Le faucon Kissinger (99 ans) devient une colombe face à la Russie

Évoquant Philippe Pétain, chef de l’État vichyste en France, le grand Charles de Gaulle a écrit dans ses mémoires publiées en 1954 cette sentence désormais célèbre : « La vieillesse est un naufrage ». Henri Kissinger, l’ancien secrétaire d’Etat, soit le ministre des Affaires Étrangères, de l’administration Nixon, ferait il mentir de Gaulle ?

Au sujet de la guerre en Ukraine, le presque centenaire a prôné pour un règlement diplomatique du conflit. Et à deux reprises !

La fureur de Zelensky

En mai au dernier forum de Davos, l’ancien secrétaire d’Etat de l’administration Nixon, a décoiffé l’assistance en estimant que Kiev ne devait pas humilier la Russie et devait faire des concessions territoriales pour parvenir à un règlement durable du conflit. Cette analyse a fait sortir Volodymyr Zelenski de ses gongs qui n’y a pas été par quatre chemin en comparant le diplomate aux architectes des accords de Munich. Le dirigeant ukrainien n’a pas été le seul à envoyer sa volée de bois vert.

Les pays de l’Europe de l’Est sont montés au front, à l’instar de l’ancien ministre estonien de la Défense : « Certains dirigeants veulent la paix à tout prix pour éviter les pertes civiles et avoir la conscience tranquille. Il faut veiller à ce que l’Occident, usé par la guerre, ne cherche pas une solution de facilité, à savoir la voie d’une paix imposée ». Devant le tollé, le vieil homme a tenté de faire machine arrière en expliquant qu’il avait été mal compris. Dans une interview accordée au Spiegel, le 15 juillet 2022, il s’explique « A aucun moment, je n’ai dit que l’Ukraine devait céder un territoire. J’ai dit que la ligne de démarcation logique pour un cessez-le-feu est le statut quo ante».

Une formule élégante et diplomatique qui revient à dire néanmoins que l’Ukraine devrait accepter que la Crimée et le Donbass deviennent légalement des territoires russes.

Une sagesse tardive

Dans ce long entretien avec l’hebdomadaire allemand, le nonagénaire adopte une posture sage en prenant ses distances avec la politique belliciste de Washington envers la Chine et la Russie : « Si affronter deux adversaires signifie étendre la guerre en Ukraine à une guerre contre la Russie, tout en restant dans une position extrêmement hostile à la Chine, je pense que ce serait une voie très imprudente. » En revanche, lorsque le journaliste lui demande si l’invasion américaine de l’Irak était une erreur de calcul, l’homme ne fait pas preuve du même humanisme « Je n’étais pas en poste à l’époque, mais j’y étais favorable (…) La destitution de Saddam Hussein avait de nombreuses justifications rationnelles et morales. » Et lorsqu’il est interrogé sur ses actions au Cambodge et au Chili, il justifie le contexte et ajoute : « Les hommes d’Etat ont toujours le dilemme d’équilibrer les intérêts nationaux dans des situations ambiguës. C’est très amusant pour les journalistes de signaler ensuite les erreurs qui ont été commises ou de se concentrer sur les résultats. » Et encore, Le Spiegel l’épargne en quelque sorte en ne l’interrogeant pas non plus sur les autres entreprises de déstabilisations, subversions, menées en Grèce, à Chypre, au Bangladesh ou au Timor oriental lorsqu’il était en poste et qui ont fait des centaines de milliers de morts. Autant de résultats de la realpolitik qui comptent quand même…