L’ancien gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Riad Salamé, a été arrêté mardi à Beyrouth, a indiqué à l’AFP une source judiciaire. Il est soupçonné de corruption dans son pays et à l’étranger.
Le patron de la BDL est-il vraiment le Don Corléone de la finance libanaise, tel qu’il est apparu dans une campagne de presse orchestrée à Paris et à Beyrouth après le dépôt de deux plaintes pour blanchiment déposées devant la justice française ? Ou aura-t-il été, comme le soutiennent ses amis, ce sphinx au sang froid qui a régné sur la Banque du Liban (BDL) depuis si longtemps, l’artisan de la prospérité de la Suisse du Moyen Orient avant sans doute d’avoir trop cru en sa capacité de remettre le Liban à flot dans une forme de cavalerie financière désastreuse?
Voici le portrait de ce parrain de la finance libanaise depuis trente ans, aussi secret que roué et qui avant d’être trainé dans la boue par une campagne de presse hargneuse aura été un des hommes les plus puissants du pays.
Le procès médiatique qui est intenté à Riad Salamé a bien d’autres ressorts que la volonté affichée de lutter contre les frasques financières des élites libanaises. Lesquelles expliquent la formidable mobilisation populaire que les Libanais ont baptisé du nom de Thaoura (‘la Révolution ») et qui s’est manifestée avec force en octobre 2019 dans les rues. La diabolisation de la Banque du Liban dont Riad Salamé fut le gardien inamovible permet à la classe politique libanaise de désigner un bouc émissaire commode et de botter en touche sur ses propres turpitudes.
Jeux de pouvoir
Autre certitude, certaines personnalités du monde de la politique libanaise sont à l’œuvre, notamment en Suisse, dans cette mise en cause judiciaire, dans le but notamment de pousser Riad Salamé vers la sortie et de s’emparer tout bonnement de la place enviée qu’il occupe (1).
Issu d’une grande famille libanaise qui fit fortune au Liberia dans le cacao, Riad Salamé était gestionnaire de fortune chez Merril Lynch, où cet homme de réseaux à l’échine souple prenait soin, entre autres, des économies de l’épouse de Yasser Arafat, Rafiq Hariri, redoutable chasseur de tète et Premier ministre du Liban à plusieurs reprises de 1992 à 2004, qui le nomma à la tète de la Banque du Liban (BDL) pour redresser la monnaie nationale après les années de guerre civile. « Hariri, PDG du Liban », titrait « Libération » pointant la formidable capacité du leader sunnite à reconstruire une place financière conquérante.
Hariri et Salamé furent ensemble les maitres d’œuvre de la reconstruction pharaonique du centre de Beyrouth en favorisant les appétits immobiliers d’une caste au pouvoir. Sur fond d’une stabilité exceptionnelle de la livre libanaise qui s’échangea contre le dollar à un taux fixe, constant et très favorable pendant un quart de siècle, un cas assez unique dans l’histoire de la finance mondiale dont tous les Libanais, et pas seulement les plus privilégiés, furent les bénéficiaires.
La fin de l’âge d’or
Tout allait pour le mieux dans le meilleur des monde libanais qui était largement financé par les monarchies pétrolières du Golfe, les conférences sur la dette organisées à Paris par ce grand ami du Liban qu’était l’ex Président français, Jacques Chirac et enfin une diaspora nombreuse, fortunée et confiante dans la solidité de la monnaie adossée au dollar.
L’âge d’or perdure pendant la crise des subprimes en 2008-2009 et ne prend fin, hélas, qu’à partir de 2011. C’est le début de la guerre en Syrie, la montée du terrorisme dans la région et l’incapacité des élites politiques libanaises d’entamer la moindre réforme. La montée en puissance du Hezbollah, ce mouvement pro iranien qui développe un Etat parallèle tout en participant au gouvernement, contribue à paralyser définitivement le pays.
« Il fallait tenir», s’est toujours défendu le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, y compris dans l’entretien que Mondafrique avait obtenu alors qu’il était en fonctions. Sa principale parade aura été de rejeter la responsabilité du désastre actuel sur la classe politique libanaise. Encore peut-on s’interroger sur la pertinence des rustines qu’il a jugées bon de plaquer sur un système monétaire qui prenait l’eau et voyait les réserves en dollars fondre comme neige au soleil. Surtout le gouverneur de la Banque du Liban, compte tenu de sa longévité et de son autorité, aurait-il du siffler la fin de la récréation et militer publiquement pour des réformes audacieuses, en mettant sa démission en jeu.
Autant de questions auxquelles Riad Salamé a toujours accepté de répondre face à la presse sans jamais souhaiter mettre en cause les responsables de la campagne de presse virulente qui aura été orchestrée contre lui dans des conditions qui restent à éclaircir