Pianiste infatigable, icone anti-apartheid, le légendaire jazzman du Cap repart en tournée mondiale l’année de son 90e anniversaire. Retour sur son profil atypique et sa longue et fructueuse carrière.
Mateo Gomez.
Pas encore l’heure de la retraite pour Abdullah Ibrahim, alias Dollar Brand. Après 59 albums studio, 21 albums en live, des décennies de tournées et des millions de fans, il n’est que l’heure de poursuivre. Afrique du Sud, Italie, Allemagne, États-Unis, le pianiste n’est pas encore trop vieux pour l’exercice, malgré sa prochaine entrée dans sa neuvième décade.
Né le 9 octobre 1934 au Cap, en Afrique du Sud, dans le célèbre District 6, qui serait par la suite entièrement rasé dans les années 70 par le gouvernement d’Apartheid, il est initiallement inspiré par sa mère, qui jouait du piano dans une église. Il apprend lors dès son adolescence à manier les 88 touches, et développe un style influencé d’un côté des divers types de musique qui se trouvaient au Cap à l’époque, et du jazz états-unien de l’autre.
Façonné par le son expérience de l’Apartheid, il trouve refuge dans le jazz, mais aussi dans l’islam, auquel il se convertit en 1968, et duquel il adopte son nom arabe par lequel on le connait aujourd’hui. Traumatisé par le rasage du District 6 et intimidé plusieurs fois par la police blanche, il finit par s’exiler en Suisse, où la légende du jazz états-unien Duke Ellington le patronne, et lui permet, grâce à son aide, de publier le tout premier album de Dollar Brand, Duke Ellington presents the Dollar Brand Trio. Le premier d’une longue série.
Pianiste, mais aussi flûtiste, saxophoniste et violoncelliste
Ses harmonies, textures, couleurs, rythmes, phrasés et fluidité pianistique rendent ses compositions exceptionnelles et le propulsent à la célébrité mondiale, aidé par un savant mélange de jazz à l’américaine et de sonorités sud-africaines si propices au Cape Jazz, genre qu’il a aidé à développer. Le clou de sa carrière est peut-être la fin de l’apartheid, lorsqu’il fait un retour triomphal dans son pays, et joue en 1994 à l’inauguration de Nelson Mandela.
Un âge assumé
Une tournée à 89 ans n’est évidemment pas chose aussi aisée qu’à 30 ans. Abdullah Ibrahim adopte donc son style à l’âge pour éviter les erreurs et les dérapages qui viennent invariablement aux doigts octogénaires. Depuis le tournant du siècle, son style est plus doux, plus espacé, plus posé. Un ton plus minimaliste, qui lui permet, lui aussi, sur scène, de profiter, et de réadapter des anciens morceaux, explorant sa mémoire avec ses doigts. Et évidemment, qui lui permet de pas trop se fatiguer, pour pouvoir, par exemple, faire des tournées dans plusieurs pays.
De mars à Novembre, de l’Afrique à l’Europe, le maître repart démontrer ses talents.