La base militaire française à Niamey, un baril de poudre

Les manifestations autour de la base 101 se répètent. Le rond-point l’Escadrille où converge la foule et qui a gardé son nom colonial pourrait se transformer en épicentre d’une déflagration entre la rue nigérienne et la troupe française. Tout doit être fait pour éviter le scénario du pire. Toute les bonnes volontés diplomatiques, notamment le Maroc de plus en plus investi en Afrique, sont désormais les bienvenues pour sortir d’une impasse qui pourrait tourner au drame.

Une chronique d’Olivier Vallée

Quand est venue l’Indépendance, la France s’est faite menaçante car De Gaulle considère le Niger comme un atout multiple pour le maintien de la puissance française et refuse un non à la Communauté. De Gaulle aurait tranché dès le 26 août 1958 en déclarant à la délégation du Sawaba venue à Paris : «Que vous votiez oui ou non, l’Aïr n’ira pas à Moscou». L’objectif est d’éviter la contagion et de garantir les intérêts géostratégiques de la France. Il est déjà question de pétrole et d’uranium, de la politique atomique de la France qui nécessite les terrains sahariens, sans parler de la situation algérienne.

Pierre Messmer aurait déclaré de manière officieuse au gouverneur lors de son passage à Niamey à la veille du référendum : «On ne lâche pas un pouce de territoire[1].» Se déroule alors sur le territoire du Niger le premier coup d’État de l’ère des indépendances en Afrique, selon la formule de Klaas Van Walraven, un coup corse[2], orchestré par les conseillers techniques français et mis en œuvre par l’administration territoriale.

Le président Macron, qui paraît avoir pris les rênes de la conduite des relations avec le nouveau gouvernement nigérien, se démarque du lien vital que les Gaullistes semblaient vouloir maintenir de force avec le Niger. Mais dans le refus de considérer la souveraineté du Niger, il semble bien reproduire l’attitude brutale et coloniale de la veille des Indépendances.

La base 101, une nasse

Le président français s’il jouait au Go[3] saurait qu’il a perdu la partie. Il avait trois pierres, l’ex-Président Bazoum, l’ambassadeur de France et un important contingent militaire. Par une série de manœuvres extérieures au théâtre d’opérations, il a privé de liberté, selon le terme du jeu de Go, ces trois atouts. Bazoum est contraint de rester dans son palais alors qu’il aurait gardé un poids en obtenant de repartir avec une délégation nigériane. L’ambassadeur, en se rendant à une rencontre avec le nouveau gouvernement aurait peut-être retrouvé un peu de sa crédibilité gaspillée en provocations à l’université. Il aurait obtenu de rencontrer l’ex-Président Bazoum et de s’entretenir avec lui des meilleures options pour sortir de l’impasse. La préparation rapide, entre les deux CEMG du Niger et de la France, du programme de départ dans l’ordre du contingent français laissait au dossier une dimension technique et permettait déjà des rotations et des mouvements hors de la base.

Plutôt que de dissocier des questions délicates, la France les a transformées en un tout insoluble parce qu’à ses yeux, le gouvernement est illégitime et Bazoum, abandonné par un gouvernement qui préfère les bords de Seine, le seul interlocuteur valable.

Ni Bazoum, ni l’ambassadeur ne représentent à présent le moindre enjeu pour la CEDEAO, le gouvernement du Niger et son peuple. Le seul baril de poudre est la base 101 où se concentre le plus gros des éléments militaires français. Et où affluent des groupes pas forcément amicaux vis-à-vis du nouveau gouvernement et sur lesquels les services et la propagande étatique de la France diffusent largement des informations. Cela leur donne encore plus d’importance et ne réduit pas leur capacité de nuisance.

La terre brûlée

Toutefois, le gouvernement et l’armée du Niger s’efforcent d’éviter que des jeunes ne pénètrent dans l’enceinte de la base proche de Niamey. La partie américaine qui avait un contingent sur la Base 101 l’a transféré à la base 201. Le Pentagone est clair. Le Niger est le dernier point d’arrêt des groupes armés non étatiques et de l’influence russe. La coopération américaine repose sur les 3 D : Diplomatie, Défense, Développement. Sur ces trois aspects elle ne s’arrêtera pas.

Le président français a suscité de mauvais enthousiasmes poujadistes en annonçant la fin de l’appui au développement et des formes élémentaires de coopération, en particulier dans le domaine culturel. Il maintient un diplomate dépourvu de qualités personnelles comme professionnelles. Et il saborde les acquis du partenariat militaire élaboré ces dernières années dans un climat plus amical. Ce n’est pas Bazoum qui faisait que les relations entre la France et le Niger se stabilisaient. C’est sans doute la plus grande assurance de Niamey, du fait de perspectives pétrolières et économiques nouvelles, qui autorisait une relation plus équilibrée avec Paris.

Le choix de s’enferrer paraitrait dérisoire si la sécurité des soldats français et celle de la population nigérienne n’était pas menacée. Le risque peut être levé par l’annonce d’un départ programmé.

La diplomatie marocaine attendue

L’ex-président Bazoum ne peut pas ne pas être conscient de ce péril qui, loin de ternir la junte,  lui reviendrait, sans doute injustement. La France a besoin de l’aide du souverain marocain pour offrir à Bazoum une escale temporaire avant des fonctions internationales qu’il mérite. Le Maroc était présent au Mali au temps des empires africains : « Le 12 avril 1591, une grande bataille a lieu sur les bords du Niger, à Tondibi. Elle met aux prises une troupe marocaine commandée par un eunuque aux yeux bleus originaire de Grenade et composée essentiellement de mercenaires espagnols, et des dizaines de milliers de soldats songhaï. La défaite de ces derniers, face à des agresseurs dotés d’un armement à feu ravageur, signe la fin de l’empire de Gao, plus connu sous le nom de songhaï. Cet État noir islamique de la bordure sud du Sahara a prospéré pendant plusieurs siècles en servant d’intermédiaire entre l’Afrique noire et le monde méditerranéen.[5]» L’influence actuelle du Maroc en Afrique est pacifique mais appréciable dans de nombreux secteurs, de la banque aux engrais en passant par l’agriculture et la médecine.

Les politiques et les diplomates ont sacrifié à leurs volontés la mission première de la force française qui était de lutter contre les groupes armés extrémistes. Les militaires français et nigériens au plus haut niveau peuvent trouver la voie de ce désengagement devenu opportun dans une phase qui n’est plus propice au partenariat de combat. Les nombreux réseaux de l’ex-président Bazoum peuvent offrir une paix des braves aux civils au plus haut niveau.

[1] Camille Lefebvre, FRONTIÈRES DE SABLE, FRONTIÈRES DE PAPIER, Histoire de territoires et de frontières, du jihad de Sokoto à la colonisation française du Niger, xixe-xxe siècles, Bibliothèque historique des pays d’Islam, Éditions de la Sorbonne, 2015

[2] Le gouverneur en charge de la sale besogne est Jean Colombani.

[3] Go sur Diên Biên Phu Broché – 22 janvier 2004 de Marcel Georges (Auteur), Marcel Bigeard (Préface),  ‎ France-Empire; Nouv. éd édition

[5] https://www.herodote.net/12_avril_1591-evenement-15910412.php