Le film « Augure », un ovni tout droit venu de Kinshasa…

«Augure » est le Premier long-métrage d’un musicien de kinshasa – Baloji, un rappeur belge inspiré ! Un film produit par la Belgique et la République démocratique du Congo

Une œuvre visionnaire présenté au festival de Cannes dans la sélection «  un certain regard » ( dont il est reparti avec le prix de la « nouvelle voix » ) et qui intrigue, séduit et déconcerte…

Une chronique de Sandra Joxe

Baloji rappeur et cineaste

Dès la première séquence le spectateur est immergé dans une atmosphère onirique et inquiétante : une cavalière un peu sorcière galope dans un désert poudreux puis soudain fait halte et se penche sur un lac-mirage. À peine descendue de sa monture elle y presse son sein turgescent pour déverser des ruisseaux de lait dans l’eau stagnante…

Le ton est donné : celui  du conte onirique – qui oscille en permanence entre rêve et cauchemar – nourri de rites vaudou mais aussi peut-être de surréalisme belge et surtout de réalisme magique. Inquiétante étrangeté !

« Augure » n’obéit à aucune règle scénaristique : l’histoire entremêle avec brio les destinées chaotiques des membres démembrés d’une famille de Kinshasa.

Le héros et sa compagne : un retour au pays difficile

Le point de départ, pourtant, aurait pu donner naissance à un film ethnographique bien-pensant vantant les mérites de l’hospitalité africaine, de la solidarité familiale voire tribale, du sens de la fête  ou du rythme… malgré les difficultés du retour au pays, ou autres clichés ressassés. Il n’en est rien c’est plutôt tout le contraire.

Le héros ? Koffi, le fils prodigue, un jeune congolais installé en Belgique revenant au bercail pour y présenter Alice, sa fiancée (blanche et enceinte)

Un père-patriarche hermétique et évanescent, une mère répudiatrice, une sœur en rupture de banc et une smalah familiale hystérique et superstitieuse…

Tous s’entredéchirent sans jamais vraiment se haïr ni se comprendre, tant les chocs de civilisations semblent insurmontables. Une famille Adams aux accents shakespeariens, le tout présenté à un rythme effréné qui oscille perpétuellement entre comédie et tragédie… puisqu’il y est question à la fois d’amour et d’argent.

Car Koffi va devenir père et se marier, il doit s’acquitter de sa « dot » : donner de l’argent à sa famille restée au pays pour recueillir l’approbation parentale.

un Kinshasa afro punk déjanté

Entre superstition et hystérie

Mais rien ne se passe comme on l’imagine – et le spectateur, à travers le regard du héros répudié, découvre un Congo déroutant mais envoûtant. Le héros et sa compagne,  égarés, éprouvés se heurtent à une mère acariâtre au regard revolver, à des cousines  dont la superstition vire à l’hystérie.

Ils sont mal accueillis, rejetés, incompris maltraités : le retour au pays  se révèlerait totalement catastrophique sans l’apparition tardive d’une sœur aimante.

Le film est tout sauf politiquement correct : son héros, un peu candide et plein de bonnes intentions, débarque dans  les bas fonds d’un Kinshasa déglingué sale et violent mais aussi somptueusement magique : il y règne  une atmosphère afro punk déjantée voire terrifiante d’obscurantisme et de brutalité. Une « zone », peuplée  de personnages décalés, agitée par des bandes gamins queers à la tête de gang  rivaux. 

Le réalisateur Baloji porte un regard sans concession sur les bas fonds de Kinshasa et quand le héros quitte la capitale avec sa fiancée c’est pour se perdre dans un paysage austère et crasseux de mines plus ou moins désaffectées où les travailleurs – ce qu’il en reste – risquent leur vie.

 

L’errance d’un couple mixte

Dans cette errance vécue par le couple mixte en quête de reconnaissance familiale, vient donc s’inscrire toute une galerie de personnages forts et touchant qui permettent à Baloji d’aborder pêle-mêle tout un tas de thématiques fondamentales : l’autorité maternelle et/ou paternelle, les mariages forcés, les maladies sexuellement transmissibles, l’argent, la superstition, le néo-colonialisme…

Le réalisateur, toujours de façon allégorique, dans une sorte de réalisme magique qui fait tantôt songer à  l’« Orfeo Negro » de Cocteau tantôt au « Cent ans de solitude » de Garcia Marquez, évoque les traces encore sanglante des massacres perpétrés au Congo, la guerre, la sorcellerie, la lutte des clans et le poids du patriarcat  …

Bref malgré ses envolées lyriques et visionnaires à la beauté plastique renversante, il dresse le tableau  somme toute assez réaliste d’un  pays encore traversé par les guerres tribales et les ravages de la colonisation.

Baloji est un musicien avant d’être un réalisateur. 

Il revendique la spécificité de sa musique qu’il qualifié lui même de « Trop noire pour les Blancs / Trop blanche pour les Noirs » en phase avec les contours mouvants de son identité « afropéenne » pour reprendre son expression.

On retrouve ce dilemme dans son cinéma et c’est ce qui en fait son grand intérêt.

Car « Augure » est plus qu’un film, c’est un feu d’artifice baroque, une accumulations de prouesses visuelles et mêmes de clips qui virent parfois au kitsch en enchainant à un rythme  effréné des références tous azimuts et des effets sonores qui plongent le spectateur dans un état proche de la transe…  Avec maestria certes, même si parfois jusqu’à l’excès .

Car il y a peut-être presque trop de sujets abordés dans ce film ambitieux et  fou qui souvent fascine mais parfois fatigue … ou agace.

Kinshasha, la démesure

Tokyo et Kinshasha, ces villes pionnières saisies par la démesure

À force de vouloir tout aborder : la fusion impossible des cultures occidentales et africaines, le passé, le présent, le rationnel, le vaudou, la féminité, les MST, la paternité, l’argent et le spirituel mais aussi le travail au fond des mines… (et j’en passe !) le réalisateur nous donne le vertige. On ne sait plus où donner de la tête, on perd la tête…

Pourquoi pas ?

C’est probablement l’effet recherché.

Pour notre plus grand plaisir visuel.

«  Augure » est un film-choc, un film qui se ressent puis qu’il ne se regarde.

Un film qui se vit plus qu’il ne se voit.

On en sort enthousiasmé ou perplexe – en tout cas pas indemne.

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)