Côte d’Ivoire, les propos de Macron fragilisent Ouattara

Contrairement au Sénégal et au Tchad, la Côte d’Ivoire n’a exprimé aucune réaction aux propos du président français Emmanuel Macron qui a présenté les dernières demandes de fermeture des bases militaires françaises non pas comme un acte de souveraineté mais comme une mise scène convenue avec la France. Cette absence de réaction ivoirienne met le président Ouattara en mauvaise posture.

Correspondance à Abidjan, Bati Abouè

Plus rien n’est donc resté de la grande annonce d’Alassane Ouattara qui avait expliqué le 31 décembre, lors de la présentation de ses  aux populations ivoiriennes, que les troupes françaises quitteraient la Côte d’Ivoire courant janvier 2025 et que le 43è Bataillon d’infanterie de marine (BIMA), resté longtemps le symbole de la présence impérialiste française, allait prendre le nom du général ivoirien Ouattara Thomas d’Aquin, à l’occasion de sa rétrocession.

Le président ivoirien avait en effet pris soin de noter cette annonce en tête des bonnes nouvelles apportées par les dernières semaines de ce mois fatidique de l’année 2024, devant l’inscription de l’attiéké, mets ivoirien très prisé, au patrimoine de l’Unesco et le record Guinness de cuisine de Zeinab Bancé qui a été le dernier phénomène médiatique de l’année 2024.

« C’est nous qui l’avons fait »

Piqué par les commentaires peu amènes qui ont à nouveau ironisé sur les derniers appels au départ des forces françaises de l’ancien pré-carré, Emmanuel Macron a tout de suite vu rouge et a fini par exposer l’arrière-cour des discussions que son envoyé spécial, Jean-Marie Bockel a eues avec des chefs d’Etat à ce sujet. Et selon lui, la France a décidé elle-même de réduire ses effectifs militaires en Afrique.

« Nous avons proposé aux chefs d’Etat africains de réorganiser notre présence militaire. Comme on est très polis, on leur a laissé la primauté de l’annonce. Mais ne vous trompez pas, c’est nous qui l’avons fait … et parfois, il a fallu y pousser » a-t-il dit.

Jusque-là, l’honneur d’Abidjan était presque sauf, puisque le coup de melon du président français piquait alors tout le monde. Sauf que le premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, d’une part, puis le ministre des affaires étrangères tchadien, de l’autre, ont vivement réagi aussitôt. Le premier pour moquer la capacité et la légitimité françaises à assurer la sécurité des Etats africains, Emmanuel Macron ayant ajouté : « c’est notre engagement contre le terrorisme depuis 2013. On avait raison. Je crois qu’on a oublié de nous dire merci. Ce n’est pas grave. Ce n’est pas grave, ça viendra avec le temps. L’ingratitude est une maladie, je suis bien placé pour le savoir, c’est une maladie non transmissible à l’homme ». 

La France a souvent déstabilisé les pays africains

Le PM sénégalais Ousmane Sonko ne ratait d’ailleurs pas cette occasion pour rappeler à la France qu’elle a « souvent contribué à déstabiliser certains pays africains comme la Libye avec des conséquences désastreuses notées sur la stabilité et la sécurité du Sahel ». Pour le premier ministre sénégalais, l’affirmation selon laquelle la France a demandé à quitter les bases militaires qu’elle occupait en Afrique à la suite des négociations voulues par elle « est totalement erronée. Aucune discussion ou négociation, dit-il, n’a eu lieu à ce jour et la décision prise par le Sénégal découle de sa seule volonté, en tant que pays libre, indépendant et souverain », a-t-il sévèrement taclé.

Le Tchad a également tenu à laver l’affront français.  Son ministre des Affaires étrangères Abderaman Koulamallah a vivement protesté contre les déclarations du président français qu’il a jugées irrespectueuses envers son pays avant de ramener sur terre le président français. « Les dirigeants français doivent apprendre à respecter le peuple africain et reconnaître la valeur de ses sacrifices. L’Histoire atteste que l’Afrique, y compris le Tchad, a joué un rôle déterminant dans la libération de la France lors des deux guerres mondiales ». 

La farce souverainiste

Estimant que la France doit s’occuper de ses problèmes intérieurs plutôt que de brocarder continuellement les dirigeants africains, Abderaman Koulamallah a affirmé que « le peuple tchadien aspire à une souveraineté pleine et entière, à une véritable indépendance, et à la construction d’un Etat fort et autonome, acquis au prix des sacrifices inestimables. Nous invitions nos partenaires, y compris la France, à intégrer cette aspiration légitime dans leur approche des relations avec l’Afrique ».

Seule la voix d’Abidjan manquait alors à la vague de colère et d’indignation suscitée par les déclarations controversées de M. Macron. Mais dans le cas de la Côte d’Ivoire, ce silence confirmait surtout que la décision de départ des troupes françaises est certainement venue de la France, même si de toute façon l’annonce elle-même avait laissé de nombreux Ivoiriens impassibles.

Par la suite, les précisions des médias hexagonaux montraient que le dispositif militaire français allait être allégé et qu’il ne disparaissait pas pour autant. Bref, pas une once de mystère ne tenait plus sur cette annonce, surtout après qu’Emmanuel Macron fit passer le président ivoirien pour le dindon d’une farce souverainiste que celui-ci a bien eu tort de jouer dans l’espoir de séduire partisans et adversaires, à dix mois de l’élection présidentielle.