Les liaisons dangereuses du Hezbollah et de la Russie

La Russie a discrètement étendu son influence au Liban et noué des liens de plus en plus solides avec le Hezbollah.

Une étude d’Aurora Ortega, haut fonctionnaire du gouvernement américain et de Matthieu Levitt, chercheur au Washington Institute for Near East Policy fait le point sur les relations dangereuses du Hezbollah et de la Russie. Leur travail a été publié sur le site internet du Royal United Services Institute (RUSI), un think tank britannique spécialisé sur les questions de défense et de sécurité.

L’alliance de la Russie et du Hezbollah est née en Syrie, à une époque de guerre civile ou les forces russes et celles du Hezbollah ont entrepris de sauver la mise du régime de Bashar al Assad. Pendant des années, cette alliance a été cantonné à une activité militaire en Syrie, mais à partir de 2018, le Hezbollah et la Russie ont commencé à s’engager dans des activités conjointes sans précédent pour contourner les sanctions occidentales. Cette coopération qui a dépassé une simple alliance militaire comporte désormais une dimension économique. 

Contournement des sanctions

En novembre 2018, le département américain du Trésor a révélé un schéma complexe de contrebande de pétrole initié par le Hezbollah et la Force Qods du Corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC) d’Iran dans le but de contourner les sanctions imposées par le gouvernement américain. Le stratagème était le suivant : le régime iranien remettait de l’argent à la société d’État russe Promsyrioimport qui avait toute latitude de remettre ces sommes à la banque centrale de Syrie, contournant ainsi les sanctions américaines contre le régime d’Assad. 

Simultanément, la Banque centrale syrienne redistribuait cet argent au Hezbollah, au Hamas et à la Force IRGC-Qods, des milices œuvrant pour le compte des ayatollahs. 

Deux hommes clés

Au centre de ce réseau de contournement des sanctions se trouvaient deux hommes-clés :  le responsable du Hezbollah Mohamed Qasir et le ressortissant syrien basé en Russie Mohamed Alchwiki. 

Dans une lettre adressée à un haut responsable de la Banque centrale d’Iran, Qasir (alias M. Fadi) et Alchwiki ont confirmé avoir reçu 63 millions de dollars au profit du Hezbollah.

Ce réseau a depuis été démantelé et le département du Trésor a sanctionné de nombreuses entités qui y étaient impliquées. Mais les personnes en charge du contournement des sanctions se sont sans cesse adaptées aux contraintes, ont fait évoluer leur réseau, la constante étant l’implication officielle du gouvernement russe dans ce réseau de contrebande est.

En mai 2022, le département du Trésor a publiquement épinglé la Russie pour le rôle qu’elle jouait dans ce réseau de contrebande de pétrole en faveur du Hezbollah et es Gardiens de la Révolution. Le Trésor américain a indiqué que le financement clandestin du Hezbollah et de la Force IRGC-Qods était « soutenu par des organismes gouvernementaux de la Fédération de Russie ». Le département du Trésor a ajouté que dès avril 2021, l’ancien responsable de la Force IRGC-Qods, Rostam Ghashemi, a utilisé la société à responsabilité limitée RPP basée en Russie « pour transférer des millions de dollars au nom de la Force IRGC-Qods ». 

Le gouvernement russe et la société d’État russe Rosneft ont également collaboré avec d’autres entités de ce réseau de contrebande iranien, comme la société Zamanoil DMCC basé aux Émirats arabes unis. Zamanoil a ainsi « expédié de grandes quantités de pétrole iranien à des entreprises en Europe au nom du IRGC-Force Qods ». 

Le Trésor américain n’a pas ménagé ses efforts pour suivre l’évolution constante de ce réseau de contournement des sanctions.  Ce travail a ainsi révélé que les « tankers fantômes » tels que le Zephyr I et le Julia A qui délivraient du pétrole au profit du Hezbollah et de la Force IRGC-Qods avaient fini par servir à la contrebande de pétrole russe. Autrement dit, les liens noués par la Russie avec le Hezbollah ont servi à la Russie lorsqu’elle a été touchée à son tour par les sanctions américaines et européennes après son invasion de l’Ukraine.

Le « soft power »

La collaboration entre la Russie et le Hezbollah ne se limite pas au contournement des sanctions. En mars 2021, le Hezbollah a envoyé une délégation à Moscou, qui a reçu une forte exposition médiatique. Il s’agissait de la seconde visite « officielle ». La première visite à Moscou du Hezbollah avait eu lieu une décennie auparavant et s’était déroulée totalement à l’abri des regards. 

Les représentants du Hezbollah ont passé trois jours à Moscou, rencontrant divers responsables russes, dont le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, des représentants de la Douma d’État et du Conseil de la Fédération, ainsi que l’ambassadeur iranien en Russie Kazem Jalali. La délégation a eu une longue réunion avec le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhail Bogdanov, qui est également le représentant spécial de Vladimir Poutine au Moyen-Orient. 

Le secret a bien sur été gardé sur les projets de la Russie et du Hezbollah. Mais en janvier 2023, dans un communiqué, le Trésor américain a pointé un doigt accusateur contre l’économiste libanais Hassan Moukalled le décrivant comme un conseiller financier du Hezbollah. Le Trésor a affirmé que Moukalled a coordonné un large éventail de projets avec le responsable du Hezbollah Mohamed Qasir, y compris des accords commerciaux impliquant la Russie.

Depuis 2021, Moukalled a accompagné des délégations russes en visite à Beyrouth, et a rencontré à plusieurs reprises le vice-ministre russe Bogdanov. Moukalled, a aussi participé aux négociations qui ont amené la société russe Hydro Engineering and Construction à s’intéresser à la reconstruction de la raffinerie de Zahrani située dans une région du sud Liban contrôlée par le Hezbollah – un projet estimé à 1,5 milliard de dollars. 

Selon les registres fiscaux russes, Hydro Engineering and Construction a été créé en février 2021 – un mois seulement avant que la délégation du Hezbollah ne se rende à Moscou – et cette société est contrôlée à 100% par l’homme d’affaires russe Andrei Metzger, lequel a fait partie d’une délégation qui a rendu visite au Liban au nom du gouvernement russe. Il semble également que la délégation aurait discuté avec la Banque centrale libanaise de l’intérêt pour la Russie d’acheter une banque au Liban pour faciliter les transferts financiers.

Dans un communiqué, Nasrallah a dénoncé les États-Unis qui ont bloqué le projet de raffinerie de Zahrani, allant jusqu’à dire que « si le Hezbollah avait dominé les décisions de l’État libanais, l’offre russe aurait été acceptée il y a un an et demi » .

Achat d’armes

En plus de coordonner les accords commerciaux impliquant la Russie, le Trésor américain a révélé que Moukalled avait également travaillé avec le responsable du Hezbollah Mohamed Qasir sur les efforts visant à aider le Hezbollah à obtenir des armes pour son propre usage. Les rencontres d’Hassan Moukalled avec des responsables russes avaient encore lieu en janvier 2023. Et fin mars 2023, Moukalled s’est rendu en Russie et a rencontré non seulement le vice-ministre des Affaires étrangères et représentant spécial de Poutine au Moyen-Orient Mikhaïl Bogdanov, mais aussi le vice-ministre de la Défense Alexandre Fomine. Selon la propre déclaration de Moukalled via Twitter, les deux réunions ont porté sur le renforcement des relations entre le Liban et la Russie, en particulier en ce qui concerne les projets économiques et d’investissement russes. Ils ont également inclus des conversations sur l’établissement de vols directs entre les deux pays.

Conclusion

De nombreuses inconnues demeurent sur l’étendue de la collaboration entre le Hezbollah et la Russie ou sur les avantages que chacun en retire. Mais cette relation entre un Etat et une organisation terroriste au service de l’Iran s’est développée et touche de nombreux domaines financiers, militaires, énergétiques… Certes, les activités de la Russie au Liban ne sont pas toutes liées au Hezbollah. Mais son alliance avec le Hezbollah offre à la Russie une facilité d’étendre son empreinte globale au Liban tout en rendant service au groupe terroriste.

L’alliance d’un Etat parmi les plus puissants de la planète, la Russie, avec l’un des mouvements terroristes parmi les plus puissants de la planète pose néanmoins question et interroge d’une étrange manière le désengagement américain du Moyen Orient.

En cette ère de concurrence stratégique, les États-Unis – et surtout leurs alliés actuels et passés – pourraient avoir à souffrir de ce retrait mal pensé et mal organisé.

Des portraits de Poutine dans la plaine de la Bekaa (Liban)