Blocages, sit-ins, manifestations, contre-manifestations, police, négociations. La prestigieuse université parisienne, sensée former les futures élites françaises, n’aura connu aucun répit de mercredi à vendredi. Pour cause, un mouvement étudiant pro-palestinien naissant, en colère contre une administration perçue comme pas assez claire ou ferme sur la question Gazaouie. Retour sur les événements qui ont secoué Sciences Po.
Un article de Mateo Gomez.
La liste des établissements européens et nord-américains qui se mobilisent actuellement pour protester contre la guerre menée par Israël contre la bande de Gaza – qualifiée de génocidaire par nombre de militants – n’en finit plus de s’allonger. Plus d’une vingtaine de campus aux États-Unis. Sciences Po Paris et la Sorbonne en France. Leeds University, University College London ou encore Warwick University au Royaume-Uni. McGill et Concordia au Canada…Depuis début avril en revanche, il n’y a plus aucune université à Gaza. Elles ont toutes été détruites.
À Sciences Po, les étudiants révoltés s’inspirent depuis mercredi des techniques des universités états-uniennes, notamment Columbia, dans l’État de New York, avec qui Sciences Po a un partenariat resserré, our affirmer leur solidarité avec les Palestiniens. Ainsi un sit-in s’installe; dans la foulée, dans la cour du campus de Saint-Thomas d’Aquin, à un jet de pierre du campus historique rue Saint-Guillaume, les tentes fleurissent. Les étudiants comptent bien y passer la nuit.
L’administration de Sciences Po s’agace. Que réclament-ils? Qu’attendent-ils donc de Sciences Po? Une bonne question, à laquelle l’organisation étudiante Comité Palestine Sciences Po a bien préparé sa réponse: l’organisation d’un grand débat interne sur la réponse de la grande école à la question palestinienne, l’arrêt immédiat de toute procédure disciplinaire envers les militants palestiniens depuis le 16 avril, et, point le plus contentieux, la création d’un comité dédié à enquêter sur les partenariats de Sciences Po avec les entreprises et universités israéliennes, pour découvrir si elles soutiennent ou pas le l’horreur à Gaza.
Actuellement, l’université a des partenariats avec quatre universités en Israël: l’Université Ben Gourion du Néguev, à Beer Sheva ; l’Université Hébraïque de Jérusalem, à la ville sainte; et les universités Reichman et de Tel Aviv, les deux à Tel Aviv.
Une intervention policière
Les négociations débutent mercredi en fin d’après-midi entre l’administration et le Comité Palestine, mais ne vont nulle part. “L’admin ne voulait rien savoir”, soupire Julieta (son prénom a été changé pour anonymat), étudiante en L1. “Ils ont rapidement menacé d’appeler la police”. Malgré les menaces, environ 80 étudiants décident de rester après 21h, heure de la fermeture complète des campus pour la nuit. Une partie de l’administration rentre dans le jeu et refuse également de quitter les lieux sans que tout le monde soit parti.
Jean Bassères, directeur par intérim de l’établissement, appelle donc la police, en prenant le soin de demander au préalable à la ministre de l’enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, si cela est acceptable. Elle donne le feu vert. Après un avertissement, la police finit finalement par pénétrer dans le campus, vers une heure du matin. “C’était totalement disproportionné”, peste Julieta. “Plus d’une centaine de flics contre quelques dizaines d’étudiants pacifiques!”. D’après la préfecture, 70 étudiants auraient été évacués de force, mais sans arrestations.
Le lendemain, la nouvelle fait coup de tonnerre. En effet, c’est la première fois dans l’Histoire de l’école que les forces de l’ordre pénètrent dans l’enceinte d’un des campus. L’Union étudiante Sciences Po Paris, le plus grand syndicat étudiant de l’établissement, estime que la décision de l’administrateur provisoire de Sciences Po “de faire intervenir la police” dans la nuit de mercredi à jeudi était “à la fois choquante et profondément préoccupante” et témoignait d’”un tournant autoritariste sans précédent”. Le Comité Palestine est révolté: “Le fait d’inviter la police à pénétrer pour la première fois dans notre école était une ligne rouge claire qui a été franchie”, déclarent-ils sur instagram.
Jeudi 25, un deuxième sit in
La réaction ne se fait pas attendre. Dès le midi du jeudi 25, un deuxième sit-in avec encore plus de participants se met en place, cette fois-ci au campus historique du 27 rue Saint-Guillaume – là où siègent la direction et le conseil d’administration. “Je suis venue avec ma bouffe et mon sac de couchage”, prévient Maëlle, étudiante en M1. “On passe la nuit ici!”.
L’idée se répand à travers les boucles WhatsApp et Télégram, puis s’officialise vers 17h, lors d’une Assemblée Générale des manifestants. L’occupation s’installe: les étudiants se répartissent dans les salles de cours, les têtes sont comptées, la nourriture partagée. Mais ce soir-là, à la surprise générale, l’administration ne fait pas appel à la police: au contraire, ils rentrent simplement chez eux, et abandonnent le campus.
“La technique de l’autruche”
Ce n’est en réalité pas un soulagement pour les occupants, qui s’attendaient pleinement à se faire déloger dès les 21h sonnées. “C’est la technique de l’autruche de la part de l’administration”, déplore Alice. “Si les flics étaient venus une deuxième fois d’affilée on aurait eu beaucoup plus de couverture médiatique”. Et en effet les membres de la presse qui étaient venus repartent rapidement, dépités par le manque d’action. L’administration a de quoi se réjouir: ils ont désamorcé une bombe médiatique. Les occupants serrent les dents: grand bien leur fasse, la contestation continue. Toute la soirée, les chants pro-palestiniens résonnent à l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment, et le Comité Palestine, d’une organisation redoutable, prépare le lendemain: groupes de travail, préparations d’un blocage et de négociations avec la direction.
Le lendemain, vendredi 26, dès 7h du matin, les premiers employés de Sciences Po voient les entrées du bâtiment bloquées par des barrières en métal et des poubelles. Personne ne peut rentrer, les cours sont annulés. C’est le début d’une longue journée. Il n’est pas encore midi que Jean Bassères et des représentants du Comité s’attablent aux négociations. Celles-ci sont longues et sinueuses.
D’un côté, le directeur provisoire menace de suspendre les scolarités, de priver les organisateurs de diplôme, de décaler la période d’examens pour retourner les étudiants contre la contestation. De l’autre, les représentants promettent des occupations et des blocages quotidiens, pour voir combien de jours d’affilée est-ce que l’administration osera envoyer les forces de l’ordre dans l’enceinte de l’école. Dehors, au fur et mesure de l’après-midi, d’autres étudiants arrivent en renfort, et la tension monte. “De plus en plus de CRS se pointaient, c’est vite devenu hyper-tendu”, se souvient Eva qui manifeste à l’extérieur. “La nasse qui permet ax forces de l’ordre de nous encercler était étouffante”, confirme Alain, un nom que nous avons modifié pour protéger notre source.
Le barrage de la presse
Par contre, pour les manifestants, le pari raté la veille au soir est réussi le lendemain: la présence policière a attiré la presse et les caméras comme des mouches. Et pas seulement: des alliés inespérés sont apparus tout le long de l’après-midi, sous la forme de députés de La France Insoumise (dont la controversée Rima Hassan), venus soutenir la manifestation. LFI aura été le seul parti à venir en soutien. “C’est vraiment les journalistes et les élus qui nous ont sauvés”, continue Eva. “Ils faisaient barrage entre nous et les CRS. Sans eux, on se serait fait gazer”.
Les matraques et les grenades lacrymogènes restent donc rangées, mais en l’absence de nouvelles venant de la table des négociations, l’atmosphère devient peu à peu irrespirable. La nasse se resserre. L’élégant boulevard Saint-Germain-des-Prés, adjacent à la rue Saint-Guillaume, est bloqué par les forces de l’ordre, et la police et les manifestants doivent faire face vers 17h à une contre-manifestation Israélienne, qui est finalement éconduite. “Ils [la police] ont fini par lancer trois avertissements. Si on se dispersait pas ils chargeraient”, toujours selon Eva. “Mais après ça a été comme dans un film”, sourit-elle. “Pile après le troisième [vers 20h], un représentant du Comité est sorti: ils avaient trouvé un accord avec la direction!”
Ainsi, après 14h de blocage et 32h d’occupation, la contestation se disperse, escortée pacifiquement jusqu’aux bouches de métro avoisinantes par la police. L’administration cède sur deux des trois demandes du Comité Palestine: l’organisation d’un grand débat interne, et la fin des procédures disciplinaires à l’encontre des étudiants militants pro-palestiniens. Une victoire durement arrachée, qui a vite des conséquences allant bien au-delà du 27 rue Saint-Guillaume. D’un côté, mardi 29, la présidente de la région Île-de-France a annoncé la suspension des financements de la région destinés à SciencesPo. De l’autre, la Sorbonne fut à son tour occupée puis évacuée, et d’autres contestations étudiantes en France sont en préparation.
Le début, peut-être, d’un mouvement étudiant printanier axé sur la polarisante question palestinienne.
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