Afrique : Les programmes d’aide liés au Covid-19 sont insuffisants

La hausse de la pauvreté et de la faim met en lumière la nécessité d’étendre la protection sociale

(Nairobi, le 12 octobre 2021) – La pandémie de Covid-19 a mis en évidence la nécessité pour les gouvernements africains de renforcer les systèmes de protection sociale et de respecter les droits des personnes à une sécurité sociale et à un niveau de vie suffisant, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. De nombreux gouvernements africains ont introduit des mesures, comme des transferts monétaires et une aide alimentaire, pour faire face à la pauvreté et la faim croissantes occasionnées par la pandémie, mais la plupart des familles n’ont reçu aucun soutien. La Banque mondiale estime que la crise du Covid-19 aura fait basculer 29 millions d’Africain·e·s supplémentaires dans l’extrême pauvreté d’ici la fin de l’année 2021.

« La crise du Covid-19 a eu des effets catastrophiques sur les moyens de subsistance de millions de ménages en Afrique, laissant les familles avec une sensation de faim et le besoin désespéré d’aide », a déclaré Mausi Segun, directrice de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les gouvernements africains devraient de toute urgence investir dans les systèmes de protection sociale nécessaires pour permettre aux Africains de supporter avec dignité l’impact économique dévastateur de la pandémie. »

Entre mars 2020 et août 2021, Human Rights Watch a interrogé plus de 270 personnes au Cameroun, au Ghana, au Kenya, au Nigeria et en Ouganda sur l’impact de la pandémie sur l’accès  à la nourriture et aux moyens de subsistance, ainsi que sur les initiatives des gouvernements pour y répondre. Des chercheurs se sont entretenus avec des personnes et familles affectées, avec des professionnels de santé, des responsables du gouvernement et des représentants d’organisations non gouvernementales, d’institutions financières internationales et de bailleurs de fonds bilatéraux, entre autres.

Au Kenya et au Nigeria, Human Rights Watch a documenté des pertes d’emploi, des baisses de revenus et une faim généralisée chez les personnes vivant dans la pauvreté à Nairobi et à Lagos. Au Kenya, les recherches ont aussi révélé une augmentation des violences contre les femmes et les filles pendant les confinements et les couvre-feux liés au Covid-19. Au Ghana et en Ouganda, les chercheurs ont observé une hausse du travail des enfants due à la pandémie. Au Cameroun, les recherches ont mis en évidence une corruption et un manque de transparence dans l’utilisation par le gouvernement des fonds destinés à atténuer les impacts sanitaires et économiques du Covid-19.

Les entretiens au Nigeria, au Ghana et en Ouganda ont été menés par ou avec des organisations partenaires, y compris Justice & Empowerment Initiatives (Nigeria), Friends of the Nation (Ghana) et Initiative for Social and Economic Rights (Ouganda).

Les personnes interrogées dans les cinq pays ont indiqué que les confinements, les restrictions de déplacement et les autres mesures mises en place pour contrôler la propagation du virus, couplés à la récession économique liée à la pandémie, ont limité leur accès aux denrées alimentaires et autres produits de première nécessité. Au Ghana, une jeune fille de 14 ans a raconté que, après avoir été privée des repas gratuits à l’école en raison de la fermeture des établissements scolaires, elle a travaillé neuf heures par jour à vider et écailler du poisson. « Si je ne le fais pas, la vie sera dure pour nous tous », a-t-elle expliqué.

La plupart des personnes interrogées ont rapporté qu’elles n’avaient reçu aucune aide du gouvernement. « L’État ne nous a pas aidés », a indiqué la secrétaire d’un hôtel de Douala, au Cameroun, qui a lutté pour payer la nourriture et les frais de scolarité de ses enfants après que son salaire a été diminué des deux tiers.

L’absence d’allocations chômage, de prestations familiales et d’autres formes d’aide financière ou en nature pour les personnes qui ont perdu leur emploi ou leur revenu reflète les faiblesses des systèmes de protection sociale africains. Les données de l’Organisation internationale du Travail (OIT) révèlent que moins de 20 pour cent des Africains ont eu accès à une protection sociale, quelle qu’elle soit, en 2020 ou à la date des dernières données disponibles pour leur pays.

De nombreux gouvernements africains ont cherché à pallier les lacunes de la couverture de protection sociale pendant la pandémie en introduisant des mesures comme des transferts monétaires et une aide alimentaire. Mais Human Rights Watch a constaté qu’au Ghana, au Kenya, au Nigeria et en Ouganda, les programmes lancés ou étendus n’ont atteint qu’une fraction des ménages ayant besoin d’aide.

« Nous entendons sans cesse des rumeurs concernant des distributions d’argent et d’aliments par le gouvernement, mais je n’en ai pas vu dans ma région », a raconté une mère de sept enfants vivant dans l’État de Lagos, au Nigeria, qui a perdu son travail de femme de ménage en mars 2020 en raison des fermetures liées au Covid-19.

Les recherches au Kenya et au Nigeria ont aussi révélé que parfois, du fait de la corruption, l’aide sociale disponible limitée n’a pas bénéficié à ceux qui en ont le plus besoin. Au Kenya, Human Rights Watch a trouvé des preuves indiquant que les autorités locales et les responsables politiques chargés d’inscrire les personnes dans un programme de transferts monétaires lié au Covid-19 ont ignoré les critères d’éligibilité et ont distribué les aides à leurs proches ou à leurs amis. D’autres ménages qui en auraient eu besoin n’ont pas reçu d’aide. « Nous avons manifesté au bureau du chef parce que d’autres personnes recevaient une aide et pas nous », a expliqué une enseignante de Nairobi, qui a perdu son emploi pendant le confinement et a lutté pour nourrir ses quatre enfants en âge d’aller à l’école.

Le risque de corruption a été renforcé par le contrôle inapproprié des fonds prêtés pour faire face au Covid-19 par des institutions financières internationales, telles que le Fonds monétaire international (FMI). Les recherches de Human Rights Watch sur les exigences anti-corruption concernant les prêts d’urgence accordés au Cameroun et au Nigeria, ainsi qu’à l’Équateur et à l’Égypte, ont montré que les informations fournies par les gouvernements sur la façon dont ils ont dépensé les fonds du FMI variaient fortement et ne permettaient pas un contrôle efficace.

En vertu du droit international relatif aux droits humains, les gouvernements ont l’obligation de respecter le droit à un niveau de vie suffisant, y compris les droits à l’alimentation, à l’eau et à un logement adéquat et le droit à la sécurité sociale, qui sont aussi reconnus comme des droits au titre de la législation africaine relative aux droits humains. Le droit à la sécurité sociale exige des pays qu’ils fournissent des aides sociales pour les soins de santé, les personnes âgées, les enfants, le chômage et d’autres prestations nécessaires pour atteindre un niveau de vie suffisant, y compris en temps de crise économique.

« Pour de nombreux gouvernements africains, la pandémie de Covid-19 a été un signal d’alarme révélant la nécessité d’investir dans les systèmes de protection sociale non seulement pour garantir aux populations l’accès à l’alimentation et à d’autres produits essentiels, mais aussi pour permettre la résilience économique de leur pays », a conclu Mausi Segun. « Aujourd’hui, le défi consiste à renforcer et élargir les mesures temporaires mises en place en vue d’instaurer des programmes solides et transparents qui protégeront de manière permanente le droit des personnes à un niveau de vie suffisant. »

Pour plus de détails sur les recherches de Human Rights Watch, veuillez lire la suite.

Pour consulter d’autres communiqués et rapports de Human Rights Watch sur l’Afrique, veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/fr/africa

Pour consulter d’autres communiqués et rapports de Human Rights Watch sur la pauvreté et les inégalités, veuillez suivre le lien :
https://www.hrw.org/fr/topic/pauvrete-et-inegalites

Pour de plus amples informations, veuillez contacter :
À Abuja (travail de Human Rights Watch sur le Covid-19 en Afrique), Mausi Segun (anglais) : +234-805-442-5515 ou segunm@hrw.org. Sur Twitter : @MausiSegun
À Washington (protection sociale en Afrique et Covid-19), Jim Wormington (anglais, français) : +1-917-592-8738 (portable) ou worminj@hrw.org. Sur Twitter : @jwormington
À Abuja (pour des questions sur le Nigeria), Anietie Ewang (anglais) : +234 806 970 4797 ; +1 646 763 0756 ou ewanga@hrw.org. Sur Twitter : @aniewang
À Nairobi (pour des questions sur le Kenya), Otsieno Namwaya (anglais, swahili) : +254-728-891-575 (portable) ou mattheo@hrw.org. Sur Twitter : @onamwaya
À Rome (pour des questions sur le Cameroun), Ilaria Allegrozzi (anglais, français, italien) : +1-646-872-2984 (portable) ou allegri@hrw.org. Sur Twitter : @ilariallegro
À New York (pour des questions sur le Ghana et l’Ouganda), Jo Becker (anglais) : +1-914-263-9643 (portable) ou beckerj@hrw.org. Sur Twitter : @jobeckerhrw
À New York (pour des questions sur la protection sociale et le Covid-19), Lena Simet (anglais, espagnol, allemand) : +1-347-385-0695 (WhatsApp), +1-332-223-9045 (portable) ou simetl@hrw.org. Sur Twitter : @LenaSimet
À New York (pour des questions sur les institutions financières internationales et la transparence), Sarah Saadoun (anglais, français) : +1-212-377-9435 ou saadous@hrw.org. Sur Twitter : @sarah_saadoun

Pauvreté et faim croissantes en raison du Covid-19

En septembre 2021, les nations africaines avaient enregistré 7,95 millions de cas confirmés de Covid-19 et 200 762 décès, même si ces deux chiffres pourraient être significativement plus élevés en raison de la faible capacité en matière de tests.

La crise du Covid-19 a aussi ravagé les économies de nombreux pays africains, entraînant une envolée des niveaux de pauvreté sur le continent. Les économistes de la Banque mondiale prévoient que près d’un demi-milliard de personnes en Afrique vivront dans l’extrême pauvreté d’ici la fin de l’année 2021, soit près des deux tiers de la population mondiale vivant dans l’extrême pauvreté, définie comme le fait de vivre avec moins de 1,90 USD par jour.

Alors que d’autres régions ont commencé à retrouver des niveaux de croissance d’avant pandémie, le comportement des gouvernements et des entreprises riches a engendré un accès limité à des vaccins anti-Covid-19 à prix abordable en Afrique. Le manque de vaccins, associé à la pénurie de fonds gouvernementaux pour une relance budgétaire, a ralenti la reprise dans les nations africaines. La Banque mondiale estime que le taux d’accélération de la pauvreté en Afrique en 2021 sera plus du double du taux prévu avant la pandémie.

La pauvreté croissante a restreint l’accès de nombreux Africains à l’alimentation, à l’eau et à d’autres éléments du droit à un niveau de vie suffisant. Au Nigeria, d’après les enquêtes du Bureau national des statistiques (National Bureau of Statistics, NBS) analysées par Human Rights Watch, les niveaux de faim ont plus que doublé durant la pandémie. « Les personnes ont survécu en faisant preuve d’amour les uns envers les autres », a expliqué un membre de Nigerian Slum/Informal Settlements Federation, un réseau de communautés urbaines démunies. « Vous ne pouvez pas regarder vos voisins mourir de faim, mais vous ne pouvez donner des aliments que si vous avez vous-même. »

Au Kenya, plus de 90 habitants de quartiers informels dans la capitale, Nairobi, ont expliqué à Human Rights Watch que les confinements liés au Covid-19 avaient conduit à une faim extrême et à des pertes d’emploi. Une grand-mère de 75 ans vivant à Nairobi, qui s’occupe de petits-enfants atteints de maladies mentales, a relaté les difficultés qu’elle a rencontrées pour se procurer des médicaments et des aliments. « Lorsque le confinement est arrivé, ma petite activité de vente de détergents est devenue compliquée », a-t-elle raconté. « Je n’étais plus en mesure d’acheter des médicaments. Je volais des aliments, je mendiais et j’achetais de la nourriture à crédit ».

Au niveau mondial et en Afrique plus spécifiquement, les répercussions économiques de la crise du Covid-19 ont touché de manière disproportionnée les femmes et les filles et ont intensifié l’incidence des violences sexistes. Human Rights Watch a constaté que les souffrances apportées par la pandémie au Kenya, ainsi que l’incapacité du gouvernement à garantir l’accès à des services d’aide sanitaire, économique et sociale sur fond de restrictions des déplacements, ont contribué à accroître les violences sexuelles et autres formes de violence à l’encontre des femmes et des filles. La pauvreté et le manque d’accès à un logement de remplacement créent des obstacles considérables pour les personnes qui voudraient échapper à des situations de violences et demander de l’aide. « J’ai été forcée de rester chez moi alors que je subissais des violences parce que je n’avais nulle part où aller », a indiqué une survivante de violences domestiques dans le comté de Kisumu.

Avec la perturbation des revenus des ménages, les enfants dans de nombreux pays africains ont de plus en plus souffert de la faim. Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a estimé que l’insécurité alimentaire aiguë a augmenté en Afrique de près de 15 pour cent au cours du premier semestre 2020. À compter d’avril 2020, plus de 50 millions d’écoliers africains ont été privés de l’accès aux repas gratuits à l’école, 40 millions d’entre eux en ont été affectés pendant au moins six mois. « Certains jours, nous allions dormir avec le ventre vide parce que nous ne trouvions rien à manger », a raconté un travailleur de 14 ans en Ouganda, dont l’employeur dans une carrière de calcaire a commencé à les payer lui et sa mère avec de l’alcool après que son entreprise a périclité pendant la pandémie.

Inégalités frappantes dans l’accès à la protection sociale à l’échelle mondiale

D’après l’OIT, seuls 17 pour cent des Africains ont eu accès à au moins une aide de protection sociale en 2020 ou à la date des dernières données disponibles, dont 5 pour cent de travailleurs au chômage et 13 pour cent d’enfants.

D’importantes disparités ont aussi été observées entre les pays : près de la moitié des Sud-Africains ont pu recevoir au moins une prestation de protection sociale par rapport à seulement 11 pour cent des Nigérians et 3 pour cent des Ougandais. Le manque d’accès à des aides reflète le sous-investissement dans la protection sociale en Afrique, où les gouvernements allouent moins de 4 pour cent de leur produit intérieur brut (PIB) aux programmes de protection sociale, hors soins de santé, par rapport à la moyenne mondiale de 13 pour cent.

Le manque d’accès à la protection sociale en Afrique traduit aussi les inégalités mondiales en matière de dépenses de protection sociale, qui se sont accrues pendant la crise du Covid-19. En mai 2021, les données de la Banque mondiale ont montré que les habitants des pays à revenu élevé avaient bénéficié de mesures de protection sociale face à la pandémie à hauteur de 847 USD par personne en moyenne, tandis que les habitants des pays africains avaient reçu en moyenne 28 USD par personne seulement.

Cette disparité croissante a incité une coalition mondiale d’organisations non gouvernementales et Olivier De Schutter, le Rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, à lancer un appel aux gouvernements du monde entier afin qu’ils instaurent un Fonds mondial pour la protection sociale pour répondre au besoin de financement accru de la protection sociale dans les pays à faible revenu.

Efforts pour étendre la protection sociale pendant la crise du Covid-19

Pour combler les lacunes de la couverture de protection sociale à l’apparition de la pandémie de Covid-19, 51 des 55 États membres de l’Union africaine ont annoncé, en mai, un total de 238 mesures de protection sociale nouvelles ou élargies. L’OIT a noté que 86 pour cent de ces mesures étaient des aides sociales ou des mesures « non contributives », financées par les revenus fiscaux des gouvernements et non par les bénéficiaires. Vingt et un pour cent étaient des transferts monétaires ou d’autres formes de subvention et 16 pour cent étaient des aides alimentaires et nutritionnelles.

Au Nigeria, où plus de 40 pour cent des 211 millions d’habitants vivent dans l’extrême pauvreté, le gouvernement fédéral a élargi un programme de transferts monétaires existant qui versait aux ménages éligibles 5 000 nairas (12 USD) par mois. Le programme a octroyé des paiements à près d’un million de ménages en juin 2020, même si ce nombre est tombé à 400 000 en décembre 2020. En janvier 2021, le gouvernement fédéral a aussi créé un nouveau projet de transferts d’argent visant à fournir une réponse rapide à un autre million de foyers. D’après les chiffres du gouvernement fédéral, les gouvernements fédéral et étatiques ont également apporté une aide alimentaire à court terme à 8,8 millions de ménages.

Au Kenya, en 2020, le gouvernement a effectué des versements de 4 000 shillings kényans (37 USD) tous les deux mois à plus de 1,1 million de personnes via un programme de transferts monétaires existant. En outre, il a lancé un nouveau programme de transferts monétaires spécifique à la pandémie, qui a versé aux bénéficiaires 1 000 shillings kényans (9 USD) par semaine et a concerné 332 563 bénéficiaires entre avril et novembre 2020, d’après les chiffres du gouvernement.

Beaucoup n’ont reçu ni transferts monétaires ni aide sociale

Malgré le renforcement de l’aide sociale, les gouvernements africains ont toutefois laissé de nombreuses personnes sans assistance financière ou en nature pendant la crise du Covid-19. L’UNICEF a estimé que les programmes de transferts monétaires élargis ou lancés entre avril et septembre 2020 ont amélioré la couverture existante de seulement 8 pour cent en moyenne dans 27 pays africains, créant des « fossés importants » entre taux de pauvreté et couverture.

Au Nigeria, l’analyse des enquêtes du NBS menée par Human Rights Watch a révélé qu’en mai, août et novembre 2020, 15 pour cent maximum des ménages à l’échelle du pays ont reçu des transferts monétaires ou une aide alimentaire. Environ la moitié de tous les ménages interrogés durant les mêmes intervalles étaient déjà à court de produits alimentaires durant les 30 jours précédents. « Ils ont annoncé sur les réseaux sociaux que les gens recevraient des transferts d’argent de 5 000 nairas [12 USD] », a raconté un chauffeur de bateau-taxi à Lagos. « Mais ce n’était qu’une fausse promesse. Donc beaucoup de personnes n’ont pas de quoi survivre et le gouvernement ne s’est occupé que de lui-même. »

L’aide limitée reçue par les personnes pendant la pandémie a suscité des interrogations sur l’utilisation faite par les gouvernements fédéral et étatiques nigérians des fonds alloués pour faire face au Covid-19. « Nous avons entendu parler de tout cet argent que le gouvernement était censé recevoir en raison du Covid-19 – des milliards de nairas – et le gouvernement a communiqué sur les aliments qu’il était en train de distribuer, mais la plupart des communautés n’en ont jamais reçu », a indiqué un éducateur en santé communautaire à Lagos. Un rapport conjoint de trois groupes non gouvernementaux nigérians sur la distribution de l’aide alimentaire à Lagos pendant la pandémie a conclu que les « responsables politiques ont détourné les colis au niveau local » et qu’il n’y avait « aucun critère objectif pour identifier les personnes vulnérables ».

Au Kenya, Human Rights Watch a établi que moins de 5 pour cent des 600 000 ménages des quartiers informels de Nairobi ont bénéficié des transferts d’argent liés au Covid-19 entre avril et novembre 2020. Parmi les habitants de Nairobi qui ont reçu les versements, beaucoup ont raconté à Human Rights Watch que la somme perçue était trop faible et les paiements étaient irréguliers. « Au début, je recevais 1 000 shillings kényans [10 USD] chaque semaine en avril [2020], mais la somme n’était pas suffisante », a expliqué une mère de trois enfants. « En général, je les dépensais le jour même où je les avais reçus pour nos besoins domestiques. »

Les conditions ont été bien pires pour ceux qui n’ont reçu aucun transfert monétaire. « Je n’avais pas de nourriture pour mes enfants et ils ont pleuré pendant des jours », a indiqué une mère célibataire de deux enfants qui a enfreint les restrictions de déplacement liées au Covid pour laver des vêtements contre un peu d’argent.

En Ouganda, l’ONG Initiative for Social and Economic Rights a estimé en décembre 2020 que la protection sociale a concerné uniquement 3 pour cent des 9,5 millions d’habitants du pays « ayant un besoin urgent de filets de sécurité ». Bon nombre des 32 enfants ougandais interrogés sur l’impact de la pandémie avaient dû chercher un travail parce que leurs familles ne pouvaient plus répondre à leurs besoins essentiels. Une jeune fille de 13 ans a raconté que, avant de commencer à travailler en vendant des balais dans la rue, sa famille se nourrissait uniquement de thé et de porridge. « Je me suis mise à travailler parce que nous allions vraiment trop mal », a-t-elle précisé. « La faim à la maison était trop forte pour rester assis à ne rien faire. »

Au Ghana, 21 enfants sur les 24 interrogés ont répondu que leurs familles n’avaient reçu aucune aide du gouvernement. La plupart des enfants avaient commencé à travailler ou avaient augmenté leurs heures de travail pendant la pandémie pour subvenir à leurs besoins ou à ceux de leurs familles. « Je suis allé travailler au moins pour me prendre en charge », a raconté un garçon de 15 ans, en expliquant que ses amis lui avaient parlé de l’argent qu’ils gagnaient en transportant des produits.

Les pays dotés de systèmes de protection sociale plus développés avant la crise du Covid-19 ont connu plus de succès dans l’élargissement de la couverture. L’Afrique du Sud, dont le système de protection sociale de longue date fournissait déjà des allocations familiales et sociales à 18 millions de personnes avant le Covid-19, a versé des aides « complémentaires » aux bénéficiaires éligibles (et bénéficiant donc déjà d’allocations) en mai et octobre 2020.

L’Afrique du Sud a aussi mis en place une allocation mensuelle de 350 rands (24 USD) spécifique au Covid-19 à partir de mai 2020, qui a étendu la protection sociale à 6 millions d’adultes au chômage ne recevant aucune autre aide. L’Afrique du Sud a aussi connu une hausse considérable de la faim au début de la crise du Covid-19, mais les versements complémentaires et les allocations ont apporté aux ménages une certaine protection face aux pires conséquences économiques de la pandémie, contribuant à un débat national sur l’instauration d’une allocation de revenu de base universelle.

Nécessité de systèmes de protection sociale exhaustifs et permanents

Alors que le Covid-19 continue à se propager en Afrique, ses gouvernements devraient s’appuyer sur les mesures de protection sociale élargies créées pendant la pandémie et travailler à des prestations de protection sociale universelles pour garantir aux familles qui ont perdu leurs emplois ou leur revenu le maintien d’un niveau de vie suffisant.

Les gouvernements africains devraient intégrer le droit à la sécurité sociale dans la législation nationale et adopter, financer et accorder des droits permanents à des prestations de protection sociale, comme des allocations familiales universelles et un soutien financier pour les travailleurs au chômage, y compris dans le secteur informel. Les gouvernements devraient pérenniser les fonds alloués à la protection sociale pendant la pandémie afin de les protéger de possibles coupes budgétaires futures et ils devraient également élaborer des propositions pour collecter plus de revenus par des mesures fiscales progressives.

Les institutions financières internationales et les bailleurs de fonds bilatéraux devraient aussi augmenter significativement le soutien financier et l’aide technique disponibles pour étendre la protection sociale en Afrique. Ils devraient aussi éviter d’imposer des conditions qui forceraient directement ou indirectement les gouvernements à supprimer la hausse des aides dans le cadre de la protection sociale mise en place pendant la crise du Covid-19. Toute dépense internationale pour la protection sociale devrait être associée à des mesures pour lutter contre la corruption et pour tenir les institutions gouvernementales bénéficiaires responsables de leurs dépenses.