. En coulisses, le régime Algérien tirait les ficelles
Une chronique de Yanis Mhamdi, journaliste à OFF Investigation
C’est une visite passée quasiment inaperçue en France. Le 13 avril dernier, entre les deux tours de l’élection présidentielle, Jean-Yves Le Drian, alors ministre des Affaires Etrangères et Karim Amellal, délégué interministériel de la Méditerranée, se sont envolés pour Alger à la rencontre du président Abdelmadjid Tebboune. Selon Le Drian, la rencontre avait pour objet d’aborder les « défis stratégiques partagés » et de « poursuivre le travail engagé sur la relance, en cours, de nos relations bilatérales » comme il l’a déclaré lors d’une conférence de presse à la sortie de sa rencontre avec le président algérien.
Une visite discrète.
Si la France n’a quasiment pas communiqué sur ce voyage intervenu à quelques jours du second tour de la présidentielle, la présidence Algérienne, elle, a posté une vidéo sur twitter. On y voit Abdelmadjid Tebboune aux cotés de Jean-Yves Le Drian. Une visite bienvenue pour le président algérien qui a besoin du siutuen français pour conforter sa position en interne. Élu en plein « Hirak » avec un taux de participation de 39%, le plus faible de l’histoire de l’Algérie, il a fait envoyer en prison des dizaines de journalistes, militants politique et associatifs pour faire taire la contestation. Plus de trois cent détenus d’opinion seraient actuellement emprisonnés en Algérie.
À Alger, Le Drian a sollicité un soutien du pouvoir algérien à la candidature d’Emmanuel Macron. Tout comme en 2017, quand le candidat d’En Marche s’était rendu à Alger pour solliciter le soutien du clan Bouteflika
Emmanuel Macron sait que le vote des franco-algériens va peser. Face à Marine Le Pen qui a rallié 24% des suffrages au premier tour, son plus haut score, le président sortant craint que certains électeurs de Jean-Luc Mélenchon votent massivement blanc, voire se rabattent sur la candidate du Rassemblement National, dans l’espoir de le chasser du pouvoir. C’est dans ce contexte que le régime Algérien à de nouveaux accepté de soutenir la candidature d’Emmanuel Macron. Cette fois via la Grande Mosquée de Paris.
La grande mosquée vote Macron
À peine la rencontre entre le président algérien et Jean-Yves Le Drian terminée, la Grande Mosquée de Paris affichait son soutien officiel à Emmanuel Macron. Les 14 et 15 avril, elle publiait sur son compte Twitter un communiqué et une vidéo de son recteur, Chems Eddine Hafiz, appellant à soutenir le candidat Renaissance face au Rassemblement National. Mais ça ne s’arrête pas là.
De manière inédite et à la demande du pouvoir algérien, la Grande Mosquée de Paris a organisé le 19 avril, en plein mois sacré de Ramadan, ce qu’elle appelle un « iftar républicain ». Un repas de rupture du jeûne, en soutien à la candidature d’Emmanuel Macron. « Avant d’être recteur, je suis citoyen » : c’est par ces mots que Chems-Eddine Hafiz, qui dirige la Grande Mosquée de Paris, a prit la parole devant une centaine de personnalités triés sur le volet. Pourtant c’est bien en tant que recteur qu’il s’était présenté aux invités et c’est bien dans l’enceinte du bâtiment de la mosquée que la soirée était organisée. À la fin de sa prise de parole, le recteur prendra le temps de lire un sms que lui a envoyé le chef de l’Etat pour s’excuser de son absence : « Cher ami, je sais qu’après le ministre Darmanin, c’est Christophe Castaner qui est à vos cotés ce soir. Je suis avec vous en pensée et de coeur. Bon iftar à tous, je vous souhaite quiétude et sérénité comme il se doit dans la République. Et je ferai tout pour qu’il en soit ainsi. Avec mon amitié. Emmanuel Macron ».
Organisée dans le restaurant de la mosquée, cette soirée de soutien va réunir des personnalités issues du milieu associatif musulman mais aussi des Macronistes. Notamment Christophe Castaner, qui avait sévèrement réprimé la révolte des gilets jaunes depuis la place Beauvau avant de présider le groupe LREM à l’Assemblée. A la grande mosquée de Paris, il représentait le président sortant, qui n’avait pas pu se déplacer. Etait également présent François Patriat, sénateur du parti présidentiel. Outre ces personnalités politiques affiliées à Emmanuel Macron, on notait aussi la présence de Francis Szpiner, maire Les Républicains du XVIeme arrondissement de Paris et proche du recteur de la Grande mosquée de Paris. Pourquoi était-il présent ? Joint par mail, il n’a pas souhaité nous répondre.
« Je suis tombé des nues quand j’ai vu que j’étais assis à coté de Castaner. »
Jean-Pierre Elkabbach, journaliste à Europe 1 et CNEWS
Également présent ce 19 avril, Bernard Laporte. Ancien ministre des Sports et actuel président de la Fédération française de rugby, il s’était fait remarquer ces dernières années en faisant du lobbying pour le rugby Algérien. En mars 2019, il s’était même discrètement rendu en Algérie afin d’aider l’équipe nationale de rugby à se developper. Un voyage financé par un certain Michael Lejard, via sa société Agora et qui a créé « l’Agora des dirigeants France-Algérie », comme l’avait révélé le JDD en avril 2019. Un club d’affaires présidé par Karim Zeribi, ancien élu Europe-Ecologie-Les-Verts. Devenu chroniqueur sur C8 et CNEWS, des chaînes de télévision contrôlées par Vincent Bolloré, il était lui aussi présent à la soirée de soutien à Emmanuel Macron. L’Algérie a-t-elle demandé à Bernard Laporte et Karim Zeribi de participer à cette soirée ? Contactés, ni l’un, ni l’autre n’ont souhaité répondre aux questions de Off investigation.
Dernier invité, et non des moindres : Jean-Pierre Elkabach.
Durant la soirée, le célèbre journaliste de CNEWS et d’Europe 1 (médias de la galaxie Bolloré) était assis à la table d’honneur. Joint par téléphone, il se défend de tout soutien à Emmanuel Macron ou au pouvoir algérien : « Je ne savais ni que c’était un soutien à Macron, ni que ça venait de l’Algérie. » Pourtant, le carton d’invitation spécifiait bien qu’Elkabbach était invité à un « iftar de soutien à la réélection de monsieur le président de la République Emmanuel Macron ». Malgré ce fait, le journaliste de 84 ans feint l’ignorance : « Je suis tombé des nues quand j’ai vu que j’étais assis à coté de Castaner. » Manifestement agacé par nos questions, il finit par nous lâcher: « jusqu’à quand le journalisme ça va être de se comporter plus que les flics ? » Avant de conclure : « Quand vous aurez terminé votre article et que vous nous aurez dénoncés, on va en prison ou on est mis en garde à vue ? »
« Avoir la paix avec l’Etat et le président »
Lhaj Thami Breze, Président Ile-de-France des Musulmans de France
À cette soirée, étaient également invitées les associations musulmanes ayant ratifié, en janvier 2021, « la charte des principes de l’islam de France » mise en place par le gouvernement. Parmi eux, les Musulmans de France (ex-UOIF), que l’on dit proche de l’organisation des Frères Musulmans. Son président en Ile-de-France, Lhaj Thami Breze, s’en défend. Pour expliquer sa participation à la soirée de soutien à Emmanuel Macron, il lâche: « pour nous l’enjeu était de battre Le Pen. » Au-delà de défaire la cheffe de file du Rassemblement National, Breze espère que la participation de son association à cet « iftar républicain » leur permettra « d’avoir la paix avec l’Etat et le président. »
Rappelons que la loi dite Séparatisme a laissé des stigmates profondes chez certains musulmans de France. Entre fermetures de mosquées parfois arbitraires, raids policiers dans des écoles musulmanes et interrogatoires d’imams, la fin du premier quinquennat Macron a parfois été perçue comme islamophobe. Le représentant des Musulmans de France pointe aujourd’hui les contradictions des Macronistes, enclins en coulisses à instrumentaliser les organisations musulmanes alors qu’officiellement, la loi séparatisme interdit à ces dernières de se mêler de politique : « On a signé une charte en présence du chef de l’Etat qui spécifiait qu’on ne devait pas avoir d’ingérence dans la vie politique. Et là, on a dû soutenir le président sortant. ». La charte précise effectivement que son « objectif clairement énoncé » est de « lutter contre toute forme d’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques et/ou idéologique. » Un an après avoir fait adopter la loi séparatisme, Emmanuel Macron aura donc été le premier à déroger à son esprit.
Chems-Eddine Hafiz, au coeur du dispositif
Au coeur de cette soirée il y a un homme : Chems-Eddinne Hafiz. En janvier 2020, ce Franco-Algérien de 67 ans avait été nommé recteur de la Grande Mosquée de Paris après que son prédecesseur, Dalil Boubakeur, ait démissionné à la surprise générale. Selon nos informations, c’est lui et Mohammed Louanoughi, le directeur général de la Grande Mosquée de Paris, qui auraient poussé Boubakeur vers la sortie, afin de prendre le contrôle de cet influent lieu de culte.
Or la grande mosquée de Paris, construite en 1926, n’est pas seulement un lieu de prière pour des milliers de fidèles musulmans. C’est surtout une influente antichambre du pouvoir algérien. Officiellement, c’est une association loi 1901, tenue par la Société des habous des lieux saints de l’islam. Mais officieusement, le pouvoir algérien en a fait une base arrière en France. Depuis 1982, il contribue à son financement (actuellement à hauteur de deux millions d’euros par an). Au moment de son intronisation, fin janvier 2020, Chems-Eddine Hafiz s’était d’ailleurs déplacé à Alger pour recevoir l’adoubement du président algérien et être ainsi conforté à son nouveau poste. Un adoubement attendu tant il est proche du pouvoir algérien depuis des années. Avocat de métier, il défend notamment les intérêts de l’Etat algérien à Paris, ou encore le Front Polisario, mouvement indépendantiste du Sahara occidental, soutenu et financé par l’Algérie. En 2014, il était président du comité de soutien de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika en France. Son rôle est tellement important qu’on le surnomme « l’ambassadeur bis ».
Pour Lhaj Thami Breze, le président en Ile-de-France des Musulmans de France, « il est même plus important que l’ambassadeur algérien », en raison de sa proximité avec le président Macron. Ils se téléphoneraient souvent et Hafiz n’a pas peur d’afficher sa préférence pour le président sortant comme il l’a démontré lors de la soirée de « l’iftar républicain » du 19 avril en le qualifiant de seul homme politique « capable d’unir tous les Français ». Cette proximité affichée qui cache en fait un lien direct entre Emmanuel Macron et le pouvoir algérien ne devrait pas s’estomper de si tôt. En mars dernier, le recteur a créé la Fédération de la Grande Mosquée de Paris, dont il est, bien évidemment, le président, et qui réunit des associations représentatives des différentes mosquées dans toute la France. Pour convaincre les dignitaires musulmans de le soutenir, Hafiz a précisé qu’il « fallait absolument que la Grande Mosquée de Paris reste algérienne ».
Par crainte qu’elle ne tombe entre les mains de l’éternel rival marocain? Contacté, Chems-Eddine Hafiz n’a pas donné suite aux sollicitations de Off investigation. Quand aux Macronistes, ils semblent s’accommoder du lobbying que mène en leur faveur le nouveau recteur de la grande mosquée de Paris (1). Pour renvoyer la balle au clan Tebboune, il est prévu qu’Emmanuel Macron se rende en Algérie d’ici le mois de novembre. A moins que son échec aux élections législatives ne vienne bousculer ce calendrier
(1) Chems-Eddine Hafiz vient d’être élevé au grade d’officier de la légion d’honneur par le ministère français de l’Intérieur et des cultes, une appellation qui, à elle seule, pose quelques soucis dans un État supposé laïque et exprime les arrières pensées des odes à la laicité du gouvernement français (Note de la rédaction de Mondafrique)
La Mosquée de Paris sous influence des services algériens