Sous prétexte qu’ils sont des « alliés sûrs » de la lutte contre le terrorisme, les présidents nigérien et tchadien piétinent allègrement la démocratie et les droits de l’homme dans leur pays sans que leurs partenaires occidentaux, notamment la France de Macron et Le Drian, ne trouvent à redire.
Un véhicule blindé a défoncé dimanche soir à N’Djamena le portail du domicile de l’opposant Yaya Dillo, candidat déclaré à la présidentielle d’avril prochain. Des chars de combats, des troupes d’élites, qui encerclaient la maison de Dillo, ancien ministre et ancien conseiller du président Déby, ont ouvert le feu sur lui et sa famille, tuant sa mère et un de ses neveux. Dans la foulée, le pouvoir tchadien a restreint internet et les communications téléphoniques. Tout ce branle-bas de combat au motif que Dillo aurait refusé de déférer à une convocation judiciaire pour « injures » et « diffamation » envers la première dame du Tchad Hinda Déby Itno.
Ce n’est pas tant la brutalité du pouvoir tchadien, coutumier des violences contre ses opposants, qui surprend dans cette affaire. Le plus effarent, c’est le silence assourdissant des partenaires du Tchad, à commencer par Emmanuel Macron qui promettait de téléphoner à Paul Biya pour l’interpeller sur les violations des droits de l’homme dans le Cameroun anglophone. On n’a pas non plus entendu sur ces violences du régime tchadien Jean-Yves Le Drian qui s’est ému le 27 janvier dernier devant le Sénat français des violations des droits de l’homme en Guinée.
L’Union européenne aux abonnés absents
Autre décor, mêmes réalités : au Niger, le régime du président Issoufou s’est engagé dans une violente répression de la contestation qui a suivi la proclamation des résultats du second tour donnant le candidat du pouvoir Mohamed Bazoum vainqueur du scrutin avec 55,6% des suffrages. Au moins deux personnes ont été tuées alors que le principal opposant au régime Hama Amadou a été incarcéré à Filingué, à près de 150 km au nord-ouest de Niamey, pour sa responsabilité présumée dans les troubles qui ont secoué le pays. Outre Hama Amadou et plusieurs cadres de son parti, l’ancien chef d’état-major des armées Moumouni Boureima a également été jeté en prison à Ouallam, à près de 200 km au nord-ouest de Niamey. Des unités antiterroristes financées par l’Union européenne formées par les gendarmeries espagnole, française, italienne et portugaise ont participé à l’arrestation des opposants nigériens. Sans que la Commission de l’UE pas plus que les 27 Etats membres de l’U n’émettent la moindre réserve à fortiori la moindre critique sur le détournement de ces forces d’élites censées lutter contre les groupes armés terroristes.
Deux poids, deux mesures
Depuis près d’une semaine, Internet a été coupé et les communications téléphoniques ont été restreintes au Niger pour empêcher que la contestation du pouvoir se propage. Comme les autres partenaires occidentaux du Niger, la France joue aux abonnés absents : ni la porte-parole du Quai, ni son ministre Le Drian, encore moins le président Macron, si prompt à faire la leçon à Alpha Condé, ne se sont inquiétés du climat de répression politique au Niger.
La France peut donc critiquer vertement Alpha Condé mais pas interpeller sur les violences politiques Idriss Déby et Mahamadou Issoufou dont elle a besoin comme alliés pour lutter contre le terrorisme au Sahel. C’est une grave erreur. Au-delà de cette attitude de deux poids, deux mesures qui rend inaudible le discours de la France sur les droits de l’homme et la démocratie en Afrique, il est établi que la mauvaise gouvernance, l’impunité et les injustices sont des arguments de recrutement pour les groupes armés terroristes du Sahel.
Francis Sahel