Algérie, entre non violence et répression

Dans son dernier rapport sur l’Algérie, le groupe « Crisis Group », un think tank qui s’est montré favorable en 2011 aux thèses du printemps arabe, croit voir « un tournant répressif » dans l’attitude, le vendredi, des forces sécuritaires. Extraits.

« Le 2 avril, Ahmed Gaid Salah, chef d’état-major de l’armée et vice-ministre de la Défense, a obtenu la démission de Bouteflika en raison de son incapacité à remplir ses fonctions de président, conformément à l’article 102 de la Constitution. Les manifestants ont crié victoire, mais ils ont vite réalisés que ce changement était cosmétique. Bouteflika avait disparu mais le régime (le pouvoir) était toujours là : en la personne d’Abdelkader Bensalah, chef de l’Assemblée nationale (chambre haute du Parlement), aujourd’hui président par intérim ; de Nourredine Bedoui, nouveau Premier ministre désigné à la mi-mars à l’issue de la chute du précédent gouvernement, au sein duquel il exerçait la fonction de ministre de l’Intérieur ; de Tayeb Belaiz, président du Conseil constitutionnel (qui a démissionné le 16 avril), ancien ministre de l’Intérieur ; et de Gaid Salah lui-même, architecte de cette transition, assis sans ambages au sommet du pouvoir.

Aux yeux des manifestants, le remplacement de Bouteflika par Bensalah, lequel a rapidement annoncé une élection présidentielle pour le 4 juillet, était une insulte de plus. Si cette décision était conforme à la Constitution, laquelle prévoit des élections dans les 90 jours suivant le départ du président en exercice, les manifestants, qui tiennent les rues depuis le 22 février, y ont vu une manœuvre du régime pour dissoudre leur mouvement (hirak) et ignorer leur demande de refonte du système.

Des manifestations circonscrites

Le départ forcé de Bouteflika, loin de mettre fin à ces protestations, a encouragé les Algériens à réaffirmer leur objectif de rupture avec le système.

En réponse, les autorités ont interdit toutes les manifestations, à l’exception de celles du vendredi. Durant la semaine du 8 au 11 avril, la police a fait tout son possible pour réprimer les protestations dans la capitale, en particulier celles des étudiants. Elles ont agi plus fermement qu’au cours des semaines précédentes, en utilisant canons à eau, grenades lacrymogènes, balles en caoutchouc, et, pour la première fois, bombes assourdissantes, ainsi qu’en arrêtant des dirigeants de marches protestataires. Malgré tout, les manifestants ont réussi à reprendre la Grande Place de la Poste, le lieu de rassemblement emblématique du mouvement dans la capitale, qu’ils avaient brièvement perdu face à la police.

La gendarmerie aux portes d’Alger

En prévision de la huitième marche hebdomadaire, le vendredi 12 avril, la police a envoyé des renforts à Alger, tandis que des unités de la gendarmerie nationale se sont déployées à la périphérie de la capitale, notamment à ses points d’accès, pour empêcher les manifestants des villes environnantes, telles que Béjaïa, Bouira, Tizi Ouzou, Blida et Tipaza, de rejoindre leurs compatriotes. 

Le jour même, d’énormes manifestations se sont déroulées dans 26 des 48 provinces algériennes, y compris à Alger, où des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue.Malgré des contre-mesures répressives, les protestataires n’ont montré aucun signe de faiblesse. Au contraire, une semaine plus tard, le vendredi 19 avril, de nouvelles marches aussi imposantes ont eu lieu. Le manque de leadership identifiable parmi les protestataires facilite les mobilisations de masse mais ne permet pas de formuler clairement un ensemble de re-vendications qui seraient acceptées dans leur globalité. 

Le 12 avril était le premier jour depuis le début du mouvement le 22 février que les manifestants exprimaient ouvertement leur hostilité envers l’armée en lançant des slogans tels que « Gaid Salah, dégage ! », et « Nous avons dit tous ! C’est tous !» – référence au clan Bouteflika et à son entourage. Selon les protestataires, le fait que Gaid Salah impose le rythme et le contenu de la transition équivaut à trahir leur cause. Et le chef militaire a nourri activement cette perception. Dans un communiqué du 10 avril, par exemple, il déclarait que des « parties étrangères » avaient infiltré le mouvement de contestation – un constat que les manifestants considéraient comme visant à discréditer leur mouvement.

Des manifestants « irréalistes »

Salah avait également qualifié d’« irréaliste » l’exigence des manifestants d’une rupture totale avec le système et insisté pour que la légalité constitutionnelle soit strictement respectée. Jusque-là, nombreux étaient ceux qui considéraient Salah comme un partisan de leur cause, notamment après son discours du 26 mars, dans lequel il avait déclaré que Bouteflika devait démissionner »

Le titre et les Inters sont de la rédaction de Mondafrique.