« Goodbye Julia », un grand film soudanais

Une tragédie  qui conjugue avec brio les trajectoires intimes de deux jeunes femmes et les tensions politico-raciales d’un Soudan à feu et à sang – magistral. Un film de Mohamed Kordofani avec Eiman Yousif et Siran Riak, le premier film Soudanais à avoir été sélectionné au festival de Cannes où il a remporté le prix de la liberté

Le Realisateur Mohamed Kordofani signe son premier film avec Goodbye Julia

Le film démarre en 2005, à Karthoum dans un contexte d’émeutes et de répression des populations du Sud… 

Dans le chaos ambiant, Mona, une musulmane du Nord,  ancienne chanteuse mariée à Akram (un bourgeois autoritaire et machiste) en traversant  un bidonville  au volant de sa voiture  renverse un petit garçon et paniquée, prend la fuite au lieu de lui venir en aide.

Quand le père de l’enfant un pauvre émigré du sud, furieux, la poursuit jusque chez elle, le mari sur la défensive, l’abat froidement d’un coup de fusil et fait disparaître le corps du pauvre hère grâce à des relations bien placées. Ni vu ni connu.

Ce drame inaugural va faire basculer le destin de tous les protagonistes et conduire à la rencontre puis à l.amitié de deux femmes qu’a priori tout oppose . 

Mona la bourgeoise musulmane du nord, malheureuse en ménage, oisive et stérile va rechercher Julia la pauvre émigrée du sud sans domicile dont elle a involontairement brisé la vie en provoquant la mort de son homme. Elle l’engage comme domestique, elle l’héberge avec son petit garçon à qui elle paye une école privée … une façon secrète de  soulager sa mauvaise conscience.

Mais Julia a beau être pauvre sans instruction sans domicile… elle est non seulement très belle mais aussi  très intelligente. Sa patronne en fait un peu « trop » alors bien vite elle  se doute, elle comprend et dévoile son secret – sans rien laisser paraître. 

Alors pourtant un étrange rapport de solidarité tissé de mensonges et  de non-dits va alors se déployé entre ces deux femmes blessées.

Une solidarité féminine qui outrepasse les antagonismes de classe, de religion, de culture. Tout se passe comme si dans cette étrange sonorité , le désir d’aimer le besoin d’émancipation et la puissance féminine l’emportait sur le ressentiment.

L’équipe du film au festival de Cannes 2023 prix de la liberté

 

Les  deux femmes partagent des moments de bonheur de danse et de musique et cette «  réconciliation à l’échelle intime se déroule au moment où un plan de paix est signé entre l’Armée populaire de libération du Soudan, l’APLS, et le pouvoir de Khartoum. C’est le début d’une période de transition qui conduira au référendum d’autodétermination et à la sécession du Sud – referendum d’ailleurs mis en scène dans le film.

Car après une ellipse, on retrouve  les protagonistes quelques années plus tard…

 Le petit garçon  a grandit et il n’accepte pas le mystère autour de la disparition de son père…  Il cherche et finira  par trouver – la vérité va resurgir et les deux femmes  seront bien obligées de constater que leur amitié était basée sur la mort et le mensonge. Le temps des adieux a sonné – Good bye Julia – et chacune partira  vers de nouveaux horizons.

Mona et Julia  ne se reverront probablement plus mais elles garderont  le souvenir  d’intenses moments partagés et de l’aide mutuelle qu’elles se sont apportées sur leur chemin d’émancipation respectifs.

Mona divorce et reprend sa vie de chanteuse, Julia s’embarque vers le sud avec son gamin.

Le réalisateur a l’art de brosser des personnages originaux sans les juger avec un humanisme qui se brise contre le constat d’une société figée dans ses haines – le racisme des gens du Nord envers ceux du Sud, l’orgueil de classe et les codes d’honneur régissant une société patriarcale où la femme est surveillée et jugée en permanence.

En 2011, le Soudan du Sud devient un état indépendant après le référendum Julia aussi s’émancipe quand la vérité finit par éclater dans le foyer de ses employeurs. La paix, elle, attendra. Une décennie de guerre civile et près de 400 000 morts plus tard, le pays traverse encore aujourd’hui une grave crise politique et humanitaire . Et c’est dans ce contexte agité que le réalisateur a tourné son film. Le tournage a démarré juste après le coup d’État militaire en octobre 2021 qui s’est terminé par le début de la guerre en avril 2023. L’équipe du film a finalement dû fuir le Soudan, comme beaucoup de ses amis et sa famille. Et au Festival de Cannes, Kordofani a dû regarder impuissant sur les réseaux sociaux sa ville en feu. Il a déclaré avoir peut-être avec ce film dresser le dernier portrait de sa ville Khartoum avant les ravages de la guerre.

Dans  ce film aux accents de tragédie grecque tout le monde souffre tout le monde est victime  – même les bourreaux… Et pourtant il émane de plusieurs séquences un sentiment de liberté, de  joie de vivre,  une beauté des sourires, des regards, de la musique qui donnent l’envie et peut être même l’espoir d’une rédemption.

Le jeu exceptionnel des comédiennes y est sûrement pour beaucoup : mention spéciale pour Sirant Riak  époustouflante de beauté, d’élégance – la grâce à l’état pur.

Sandra JOXE