« Histoire de Jérusalem »: la faute à l’Occident (volet 1)

La bande dessinée “Histoire de Jérusalem”, scénarisée par l’historien français Vincent Lemire et dessinée par Christophe Gaultier (1), est toujours un succès de librairie, un an et demi après sa publication le 27 octobre 2022. Cette popularité est très sûrement favorisée par le brutal regain du conflit israélo-palestinien depuis l’attaque sanglante du 7 octobre 2023.

Dans cet ouvrage paru le 27 octobre 2022 aux éditions « Les Arènes BD », les auteurs ne cachent pas leur parti pris.  La ville sainte aurait souffert depuis toujours des disruptions occidentales.

Un article de Mateo Gomez.

“L’Histoire de Jérusalem” par Vincent Lemire et Christophe Gaultier est un effort admirable et une œuvre bien rodée. Faire entrer 4000 ans dans une bande dessinée n’est pas chose aisée, et pourtant l’exercice est bien réussi. C’est une lecture recommandée à tout lecteur qui s’intéresse de près ou de loin au conflit israélo-palestinien, car bien plus digestible que les traités académiques.

C’est plus de 4000 ans d’Histoire qui sont retracés dans cette bande dessinée. L’exercice est plutôt réussi: c’est un récit linéaire, exhaustif, accueillant et rassurant, qui montre toutes les étapes de Jérusalem, depuis sa création jusqu’en 2021. Brillamment coloriée et savamment racontée, la lecture est facile et agréable. La tâche était évidemment délicate, car peu de sujets historiques sont aussi controversés que celui de la ville “nombril du monde”, d’une suprême (et même divine) importance pour trois religions monothéistes, dont les deux les plus grandes au monde. Lemire en était bien conscient, et a donc fait des choix narratifs originaux.

L’Histoire de Jérusalem est narrée par le célèbre arbre du mont des Oliviers, immémorial, éternel, antérieur à la ville elle-même. Ce dispositif narratif permet une approche relativement neutre, notamment car le narrateur n’est, comme le souligne l’auteur lui-même lors de son passage sur l’émission Quotidien en novembre 2023, “ni chrétien, ni juif, ni musulman”. Similairement, la plupart des dialogues sont des sources primaires, mots sortis directement des bouches des personnages historiques dépeints. Ainsi, l’interprétation de l’Histoire est majoritairement laissée au lecteur.

La neutralité relative des auteurs  

Au fur et à mesure que la chronologie se rapproche du temps présent, la narration de l’arbre se politise, peut-être inévitablement. Sans faire exprès? Probablement pas. Il est évidemment difficile de politiser, à travers un point de vue moderne, l’Histoire ancienne. Mais lorsqu’on atteint finalement le XXIe siècle, il est clair que Lemire se positionne de plus en plus pour la cause palestinienne, en tout cas par rapport aux débats actuels qui secouent la France. Cette prise de position qui s’affirme au fur et à mesure de la BD garde tout de même le mérite de se faire sur des bases majoritairement politiques et non religieuses.

Les premiers signes se profilent au cours du récit du deuxième millénaire, à commencer par les croisades: la prise de Jérusalem par les armées catholiques, ferventes et zélées, n’est pas vue comme une victoire militaire, mais comme une destruction: la ville est laissée “dévastée, dépouillée, dépeuplée”. S’ensuivent des siècles de paix et de stabilité sous égide musulmane, d’abord mamelouke puis ottomane, où les trois religions et leurs déclinaisons vivent en paix et mixité. C’est également dans le récit de ces périodes plus calmes que l’œuvre devient peut-être la plus informative, car elles permettent d’explorer une ville sainte calme, courante, quotidienne, loin du grands fatras politico-religieux qu’on lui connaît si bien.

Le sionisme coupable?

Mais à mesure que le XXe siècle approche, l’auteur conduit à expliquer la situation d’aujourd’hui à Jérusalem. Ainsi, le sionisme, théorisé par Theodor Herzl, serait l’élément disrupteur des siècles de la paix et de la prospérité. Ce mouvement aurait placée la ville hors contrôle. Occidental, invasif, le sionisme échappe même au contrôle de ses théoriciens et aurait amené dans la ville une population juive extrémiste, violente, qui à son tour radicalise les populations arabes dprésentes.

Lemire apporte ici une réponse arrêtée à l’éternel débat de l’œuf ou la poule sur l’origine de la violence israélo-palestinienne: c’est bien les sionistes qui ont commencé. La haine a été exacerbée ensuite par la colonisation britannique, bienveillante envers les nouveaux arrivants juifs, et moins avec les populations arabes.

Des ellipses gênantes

A travers cette narration de la disruption sioniste, le manque de contexte pose problème. En effet, la concentration sur la ville de Jérusalem seule efface des éléments historiques plus larges. L’historien passe par exemple peu de temps les origines du sionisme, ou alors la montée des nationalismes, ce qui peut laisser le lecteur dans une certaine incompréhension du pourquoi et du comment les événements ont survenu. Trop concentrée uniquement sur la ville, la BD présuppose une certaine connaissance des dynamiques du conflit actuel.

La BD conclut par un vingtième siècle tourmenté et turbulent, qui met en scène un État hébreu construit dans et par la violence, qui finit par séparer la ville sainte en deux, et qui ne fait que creuser le fossé depuis. La critique de cette dernière séquence, la plus d’actualité, nécessite plus de temps et d’espace, et sera donc réalisée dans une deuxième partie.