De la visite d’Emmanuel Macron en Tunisie, beaucoup de Tunisiens retiendront une belle leçon de rhétorique, ponctuée de « sans plus » et « en même temps ». Une revue de presse de Mounira El Bouti
Après une « visite personnelle » au Maroc, une visite « d’amitié et de travail » en Algérie, Emmanuel Macron s’est rendu à Tunis, mercredi 31 janvier pour une visite d’Etat, particulièrement médiatisée avec un agenda serré et une délégation de taille.
Et si on parlait de la dette
La Presse tunisienne, dans son ensemble, a placé la visite de Macron sous le signe de l’économie en soulignant que derrière les beaux discours, les Tunisiens attendent une aide tangible en l’occurrence, la suppression de la dette tunisienne. Beaucoup d’espoirs sont restés comme suspendus.
« Hautement symbolique et éminemment politique » a titré la Presse de Tunisie dans son édition du jeudi 1er février 2018. Ce titre résume à lui-même la nature des relations historiques et stratégique entre les deux pays, mais aussi tous les non-dits qui les séparent. Personne n’a oublié le soutient de la France à Ben Ali à la fin de son régne, ni la visite maladroite de Manuel Valls, ni l’écart d’âge et les différences de styles entre Macron et Beji Caid Essebssi.
La Presse a notamment rappelé le contexte de la visite de Macron, sur fond de contestations sociales et de grandes attentes des Tunisiens, lassés par les satisfecit dont ils sont « encensés » et « déçus par les promesses non tenues », notamment celles de la Conférence Internationale sur l’investissement tenue à Tunis fin novembre 2016 et coparrainée par la France et le Qatar.« La Tunisie, qui n’a jamais souffert de complexe de colonisé, souhaite que la France comprenne mieux ses problèmes, souligne le quotidien, t, elle attend beaucoup de la France qui demeure son premier partenaire commercial et son principal exportateur ».
Profondes frustrations
Dans « Libération » du 31 Janvier 2018, le directeur de recherche de l’IRIS, Beligh Nabli, considère que les avancées démocratiques en matière de droits de l’Homme n’ont pas été suivies par une amélioration de la situation économique et sociale du pays. Ce décalage nourrit une profonde « frustration » au sein de la population selon ses dires.
En effet, Nabli estime que l’équation « démocratie-développement économique » ne se vérifie pas. C’est pourquoi Français et Européens devraient se montrer de plus en plus attentifs aux mutations que connaît la Tunisie pour construire de nouvelles relations avec elle et développer une coopération à tous les niveaux, culturels, scientifiques, économiques, politiques, sociaux et sécuritaires.
Selon Nabli, « la Tunisie a besoin de la France » car « il faut répondre à l’urgence économique mais l’avenir de la Tunisie se jouera à plus long terme. » Et d’ajouter : « elle doit repenser son modèle de développement et ne pas reproduire un modèle qui ne fonctionne pas ou qui n’a pas d’avenir ».
Une visite, beaucoup de chiffres
Sur Businessnews, Hassen Zargouni, directeur de Sigma conseil a publié « chiffres et lettres » sur la visite de Macron en relevant, entre-autres, la signature d’un protocole financier relatif à une ligne de crédit en faveur des PME-PMI tunisiennes pour un montant de 15 M€.
Un avenant à la convention de conversion de dettes en projets de développement prévoyant un effort additionnel de 30 M€, portant sur une enveloppe totale à hauteur de 90 M€ – 20 M€ seront affectés à un complément de financement pour l’hôpital de Gafsa (première conversion) et les 10 M€ restants seront utilisés pour financer des projets en matière d’éducation et d’enseignement supérieur.
Et la signature d’une convention relative à l’appui à la réforme de la gouvernance des entreprises publiques (prêt souverain de 100 M€ et une autre relative à la réhabilitation de quartiers défavorisés (programme PROVILLE 2 – 77 M€).
Mais pour le député du Courant Démocrate, Ghazi Chaouchi, cela n’est pas assez : «Pour que la Tunisie puisse sortir de la crise économique, il faudrait annuler la dette de 800 millions d’euros envers la France!»
Même son de cloche pour le député Riadh Jaidane qui considère que quatre des huit textes signés entre les deux gouvernements mercredi sont des déclarations d’intention: «C’est insuffisant. Il faut du concret. Le président Macron dit que la Tunisie est un modèle qui doit être soutenu pour réussir. Qu’il le prouve.»
Une toile en ébullition
Sur les réseaux sociaux, les Tunisiens n’ont pas caché leur colère suite à la visite de Macron. Certains y ont vu un bis repetita de l’esprit impérialiste et arrogant français. D’autres y ont vu une forme de dépendance humiliante lorsque l’hôte français fût interpellé par la foule sur « les visas et les papiers » et d’autres encore, comme la presse, y ont vu du « brouhaha pour rien ».
« Franchement, je n’ai pas aimé le bain de foule de Macron, hier, à la Médina de Tunis. Ce contact direct avec la foule massée sur son passage et que prise fortement le président français est teinté d’amertume, de colère et de honte. Cette maman, par exemple, qui le supplie de faire quelque chose pour son fils qui se trouve en Italie depuis 8 ans et en situation irrégulière ! Que pourrait-il y faire ? Un peu de décence ! De tenue ! De bienséance ! De dignité ! De fierté ! L’hospitalité est une règle de civilité , de politesse , de respect. En aucun cas de doléances ! Il y en eut ! Et ces jeunes qui tirent comme des damnés sur leur chicha et sur son passage . Qui demeurent assis… Qui se disent chômeurs… Tweet de Macron : » Il ne manque rien à cette jeunesse post-révolutionnaire . Sauf le baccalauréat. » Tout est là ! », écrit l’ex journaliste de La Presse Mounira Aouadi.
Les plus vives conversations de l’élite bien-pensante et francophone de Tunisie concernaient pourtant un tout autre sujet : comment avoir un Macron ou un Trudeau à la tête de la Tunisie ?
Alors que Macron a pris de vitesse l’ensemble du système politique d’une vieille démocratie républicaine, la conférence de presse et les photos avec le président Béji Caid Essebssi ont rappelé que ce dernier a commencé sa carrière politique dans le cabinet de feu Bourguiba lorsqu’il n’était que ministre du Bey !
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