Le colonel à la retraite Mohamed Chafik Mesbah a tenté de lancer un vaste plan d’action au Sahel, sous l’autorité du Président Tebboune, pour associer notamment le Niger et la Mauritanie, les bons élèves du G5 Sahel, à la lutte contre le terrorisme.
Longtemps après la diplomatie flamboyante algérienne qui s’était mposée de l’Indépendance jusqu’à la fin des années 80, en s’appuyant sur le non-alignement et la prééminence des rapports Sud-Sud, il ne reste que de vagues principes et un renfermement sur soi. La raison de ce délitement aura été paradoxalement l’arrivée au pouvoir à Alger, d’Abdelaziz Bouteflika, un des symboles de cette diplomatie. Son élection en 1999 a eu pour effet de recentrer la politique extérieure autour de sa personne. On l’a vu écumer, les trois premières années de son règne, les conférences internationales et lancer de nombreuses initiatives. Voici l’Algérie remise en scène qui s’était éclipsée à cause de la guerre civile (1992-1998). Puis,
Sa santé déclinant, il ne restera de Bouteflika que son fantôme de Grand timonier de la diplomatie; ce même fantôme figera une génération de fonctionnaires des Affaires étrangères tétanisés à la reprise en main du « flambeau ». D’autant qu’aucune place à l’innovation diplomatique ou à la prise de risques n’est permise désormais. Les crédos ne changement pas : tiers-mondisme, non-ingérence, non-interventionnisme. Mais ils sont devenus un carcan qui tint en laisse les Ministères des Affaires étrangères. Au vu du nombre d’intervenants extérieurs (Présidence, armée, services) il est difficile de parler de diplomatie algérienne.
C’est dans ce contexte particulier que les autorités à Alger essayent, ces deux dernières années, de contrer l’embrasement des pays du Sahel et d’éviter les répercussions des activités djihadistes sur le sol algérien.
Le brasier djihadiste menaçant
Une stratégie qui mêlait la continuité dans les principes et le réalisme dans les interventions a été mise en place pour parvenir à contenir le brasier sahélien après le départ de la France et de la plupart des partenaires occidentaux de la région.
À Alger, on est conscient de la nécessité de trouver une solution sur le long terme non violente, qui permettrait de fixer les populations et d’assurer une stabilité pérenne au Sahel. Un militaire algérien a un plan, le colonel à la retraite Mohamed Chafik Mesbah. Cet ancien du Département de la sécurité et de l’information (DRS) du célèbre général Toufik, fut en raison de ce passé, une des victimes du l’ancien président Abdelaziz Bouteflika. De retour sur le devant de la scène, ce gradé influent a concocté le projet d’une Agence pour la solidarité et le développement. Son objectif: organiser la relation avec les Etats voisins du Sahel et apporter une aide concrète dans un objectif de soft-power.
La Mauritanie et le Niger sont les premiers pays sollicités par cette Agence qui apparaît en même temps que la pandémie de Covid-19. L’arrivée au pouvoir de Mohamed Ould El-Ghezouani à Nouakchott et de Mohamed Bazoum à Niamey, les figures les plus respectées de la lutte anti terroriste dans la région, a facilité la mise en place de ce nouveau déploiement de l’Algérie. L’aide humanitaire, les vaccins anti-covid et l’appui financier de l’Algérie commencent en effet à se faire sentir
Luttes intestines
Néanmoins ces premiers succès ne se passent pas sans accrocs. Entre le colonel Mesbah et l’ancien Ministre des Affaires Etrangères, Sabri Boukadoum, le courant passe mal. Pis encore, d’autres personnes s’occupent de politique extérieur dans l’entourage du Président Tebboune. Le patron des services extérieurs à l’époque, le Général Youcef Bouzit, rappelé de la retraite par le président nouvellement élu est un connaisseur des dossiers sahélien et libyen, il a aussi ses approches. Idem pour le général Abdelaziz Medjahed, rappelé lui aussi de la retraite par Tebboune comme conseiller aux affaires stratégiques.
La multiplications d’intervenants et les inimités prééxistantes entre eux a fini par exploser ce quatuor, tous relevés de leurs postes ou transférés vers d’autres fonctions, fragilisant la stratégie algérienne en terme de politique régionale.
Tebboune à la manoeuvre
En Mai 2021, peu après l’annonce du retrait de la force Barkhane et de celui de la France au Mali, le Président Abdelmadjid Tebboune annonçait qu’Alger ne laisserait pas le Mali se transformer en sanctuaire pour les groupes Djihadistes et encore moins la partition du pays. Cette déclaration tonitruante intervenait quelques mois après l’adoption d’une nouvelle constitution autorisant désormais l’armée algérienne à intervenir à l’étranger et codifiant ce déploiement le liant aux opérations de maintien ou de retour à la paix de l’ONU et de l’Union Africaine. Cette déclaration peut être considérée comme le marqueur d’un changement de stratégie au Sahel, l’ancienne privilégiant le non-interventionnisme et la une solution politique qui tournait autour de l’application des « Accords d’Alger ». Pour rappel ces accords, signés en 2015 par plusieurs intervenants dans le conflit malien, sous l’égide de l’Algérie, privilégiaient une solution inclusive pour les habitants du Nord, appelés à participer à la vie politique au Mali, contre l’abandon des désirs d’indépendance.
La prise du pouvoir d’Assimi Goïta à Bamako, le 24 mai a été l’occasion pour Alger de jouer les médiateurs. La France en retrait, la CEDEAO crispée à l’idée d’une épidémie de putsch et les rumeurs sur un débarquement russe, tous ces ingrédients ont donné forme à une stratégie algérienne au Mali.
Pour ce faire, Alger obtient l’aide de l’Italie et engage une médiation avec les autorités putschistes de Bamako pour faire en sorte que la transition soit courte. Bamako finit par accepter la proposition algérienne qui est une reconnaissance des autorités actuelles. Mieux, l’Algérie et l’Italie mettent autour de la table différentes factions du Nord Mali regroupées autour du Cadre de suivi permanent (CSP) avec le Ministre de la Réconciliation nationale malien Ismaël Wagué.
Cette initiative organisée officiellement par une ONG Italienne, (ARA Pacis Initiative) a eu la bénédiction de Rome et d’Alger et a donné lieu à un accord de principe qui pourrait aboutir à l’application de certaines clauses des Accords d’Alger.
Montée en puissance djihadiste
Malgré cela, les efforts de la diplomatie butent sur une montée en puissance des groupes terroristes et un entêtement des autorités maliennes qui s’évertuent, depuis le début 2022, à démontrer qu’elles peuvent assurer leur propre sécurité et qui sont méfiantes à l’encontre des initiatives venant de l’étranger. La Russie, à travers la société militaire privée Wagner est le seul acteur étranger toléré par les autorités de Bamako.
Cette progression des djihadites met à mal la stratégie algérienne qui ménage la chèvre et le chou dans le cas de Wagner. La question pour Alger étant de savoir comment maintenir l’excellence des relations avec Moscou et réprouver la présence de mercenaires russes aux abords de la frontière.
La diplomatie algérienne se retrouve face à un dilemme : promouvoir un envoi de troupes algériennes et pacifier le Nord Mali, ne rien faire et prendre le risque de la création d’un sultanat terroriste au Nord Mali ou pire une chute de Bamako à l’afghane, ou bien assumer une proximité avec la Russie et faire un travail sur le terrain avec eux pour stabiliser le Mali.
Reste l’évolution des relations entre Alger, Rome et Ankara, qui pourrait déboucher sur une stratégie sahélienne plus développée comprenant un aspect sécuritaire et militaire et une intégration régionale, la Turquie ayant établi un accord de défense avec le Niger et la Mauritanie et de bonnes relations avec le régime de Bamako.
Série Barkhane (volet 5), la future stratégie française au Sahel totalement floue