À l’approche de la Présidentielle qui aura lieu dans quelques mois, le pouvoir algérien tente de reprendre en main la communauté algérienne en France qui est devenue la base arrière d’une opposition muselée sur place par un appareil sécuritaire plus répressif que jamais.
La volonté de reprendre en main cette communauté immigrée entrée en dissidence se traduit, ce vendredi 8 mars, par l’organisation d’un Gala exceptionnel de la diaspora soutenu par Alger. Cette initiative lancée par un ancien élu européen du Sud est de la France proche de l’ami des militaires algériens qu’est Jean Pierre Chevènement, Karim Zeribi, tente de rassembler les forces vives de l’immigration et de resserrer les liens entre les communautés immigrées et l’Algérie. Il était temps. Les coups fourrés fomentés, ces dernières années, par des barbouzes venus d’Alger, n’ont pas réussi à faire taire les forces du Hirak au sein de la diaspora qui, chaque dimanche et malgré les menaces, se réunissent place de la République à Paris.
L’obsession de mettre au pas la diaspora est un vieux réflexe des services algériens qui, dès l’indépendance en 1962, avaient créé dans ce but l’Amicale des Algériens sur les décombres de la « Fédération de France » qui avait joué un rôle clé dans la guerre d’indépendance. Hélas cette machine policière sans élan, ni imagination est parvenue à perdre le capital de confiance que le FLN avait acquis avant 1962 dans la communauté immigrée. Le nouvel État algérien n’est pas parvenu à mobiliser ces fidélités. Jamais les réseaux militants d’hier n’ont été transformés en véritable lobby. Jamais les forces vives de l’immigration n’ont servi de courroie de transmission entre Paris et Alger.
L’héritage aurait du fructifier. Forte d’une communauté de plusieurs millions de personne et confortée par de nombreux réseaux de solidarité nés du combat pour l’indépendance, l’Algérie avait de jolies cartes à jouer à Paris. Or il n’en a rien été. La fracture n’a été qu’en s’accentuant entre les autorités algériennes et la diaspora en Europe et en France
La perception française du monde arabe s’était pourtant construite à partir du cataclysme qui fut la guerre anti coloniale menée en Algérie avec une détermination et un courage exemplaires. Jusqu’à l’indépendance du pays, la métropole servait de base arrière à tous les mouvements nationalistes: le mouvement pour les triomphes démocratiques (MTLD), le front de libération nationale (FLN), ou son concurrent le mouvement national algérien (MNA) durant la guerre de libération. L’immigration algérienne constitue un terreau fertilisant dans la mobilisation syndicale, que ce soit pour l’union syndicale des travailleurs algériens (USTA) dépendant du MNA parti de Messali Hadj, ou de l’union générale des travailleurs algériens UGTA)( dépendant du FLN.
La France de Sartre et de Jeanson, solidaire du FLN algérien, croyait en cette Algérie nouvelle. La communauté algérienne installée en France continuait à revendiquer haut et fort son identité nationale. Ce temps là est révolu! La diaspora est devenue, notamment depuis le départ de l’ex président Bouteflika du pouvoir en avril 2019, le principal bastion de résistance contre un pouvoir aveugle et répressif qui à Alger, Oran ou Constantine, harcèle, emprisonne et torture ses opposants.
L’Amicale à la manoeuvre
Une fois l’indépendance acquise en 1962, la prise du pouvoir par l’armée des frontières marque une mise en place d’un régime militaire. L’adoption du socialisme comme orientation idéologique de nouvel Etat, et du parti unique comme gestion de l’activité politique a exclu toute diversité. Ainsi, des partis politiques refusant la nouvelle configuration se replient à l’étranger, principalement en France: Le FFS (front des forces socialistes) d’Ait Ahmed, le MDRA (mouvement démocratique de la république algérienne (MDRA) de Krim Belkacem, l’Organisation révolutionnaire populaire (ORP) de l’historien Harbi, le PRS (Parti de la révolutionnaire socialiste) de Boudiaf, qui présidera en 1992 aux destinées de lAlgérie avant d’être assassiné.
Les années qui suivirent la proclamation de l’indépendance furent celles d’un lent maillage du territoire. Sous Boumedienne, l’État algérien a une vision claire du rôle policier qu’il entend jouer à Paris. L’Amicale eploie juusqu’à cinq cent fonctionnaires dirigés sans état d’âme; par son premier président, le colonel Mahmoud Guennez, grand organisateur pendant la guerre d’indépendance, qui va présider la première assemblée de l’Amicale au théâtre de Bobino. Sous son impulsion, l’Algérie acquiert un vaste patrimoine immobilier à Paris.
Deuxième responsable de l’Amicale et véritable ambassadeur bis, Abdelkrim Gheraieb, qui ne cachait guère ses liens avec la Sécurité Militaire, aura pour principale fonction de surveillet les opposants. « Une fois par mois, Boumedienne me convoquait très inquiet des agissements des opposants en France », a pu confier ce dernier à l’auteur de ces lignes.
Obsédée par cette surveillance, l’Amicale s’éloigne de la communauté algérienne. Chère à Boumedienne, l’idée du retour au pays est le seul horizon qui est offert à cette jeunesse qui s’enracine en France. En 1976, le quotidien du FLN, El Moudjahid écrivait encore que l’économie algérienne pouvait réinsérer la totalité de l’émigration.
La France ferme les yeux
Plus les années passent, plus le régime algérien qui persiste à surveiller sa communauté en France bénéficie d’une totale indulgence de la part de ses interlocuteurs français. C’est notamment l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand qui scelle l’entente politique entre les deux pays. Malgré ses prises de position sous la IVeme République pour la peine de mort pour les « terrorises » du FLN et en faveur de l’intervention de Suez, le futur président socialiste est accueilli à Alger en 2016 avec les honneurs à la tète d’une délégation comprenant Lionel Jospin, Pierre Joxe ou Claude Estier.
C’est l’époque où beaucoup de responsables socialistes débarquent à Alger pour prendre possession de quelques valises bourrées d’argent liquide. Une société est créée dans le IXeme arrondissement, « Expansial, chargée officiellement d’études de faisabilité en Algérie, mais qui permettait de masquer de discrets transferts d’argent entre Alger et le Parti Socialiste en vue de la Présidentielle de 1981 (1).
La gauche parvenue au pouvoir, l’Amicale déménage du quartier de l’Opéra dans un joli hôtes particulier de la rue Boileau dans le XVIeme arrondissement. Il faut un tel faste pour recevoir les camarades socialistes ou communistes devenus ministres. Tout baigne entre les dirigeants des deux pays. Le pouvoir algérien en s’appuyant sur l’Amicale et sur les agents de la Sécurité Militaire peut poursuit ses basses oeuvres en toute impunité.
Ali Mecili, avocat algérien talentueux et opposant très charismatique, est assassiné en plein Paris le 7 avril 1987, sans que la justice française puisse véritablement poursuivre son enquête sur les conditions de ce drame.
Lors de la cohabitation en France entre 1986 et 1988 où Alger se rapproche du Premier Ministre, Jacques Chirac, et de son ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, au mieux avec les militaires algériens, Ali Mecili, avocat algérien talentueux et opposant populaire, est assassiné en plein Paris le 7 avril 1987. Or la Brigade criminelle devait être dépossédée rapidement de toute possibilité d’enquête. Une fois arrêté, Malek Amelou, un petit proxénète en contact avec les services algériens et fortement suspecté par la police judiciaire est expulsé « en urgence absolue » par le ministère français de l’Intérieur. Depuis, ce suspect coule des jours heureux en Algérie où il est resté en très bon contact avec le ministère de l’Intérieur algérien (1).
« L’affaire Mecili, c’est une affaire Ben Barka bis, a pu estimer l’avocat des parties civiles, Maitre Antoine Comte. Sauf que pour Ben Barka, le président de Gaulle avait tapé du poing sur la table pour exiger que la justice passe. Cela a été tout le contraire dans le cas d’Ali Mecili. »
La fracture du 5 octobre 1988
Lors des émeutes sanglantes d’octobre 1988, la réaction de celui qui préside l’Amicale, Ali Ammar, sonne le glas de l’organisation. ‘Ce n’est qu’un chahut de gamins, lâche ce dernier sur RFI, une radio très écoutée en Algérie, , une histoire d’étudiants et de lycéens ». Résultat: au moins cinq cent moorts et une lente agonie pour une Amicale désormais discréditée.
Le régime algérien n’a pas abandonné pour autant le contrôle sécuritaire de l’activité politique de ses citoyens dans le pays mais aussi à l’étranger. Contraint de démanteler les structures de l’Amicale des Algériennes à l’étranger (AAE), qui dépendaient directement des organisations du parti FLN, le pouvoir tente de maintenir son emprise via des « assises de l’émigration ». Les gouvernements qui se sont succédés depuis 1990. Les partis politiques implantés au sein de l’émigration organisent eux aussi des conférences visant à séduire un nouvel électorat. Tous les partis agréés en Algérie ouvrent des antennes au sein de l’émigration. « Le Front Islamique du Salut » (FIS) qui regroupe les islamistes après l’ouverture du champ politique algérien en 1989 fonde à Paris la Fraternité algérienne en France (FAF).
Seul Mohamed Boudiaf eut des velléités, quand il succéda au président Chadli, de gérer autrement les émigrés algériens. Il s’agissait pour lui de créer un Conseil représentatif et indépendant de la communauté expatriée. « L’immigration doit aoir des exigences face à paris et face à Alger », proclamaient les conseillers de Boudiaf. Un rapport sans complaisance est rédigé qui faut un bilan impitoyable des trente années qui sont suivi l’indépendance. Du jamais vu! Plus qu’un catalogue, ce rapport revoie dos àdos tous les protagonistes: la gauche française, les présidents Boumedienne et Chadli, les islamistes et les services de l’ex Sécurité Militaire (SM). Ce réquisitoire fut sans lendemain un mercredi de juillet 1992. Quelques jours plus tard, le président Boudiaf était assassiné. L’Algérie entrait dans cette décennie noire qui vit la France devenir la base arrière des forces islamistes, victime en 1995 d’un attentat meurtrier à Saint Michel au coeur de Paris.
L’ère Bouteflika
L’arrêt du processus électoral en janvier 1992 provoque une guerre civile qui plonge des milliers de jeunes sur les chemins de l’émigration. La France reste la destination privilégiée. Mais d’autres pays accueillent des algériens comme la Grande Bretagne, le Canada, la Belgique et l’Allemagne.
Le président algérien Bouteflika, parvenu au pouvoir, change de stratégie envers la communauté algérienne. Il décide d’intégrer la communauté nationale vivant à l’étranger au sein d’un ministère. En 2008, les Algériens établis à l’étranger dépendent du ministère de la solidarité nationale, de la famille et de la communauté nationale à l’étranger. En juillet 2021, la population émigrée est intégrée au ministère des affaires étrangères et de la communauté nationale à l’étranger.
Il était plus facile pour le pouvoir de contrôler ses troupes lorsque les Algériens vivant à l’étranger se concentraient en France, alors qu’actuellement les communautés algériennes sont dispersées entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Le langage du pouvoir algérien a du abandonner le concept d’émigration ou de « communauté à l’étranger » pour parler désormais de diaspora, un terme qui traduit bien un changement de perception d’une mouvance imprévisible.
Les descendants d’immigrés ont en effet une très large autonomie face aux oukases des militaires et une large indifférence à l’égard de la vieille rhétorique nationaliste. Ce qui explique à quel point la diaspora va jouer un rôle clé dans la mobilisation qui va marquer l’Algérie à la fin du règne du Président Boutefika.
Autant la brutalité de la répression et l’épidémie du Covid ont eu raison des mobilisations hebdomadaires en Algérie, autant la diaspora porte désormais le flambeau de la révolte, en ordre dispersé et à travers des lanceurs d’alerte suivis par milliers sur les réseaux sociaux. Ce qui panique les militaires algériens démunis face à une émigration entrée en dissidence.
(1) Ces informations proviennent de « Paris, capitale arabe », Nicolas Beau, « Le Seuil », 1995, page 71
Quand l’Espagne livrait en 2022 à l’Algérie un opposant politique