Les forces armées maliennes et des combattants étrangers apparemment membres du groupe Wagner, lié à la Russie, ont exécuté sommairement et fait disparaître de force plusieurs dizaines de civils dans le centre du Mali depuis décembre 2022, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ils ont détruit et pillé des biens appartenant à des civils et auraient torturé des détenus dans un camp militaire.
Le 16 juin 2023, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a demandé au Conseil de sécurité des Nations Unies le retrait « sans délai » de la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), invoquant une « crise de confiance » entre les autorités maliennes et la force de maintien de la paix de l’ONU, forte d’environ 15 000 membres. Le 28 juin, le Conseil de sécurité des Nations Unies a décidé de « mettre fin au mandat de la MINUSMA », mais de maintenir son personnel jusqu’au 31 décembre pour planifier et mettre en œuvre la cessation des opérations et le transfert des tâches.
« Le retrait imminent des forces de maintien de la paix de l’ONU rend plus crucial que jamais la protection des civils par les autorités maliennes et la prévention de nouveaux abus lors d’opérations militaires », a déclaré Carine Kaneza Nantulya, Directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « L’Union africaine et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest devraient faire part de leurs préoccupations quant aux graves abus commis par les forces armées maliennes et les présumés combattants affiliés au groupe Wagner, et accroître la pression sur les autorités maliennes pour qu’elles y mettent fin et demandent des comptes aux responsables de ces abus. »
« En exigeant le retrait de la MINUSMA, les autorités maliennes se placent dans une relation sécuritaire exclusive avec Wagner, dont la façon de mener la guerre menace les civils et dont la fiabilité est discutable, comme l’ont démontré les récents événements en Russie ». Yvan Guichaoua, analyste politique
Entre le 1er mars et le 30 mai, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 40 personnes qui ont eu connaissance des incidents survenus dans le centre du Mali. Il s’agissait de 20 témoins d’abus, 3 membres de familles de victimes, 2 leaders communautaires, 5 activistes de la société civile malienne, 8 représentants d’organisations internationales et 2 analystes politiques spécialistes du Sahel. Human Rights Watch a également examiné une vidéo montrant des abus commis par des soldats maliens et des membres des forces étrangères qui leur sont associées.
Le 26 juin, Human Rights Watch a transmis deux lettres aux ministres de la Justice et de la Défense du Mali, pour leur faire part en détail de ses conclusions sur les allégations d’abus et leur poser des questions à ce sujet. Dans sa réponse, en date du 20 juillet, par l’intermédiaire du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, le gouvernement a indiqué qu’il n’était au courant d’aucune violation des droits de l’homme, mais que « le Procureur de la République en charge du Pôle judiciaire spécialisé, sur instruction du Ministre de la Justice et des droits de l’Homme, a ouvert une information judiciaire pour crime de guerre et crime contre l’humanité contre X » et que « résultats des différentes enquêtes seront portés à la connaissance de l’opinion nationale et internationale en temps opportun. »
Le 25 février, le Conseil de l’Union européenne (UE) a imposé des « mesures restrictives supplémentaires » à l’encontre du chef du groupe Wagner au Mali, affirmant que « des mercenaires de Wagner ont été impliqués dans des actes de violence et de nombreuses violations des droits de l’homme ». Ces mesures restrictives, qui comprennent des gels d’avoirs et des interdictions de voyager, s’ajoutent aux mesures que le Conseil de l’UE a adoptées en décembre 2021 à l’encontre de personnes et d’entités liées au groupe Wagner, dont ce groupe lui-même.
Le 27 juin, dans un communiqué de presse diffusé sous format audio, Prigojine a déclaré que « les forces de Wagner dans les pays africains et arabes ont travaillé exclusivement dans l’intérêt de la Fédération de Russie ».
Le 25 mai, le département du Trésor des États-Unis a imposé des sanctions à Ivan Maslov, le chef du groupe Wagner au Mali, « pour son implication dans les actions du groupe Wagner au Mali ». Le même jour, le département d’État américain a imposé des restrictions de visa à deux commandants militaires maliens, le colonel Moustaph Sangare et le major Lassine Togola, « pour leur implication dans des violations flagrantes des droits humains ». Le 27 juin, le département du Trésor des États-Unis a imposé des sanctions à Andrey Nikolayevich Ivanov, un dirigeant du groupe Wagner Group qui « a travaillé en étroite collaboration avec l’entité Africa Politology de Prigojine et de hauts responsables du gouvernement malien sur des contrats d’armement, des entreprises minières et d’autres activités du groupe Wagner au Mali », pour « avoir agi ou prétendu agir pour ou au nom, directement ou indirectement, de Prigojine ».
Human Rights Watch a précédemment documenté de graves abus commis lors d’opérations de contre-insurrection menées par les forces de sécurité maliennes et des combattants qui leur sont associés, supposés appartenir au groupe Wagner, depuis 2022.
Des groupes armés islamistes ont également commis plusieurs abus graves, notamment des exécutions illégales, des pillages et des destructions de biens civils.
« Les soldats nous considèrent comme des djihadistes, mais les djihadistes ont menacé d’imposer un embargo sur notre village si nous ne nous conformions pas à leurs lois », a déclaré un habitant d’Ouenkoro. « Les autorités de l’État ne sont pas ici pour nous protéger. Nous n’avions pas d’autre choix que d’accepter leurs ordres [des djihadistes]. Et maintenant, les soldats nous traitent comme des terroristes. Nous sommes entre le marteau et l’enclume. »
La plupart des hommes qui, selon les informations de Human Rights Watch, ont été tués, arrêtés ou ont fait l’objet de disparitions forcées appartenaient à l’ethnie peule dont de nombreux membres pratiquent l’élevage. Les groupes armés islamistes ont concentré leurs efforts de recrutement sur les communautés peules en exploitant les griefs qu’ils entretiennent à l’égard du gouvernement et d’autres groupes ethniques.
Toutes les parties au conflit armé au Mali, y compris les membres de groupes armés étrangers, sont tenues de respecter le droit international humanitaire. Le droit applicable inclut l’article 3 commun aux conventions de Genève de 1949 et le droit international coutumier. L’article 3 commun interdit le meurtre, la torture et les mauvais traitements de personnes en détention. Les personnes qui commettent des violations graves des lois de la guerre avec une intention criminelle se rendent responsables de crimes de guerre.
« Les autorités maliennes finiront par se rendre compte que le départ des Casques bleus affectera gravement la protection des civils et la surveillance des abus commis par toutes les parties », a déclaré Carine Kaneza Nantulya. « Le gouvernement malien devrait permettre à des experts indépendants de l’Union africaine, de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et de la CEDEAO de documenter l’évolution de la situation des droits humains sur le terrain, en collaboration avec la Commission Nationale des Droits de l’Homme. »