Dans un documentaire clinique, le réalisateur Jean Crépu (Coup de poker sur le brut, Main basse sur le riz, ect) radiographie la chute d’un Etat malien gangrené par la corruption, dépassé par la pression djihadiste, miné par les fractures ethniques et mal compris par la communauté internationale. Un film saisissant même si le rôle de la France n’est abordé qu’en surface. Ce sur quoi nous reviendrons, le 12 juillet,, jour de la diffusion du film.
Une chronique d’OLIVIER TOSCER
Le 2 mai 2022, la junte au pouvoir au Mali déclare rompre les accords de défense avec la France et ses partenaires européens : c’est l’épilogue d’un processus de rupture commencé avec l’annonce de la fin de l’opération « Barkhane », le 2 février de l’année précédente. C’est surtout, raconte ce film tourné entre début 2020 et fin 2021, le dernier cran d’un engrenage fatal qui avait commencé au tout début des années 2 000.
Depuis 1997 et la fin de la guerre civile algérienne, les terroristes algériens du GSPC qui refusent de rendre les armes sont réfugiés dans le désert du Nord malien, sans que le régime d’Amadou Toumani Touré dit ATT ne trouve rien à y redire. « Nous n’avons pas été à la hauteur à ce moment-là », reconnaît un ancien ministre d’ATT. Surtout qu’après les premières prises d’otages de touristes européens en 2003, le djihadisme de rapine des djihadistes algériens devient une manne pour certains officiels maliens qui s’érigent en médiateur et touchent leur dîme sur les rançons, comme le reconnaît honnêtement, l’ancien ambassadeur de France, Nicolas Normand.
Il y a aussi les trafiquants de cocaïne, qui ont fait du désert malien leur base logistique. Leur argent sale nourrit, elle aussi, l’économie de prébende s’installe dans le pays, au vu et au su de la communauté internationale, totalement passive voire complice. ATT peut en effet compter sur son soutien alors même que les élections sont éhonteusement truquées. « L’Etat malien était déjà une fiction à ce moment-là », observe un ancien diplomate de la direction Afrique du Quai d’Orsay.
En 2011, une nouvelle catastrophe géopolitique achève d’ébranler le pouvoir malien.
La chute du régime de Kadhafi en Libye accélère la descente aux enfers du Mali. Kadhafi faisait les fins de mois du pays. Sa disparition achève de vider les caisses à Bamako. Mais surtout, le dictateur libyen salariait entre 2 et 3 000 combattants touaregs pour protéger sa frontière sud. Démobilisés, ces combattants sont alors retournés au pays et ont réactivés les sentiments indépendantistes des touaregs, s’alliant avec les djihadistes contre Bamako. Un mauvais calcul au demeurant: sur le terrain militaire, le MNLA touareg est rapidement supplanté par les chefs islamistes Amadou Koufa et Iyad Ag Ghali. Et le 13 janvier 2013, François Hollande s’estime obligé d’envoyer les troupes françaises pour protéger Bamako sur le point de tomber entre les mains des terroristes.
A ce stade, la France peut s’enorgueillir du statut enviable de sauveteur providentiel.
Les drapeaux tricolores flottent par milliers dans la capitale. Des bébés sont prénommés « Hollande » partout dans le pays. Le Mali est-il pour autant sauvé ? Pas vraiment. L’ex-président Hollande le reconnaît lui-même dans le film, parlant, du « lâche soulagement » de la communauté internationale, à la suite de l’intervention française. « Mais ensuite, dit-il, l’Europe et le Monde n’ont pas été au rendez-vous » pour reconstruire le pays et assainir la démocratie malienne. La France non plus d’ailleurs. Pour le général Didier Castres, le sous-chef d’état-major « opérations » de l’Etat-Major, l’armée française aurait du plier bagages juste après son opération de sauvetage. Il y avait alors onze mille casques bleus dans le pays. « Mais, dit-il, il n’y avait pas d’Etat, ni d’armée malienne donc on s’est dit : on va attendre un peu. Huit ans, en fait ». L’opération Barkhane succède à Serval. Mais pour quoi faire ? Personne ne l’a jamais vraiment su, si ce n’est faire la chasse aux groupes terroristes qui s’approchent trop près des grandes villes. En attendant, dans le pays, les affrontements ethniques opposants les peuls alliés aux djihadistes et les paysans dogons font des ravages tandis que la communauté internationale déverse son argent sur régime corrompu de Bamako, sans aucun contrôle.
Dans ce délitement généralisé, forcément les militaires maliens allaient essayer de tirer leur épingle du jeu.
Après le coup d’Etat de 2020, ils sont les premiers à considérer les forces bleu-blanc-rouge comme une armée d’occupation, entrainant avec eux une opinion malienne chauffée à blanc par les vagues de fakes news et de désinformation anti-française venue de Russie.
On sait ce qu’il est advenu : la France a plié bagage laissant le champ libre à la milice Wagner, les mercenaires prédateurs de Vladimir Poutine. Les terroristes, eux, sont toujours là, prêts à sauter sur le pouvoir à la première occasion. « La mainmise de fait des djihadistes sur une grande partie du pays a pour conséquences des formes de gouvernance islamique dans un nombre croissant de localités et la fermeture de milliers d’écoles, estime le réalisateur Jean Crépu. Cela constitue une véritable bombe à retardement ». Quant à l’élite malienne, son représentant le plus éminent est aujourd’hui l’imam Dicko, un fondamentaliste qui se dit en faveur de la démocratie mais rajoute dans la même phrase qu’elle ne doit pas s’imposer trop vite sous peine de générer le chaos… Désastre en cours.
Guerre au Mali, coulisses d’un engrenage, réalisé par Jean Crépu, 84 minutes, sur Arte le 12 juillet à 22h50 et sur arte.tv jusqu’au 9 septembre 2022