Comment l’Arabie Saoudite compte acheter le soutien du Soudan 

Le Soudan, traditionnellement dans le giron de l'Iran, s'aligne sur l’Arabie Saoudite dans le conflit du Yemen.

Le président Omar al Bachir a entrainé son pays dans la coalition dirigée par le régime saoudien, forte de 34 pays dont un certain nombre de pays africains, contre les rebelles Houtis soutenus par l’Iran. A la suite des assauts menés contre le siège de l’ambassade et des consulats d’Arabie Saoudite en Iran, le gouvernement soudanais a pris la décision de suspendre ses relations avec la République Islamique Iranienne dont il était pourtant très proche.

A l’heure d’une crise ouverte entre entre Téhéran et Riyad, qui se battent à coup de pétro dollars en Syrie et au Yémen, Khartoum a-t-il mis le doigt dans un engrenage dont il risque de ne pas pouvoir s’extirper ? Quelles sont les causes profondes du rapprochement du Soudan avec l’Arabie saoudite ? « Omar al Bachir,même s’il l’a toujours démenti, explique Majer Nehmé, directeur de l’excellente revue « Afrique-Asie »,est issu de la confrérie des Frères Musulmans », ce qui le prédisposait à s’entendre avec les autorités du Royaume wahhabite séoudien.

Majed Nehmé qui a accepté de répondre aux questions de Mondafrique, dirige aujourd’hui le mensuel « Afrique-Asie », qui couvre l’actualité des pays africains, arabes et moyen orientaux. La revue est clairement progressiste, anti colonialiste, pro palestinienne, .

Mondafrique: A quand remontent les relations entre le Soudan et l’Arabie Saoudite ? 

Majed Nehmé: Ces relations sont anciennes et remontent aux années 70-80 au moment de la prise du pouvoir par le président Nimeyri. Le leader des frères musulmans Hassan al Tourabi, à l’époque ministre de la justice, beau-frère d’un ancien opposant qui comme lui avait été réintégré en 1981 dans le parti unique était en très bons termes avec les Saoudiens. Ce même Hassan al Tourabi avait demandé et obtenu en 1981 au président soudanais d’appliquer la charia, qui fut une des causes de la relance du conflit avec le Sud et le Darfour animiste et chrétien. Par ailleurs, Nimeyri apparaissait comme le champion de la lutte anticommuniste en Afrique . A ce titre il était le deuxième bénéficiaire de l’aide américaine en Afrique, ce qui ne pouvait que le rapprocher des saoudiens.

Mondafrique: L’actuel président Omar al Bachir a-t-il eu cette même attitude vis à vis de la famille royale saoudienne ? 

Majid Nehmé: Les relations se sont vite dégradées jusqu’à devenir exécrables. Omar al Bachir est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat militaire et parlementaire en 1989. Pendant la première guerre du Golfe de 1990-1991, le chef de l’Etat soudanais décide de se solidariser avec l’Irak de Saddam Hussein. Le Soudan devient alors un « Etat paria » condamné par les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite et la Ligue Arabe. Un embargo très dur lui est imposé asphyxiant économiquement et financièrement le pays.

Mondafrique: L’embargo a-t-il alors poussé le Soudan dans les bras de l’Iran ? 

Majed Nehmé: Oui d’autant plus que l’Iran était aussi un pays sous embargo et «  un Etat Paria » jusqu’à la levée toute récente des sanctions économiques et financières qui a fait suite au réglement du dossier nucléaire iranien. Le Soudan avait rejoint l’Axe de la résistance au Moyen Orient et même apporté son soutien aux Palestiniens pendant l’opération israelienne Plomb Durci contre la bande de Gaza en 2008. Ainsi l’armement iranien à destination du Hamas et du Djihad Islamique Palestinien, transitait par Khartoum. On voit aujourd’hui à quel point cette bonne entente avec l’Iran était due aux circonstances.

Mondafrique: Comment définissez-vous la nature du régime soudanais actuel ? 

Majed Nehmé: C’est un pouvoir militaire nationaliste qui à l’origine puise l’essentiel de son inspiration dans la confrérie des frères musulmans. Bien sûr cela a évolué avec le temps. Mais le fond reste le même. Omar al Bachir, même s’il l’a toujours démenti, est issu de la confrérie fondée en Egypte par Hassan al Banna en 1927. Les Frères musulmans écartés du pouvoir par Nimeyri en 1985 peu avant sa chute avaient fait une percée au parlement, lors des élections législatives. Ils ont ensuite profité de la situation d’instabilité pour noyauter les organes de l’administration et de l’armée en recrutant des cadres et des officiers au sein de la confrérie. Dans les années 1990, c’est à Khartoum que s’est tenue la conférence internationale islamo nationaliste; sorte d’internationale islamiste. Oussama Ben Laden qui a résidé au Soudan de 1995 à 1997 y a participé ainsi que des représentants du Hamas palestinien.

Mondafrique: Ya-t-il une proximité idéologique entre le pouvoir soudanais proche de l’inspiration des frères musulmans et le wahhabisme saoudien …

Majed Nehmé: La vision de l’Islam développée par les Wahhabis et les frères musulmans sont assez proches. Le wahhabisme repose sur une lecture rigoriste, littérale et sèche du Coran et des Hadith (paroles du Prophète Muhammad) qu’il faut appliquer à la lettre. Cette doctrine ne laisse donc quasiment aucune place au pluralisme religieux et à l’effort exégétique d’interprétation et d’adaptation du texte sacré. Aussi, le fondateur de cette doctrine Abd al Wahhabi au XVIIIe siècle prétendait réformer l’Islam et revenir au « temps béni » des quatre premiers califes dits « bien guidés ».

Dès sa création la confrérie des frères musulmans estime que les musulmans ne sont plus musulmans et qu’il faut donc les ré islamiser par la force s’il le faut. Ils traitent de Kufr (hérétiques) les musulmans qui ne les suivent pas. Ils se considèrent également comme des réformateurs de l’Islam et jouent même le jeu de la démocratie… Mais c’est de la poudre aux yeux tout cela ! Comme on a pu le voir avec l’expérience Mohammed Morsi en Egypte. Ils ont par ailleurs tenté d’assassiner le président Nasser à deux reprises.

 

Mondafrique: L’Arabie Saoudite tente-t-elle d’exporter le « modèle wahhabi » au Soudan comme elle le fait dans d’autres pays africains ? 

Majed Nehmé: Bien sûr qu’elle le fait ! Ne serait-ce que par le biais d’instituts et d’organisations islamiques d’inspiration « wahhabi » financés par les Saoudiens comme au Sénégal, au Niger ou au Tchad ?

Mondafrique: Récemment un important dignitaire religieux chiite a été exécuté en Arabie Saoudite avec 46 autres coreligionnaires accusés de « terrorisme ». Ces exécutions ont soulevé la colère des Iraniens. Les ambassades et le consulat saoudien à Téhéran ont été attaqués par des protestataires. Le Soudan a pris cela comme prétexte pour suspendre ses relations avec l’Iran. Qu’elles sont les vrais raisons de cette rupture … 

Majed Nehmé: Avec les Saoudiens, on ne peut pas être en même temps son allié et être allié de l’Iran. Il faut faire un choix.

En effet le Soudan a trouvé le prétexte parfait pour rompre ses relations avec l’Iran mais les raisons de cette rupture sont plus profondes. Premièrement depuis les « printemps arabes » de 2010/2011 on a assisté à un resserrement des liens des pays de la Ligue Arabe autour de l’Arabie Saoudite contre la République Islamique Iranienne.

L’Arabie saoudite et le Qatar instrumentalisent la pseudo fracture chiites/sunnites en Syrie, au Liban, en Irak et au Yemen. Ils « confessionnalisent » des conflits qui n’ont rien de confessionnels au départ dans le but de mettre les pays musulmans sunnites de leur côté et le Soudan s’engouffre là dedans.

Deuxièmement comme je l’ai dit précédemment, le Soudan a subi de plein fouet l’embargo économique décrété depuis la première guerre du Golfe. Omar al Bachir espère donc de l’Arabie Saoudite une aide économique et financière pour aider son pays à sortir de l’asphyxie. Mais ce rapprochement se fait sans convictions au delà même de la proximité idéologique. C’est du pragmatisme pur et simple et une vue de court terme à mon sens.

 

Mondafrique: Quel est le degré d’implication militaire du Soudan dans le conflit armé au Yemen ? 

Majed Nehmé: Le Soudan est le pays africain de la coalition saoudienne qui envoie le plus de troupes au sol au Yemen. Mais encore une fois cette implication militaire dans un conflit qui est un véritable bourbier, et une poudrière pour la région, se fait sans convictions. Du pur pragmatisme !