« A qui la fuite ? » Lancée avec humour par un diplomate français, la question taraude les esprits depuis la sortie sur le net de l’enregistrement non authentifié d’une conversation explosive entre l’ancien ministre des affaires étrangères burkinabè Djibril Bassolé et le président de l’assemblée nationale ivoirienne Guillaume Soro. Rendu public le 12 novembre, l’échange téléphonique fait entendre des voix présentées comme celles des deux hommes évoquant leur soutien au putsch manqué du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), l’ancienne garde rapprochée de Blaise Compaoré, contre le régime de transition.
Guerre de succession
Dans l’attente d’une expertise, chacun interroge la provenance de cet enregistrement à la lumière des personnes auxquelles il nuit. Grand concurrent de Guillaume Soro dans la course à la présidence ivoirienne pour 2020, Hamed Bakayoko fait figure de premier suspect. Grand ami du couple présidentiel, proche de la première dame Dominique Ouattara, le ministre de l’intérieur qui ne fait pas mystère de son ambition à devenir chef d’Etat est vivement pris à partie dans l’enregistrement par Soro. Ce dernier affirme notamment qu’Hamed Bakayoko a mis en relation le favori des prochaines élections burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré, avec deux puissants hommes d’affaires Paul Fokam et Pierre Fakhouri dans le but de financer sa campagne électorale pour les scrutins présidentiel et législatif du 29 novembre. Jusqu’alors vive mais toujours feutrée, « la guerre de succession est désormais clairement ouverte en Côte d’Ivoire » commente un ancien diplomate.
Au point d’organiser la fuite d’écoutes téléphoniques ? « Les renseignements ivoiriens sont en tout cas en capacité technique d’obtenir de tels enregistrements » affirme une source militaire. Grand rival d’Hamed Bakayoko, Guillaume Soro fait par ailleurs figure d’allié de plus en plus encombrant pour le président ivoirien Alassane Ouattara lui-même. S’il lui doit en grande partie son arrivée au pouvoir, le chef de l’Etat n’ignore pas que Soro pourrait avoir un jour à répondre devant la CPI pour ses actes en tant qu’ex chef rebelle lors de la crise post-électorale de 2010-2011.
Cabale politique ?
Deuxième victime de ces enregistrements : Djibril Bassolé. Accusé par les autorités de transition d’avoir mobilisé « des forces étrangères et des groupes djihadistes » afin de soutenir le coup d’Etat du RSP, l’ex ministre des affaires étrangères de Blaise Compaoré a été arrêté et mis en détention deux mois avant la diffusion de cet enregistrement. Les autorités prétendaient alors être en possession d’écoutes téléphoniques compromettantes mais ont toutefois refusé de les produire jusqu’à aujourd’hui. L’enregistrement diffusé sur les réseaux sociaux n’a quant à lui toujours pas été versé au dossier judiciaire explique l’avocat de Djibril Bassolé, Alexandre Varaut, qui parle d’une manipulation. « En sa qualité d’homme politique, Djibril Bassolé a eu des conversation téléphoniques avec de nombreuses personnalités de haut rang y compris à l’étranger. Mais cet enregistrement est totalement faux » déclare l’avocat.
A Ouagadougou des soupçons de fuite se tournent vers les autorités de la transition qui, à travers l’adoption en avril 2015 d’un nouveau code électoral interdisant aux anciens du régime Compaoré de se présenter aux élections, avaient empêché la candidature de Djibril Bassolé. « Ce faisant, le duo formé par le président Michel Kafando et le premier ministre Zida a ouvert un boulevard à Marc Kaboré et son allié Salif Diallo vers la présidence » analyse l’ancien Monsieur Afrique du PS, Guy Labertit. L’enregistrement circulait par ailleurs sous le manteau à Ouagadougou, y compris au niveau du gouvernement de la transition, bien avant sa diffusion. Alors que les élections du 29 novembre approchent, l’entourage de Djibril Bassolé dénonce une « cabale politique » et un « acharnement » contre lui.
« Faiseur de roi »
Malgré la victoire annoncée de Marc Kaboré qui bénéficie notamment du soutien de l’Elysée, plusieurs de ses partisans redoutaient que, dans le cas d’un deuxième tour, Djibril Bassolé n’appelle ses électeurs à rallier Zéphirin Diabré, autre poids lourd de la compétition. « Dans cette configuration, Bassolé aurait pu être le faiseur de roi » relève une source politique burkinabè.
Traditionnellement bien implantés dans les campagnes, plusieurs leaders d’opinion locaux de l’ancien parti de Blaise Compaoré, le CDP, ont été écartés du scrutin à venir. Le parti est par ailleurs confronté au gel de ses comptes tout comme la formation de Djibrill Bassolé, La Nouvelle alliance du Faso (NAFA).
Règlement de comptes chez les ex du CDP
D’autres faits récents alimentent les interrogations quant à l’implication des responsables de la transition dans la diffusion de l’enregistrement controversé. Le 6 novembre, quelques heures après la tenue d’une conférence de presse au cabinet parisien de l’avocat Alexandre Varaut, les autorités burkinabè ont adopté un décret mettant fin à la disponibilité de Djibril Bassolé, lui rendant ainsi son statut de général de brigade incompatible avec une candidature électorale selon les termes de la Constitution burkinabè. « C’est un bonne parade pour le cas où la Cour de justice de la CEDEAO réitérerait ses exigences de voir se tenir des élections inclusives » s’agace un proche de Djibril Bassolé. En juillet dernier, la Cour avait en effet invalidé le code électoral considérant que celui-ci constituait « une violation du droit de libre participation aux élections ».
Enfin, fin octobre dernier, l’un des cousins de l’ex ministre des affaires étrangères Nicodème Bassolé a été mis en détention au Burkina Faso à la suite d’une rencontre avec l’avocat Varaut de passage à Ouagadougou.
A la guerre de succession entre leaders politiques ivoiriens répond une autre bataille, celle-ci purement burkinabè : les règlements de compte entre anciens dignitaires du CDP.