En réponse à des manifestations dans la ville minière déshéritée de Jerada en mars 2018, les autorités marocaines ont mené une campagne de répression de plusieurs semaines, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Les forces de l’ordre ont fait un usage excessif de la force contre des manifestants, ont gravement blessé un garçon de 16 ans, percuté par une fourgonnette de police conduite de manière irresponsable, et ont arrêté des leaders du mouvement de protestation, qui auraient ensuite été maltraités en détention.
Cette répression s’apparente à la réaction des autorités, en 2016-2017, suite à des manifestations dans la région du Rif, située également dans le nord du Maroc, et dont l’objet était également de protester contre ce qui était perçu comme le désintéressement du gouvernement face au manque d’opportunités socio-économiques dans la région. Les autorités ont affirmé que les manifestants de Jerada ont été arrêtés car ils étaient devenus violents et avaient endommagé des biens.
S’il est vrai que des manifestants ont jeté des pierres le 14 mars et que, selon les autorités, ils auraient aussi allumé des incendies, cela ne justifie pas pour autant le recours à une force aveugle et excessive, ni les arrestations qui avaient commencé avant cette date. Cela ne justifie pas non plus la répression de manifestations pacifiques, ou les abus allégués contre des personnes en détention.
« La répression à Jerada est allée bien plus loin qu’un simple effort visant à traduire en justice des manifestants prétendument violents », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Il semble qu’elle visait plutôt à réprimer le droit de manifester pacifiquement contre la situation socio-économique de la région. »
Des chercheurs de Human Rights Watch qui ont visité Jerada le 4 avril ont été stoppés et interrogés à deux postes de contrôle, puis suivis de près toute la journée par une voiture avec trois hommes en civil à son bord. Les chercheurs ont observé une forte présence des forces de sécurité : des policiers en uniforme et armés déployés dans chaque rue et place importante de cette petite ville, et plus de 100 fourgonnettes de police et autres forces armées stationnées dans les alentours. Les chercheurs avaient rencontré des activistes des droits humains, ainsi qu’Abdelhak Benkada, l’avocat de nombreux manifestants, dans la ville voisine d’Oujda le 3 avril.
Les activistes ont affirmé à Human Rights Watch qu’à partir de ce jour-là, des agents de police ont forcé les portes et brisé les fenêtres de plusieurs maisons à Jerada, frappant et interpellant plusieurs hommes sans présenter de mandats d’arrêt ni de perquisition.
Selon les mêmes sources, ces opérations se sont poursuivies jusqu’à très récemment, avec 23 arrestations recensées entre le 12 et le 27 mai. Au 31 mai, 69 manifestants, dont trois mineurs, étaient en prison ou en détention préventive. Quatre d’entre eux, dont deux leaders des manifestants, étaient détenus en isolement depuis plus de deux mois.
Les manifestations à Jerada, ville de 40 000 habitants, ont commencé après la mort accidentelle de deux ouvriers, le 22 décembre 2017, dans une mine de charbon où ils travaillaient dans des conditions décrites comme insalubres et dangereuses. Le 13 mars, le gouvernement a lancé un avertissement selon lequel il est habilité à interdire « les manifestations illégales dans les lieux publics. »
Selon les règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, l’isolement d’un détenu 22 heures par jour sans contact humain significatif (autre que les gardiens) durant une période de plus de 15 jours consécutifs, peut être considéré comme un traitement cruel, inhumain ou dégradant, et devrait être interdit. Lors de leur procès, les quatre hommes ont demandé au juge d’ordonner qu’il soit mis fin à leur isolement, mais leurs demandes ont été refusées.