Ni l’absence de consensus sur le contenu du texte, ni les risques sécuritaires qui menacent le pays n’empêchent les colonels au pouvoir à Bamako d’avancer à marche forcée vers la tenue le dimanche 18 juin du référendum sur la nouvelle Constitution.
Après un premier report en octobre 2023, les Maliens sont invités par le régime militaire de transition à se prononcer sur la nouvelle Constitution. Mais cette consultation référendaire pose, de toute évidence, déjà plus de problèmes qu’elle n’en réglera. Le malentendu avait commencé dès la mise en place du Comité de rédaction de la nouvelle Constitution (CRNC) présidé par Fousseyni Samaké. Ne faisant qu’à leur tête, les colonels maliens ont coopté dans le comité rédactionnel des professionnels du droit sans concertations des forces politiques maliennes, ni de la société civile.
Un costume taillé sur mesure
Bien au-delà de la forme non consensuelle de la composition du comité de rédaction du texte, c’est aujourd’hui le contenu même de la nouvelle Constitution qui pose problème. « Si cette constitution est adoptée, elle ouvrirait la voie à une période de pouvoir personnel sans précédent dans l’histoire contemporaine du Mali. Au lieu de corriger le culte de la personnalité et la personnalisation du pouvoir ainsi que les dérives autoritaires constatées depuis l’avènement de la démocratie, le projet soumis à référendum les codifie et les aggrave », constate le Parti pour la renaissance nationale (PARENA), une des rares forces politiques à s’exprimer ouvertement sur le sujet. Les autres composantes de la classe politique n’en pensent pas moins que le parti de l’ancien ministre des Affaires étrangères Tiébilé Dramé.
En effet, à l’examiner attentivement, le texte soumis dimanche au vote des Maliens fait du futur président malien une sorte de « monarque absolu », un hyper président aux pouvoirs illimités. Selon la nouvelle Constitution, le président de la république détermine la politique de la nation ; nomme et démet le Premier ministre ; dispose de l’initiative des lois ; préside le Conseil supérieur de la magistrature ; nomme aux fonctions civiles et militaires.
Les groupes armés vent debout
« Cette nouvelle Constitution sème les germes de nouvelles crises dont ce pays, qui souffre tant, n’a nul besoin », s’inquiète un juriste malien qui a eu le texte entre les mains. Mais l’hyper présidentialisation revendiquée n’explique pas à elle la seule cette défiance envers le texte.
Alors que les Accords de paix inter-maliens signés en 2015 à Alger prévoient que certaines de ses dispositions soient constitutionnalisées, le texte en fait délibérément abstraction. Les groupes armés signataires de l’Accord d’Alger sont vent débout contre la nouvelle Constitution, regrettant qu’elle ne contribue pas à la résolution de la crise sécuritaire et ne renforce pas la cohésion sociale.
La pompe de discorde entre les ex-rebelles et les colonels au pouvoir portent très précisément sur le refus d’inscrire dans le texte l’élection au suffrage universel et au scrutin proportionnel des assemblées régionales qui désigneront ensuite les exécutifs régionaux dans le cadre de la résolution de la crise du Nord.
Guerre contre la diaspora
L’autre disposition controversée de la nouvelle constitution, c’est introduction de manière tout à fait inédite d’une disposition qui rend inéligible aux fonctions de président de la république tous les binationaux maliens. En effet, l’article 46 de l’Avant-projet de loi dispose clairement que : « Tout candidat aux fonctions de président de la république doit être de nationalité malienne d’origine et ne posséder aucune autre nationalité à la date du dépôt de la candidature ».
Considérée comme un grave recul par rapport à la Constitution de 1992, cette disposition a été ressentie comme une stigmatisation inutile et une agression injustifiée contre les Maliens établis à l’étranger ainsi que leurs enfants. L’exclusion des Maliens binationaux est même vécue comme une trahison par la diaspora malienne dont les transferts annuels d’argent dépassent très largement l’aide publique au développement. Outre les transferts de fonds, estimés à plus d’un milliard d’euros par an avant la crise sanitaire, la diaspora malienne, éclatée sur les cinq continents, contribue au rayonnement culturel, à la diffusion et à la promotion de la culture malienne. Pour une terre réputée pour sa longue et vieille tradition d’émigration, l’exclusion des Maliens de l’extérieur et leurs descendants de la course au fauteuil présidentiel ne peut, pour beaucoup d’analystes, que procéder de petits calculs politiques et mesquins.
Sous le sceau du secret
Le contenu n’est pas le seul problème que soulève le texte constitutionnel. Il n’y a pas eu de vraie campagne de popularisation de la nouvelle Constitution. Les électeurs qui sont convoqués dimanche prochain auront à se prononcer sur un texte qu’ils n’ont pas eu entre les mains. Ils n’en connaissent forcément pas le contenu. Seuls quelques privilégiés ont pu se le procurer. Dans le contexte actuel de confiscation des libertés au Mali, inutile de souligner qu’on n’a ni vu ni entendu les partisans du Oui et ceux du Non confronter leurs arguments dans des débats publics.
En réalité, il n’y a aucun suspens, les colonels ont pris soin de bien goupiller leur affaire et assurer, quoiqu’il arrive, la victoire du Oui. D’ailleurs, ce n’est pas tant le résultat du référendum que la suite du calendrier de transition qui interroge. Le référendum était censé donner le coup d’envoi du calendrier électoral convenu avec la CEDEAO et qui prévoit la fin de la transition en février 2024.
En dépit des pressions de l’organisation sous-régionale et même du pouvoir algérien, les colonels au pouvoir ne pressent pas le pas pour honorer l’agenda de 24 mois qu’ils ont eux-mêmes soumis à la CEDEAO. Ils agissent au jour au jour, expliquant qu’il faut d’abord faire le référendum avant d’envisager la suite. Pas du tout intimidé par les menaces de sanctions, sourd aux appels à la raison de la CEDEAO, le pouvoir militaire de transition au Mali va à son rythme. Quitte à prolonger indéfiniment la période transitoire dont la fin avait été envisagée une première fois en février 2022 avant d’être reportée en février 2024. Sans aucune garantie que cette date sera honorée.
Francis Sahel