Le Hezbollah à la conquête du Mont Liban

Montagne du Mont Liban au-dessus de la Vallée de la Qadisha, Hadshit, Liban-Nord, Liban
Pour la première fois de l’histoire du Liban, un député du Hezbollah devrait être élu au coeur du Mont Liban, le sanctuaire de la communauté chrétienne où se trouve depuis des  siècles le Patriarche maronite, Mgr Bechara Raï

En s’éloignant de Beyrouth par cette route en lacets qui gagne les montagnes enneigées, le voyageur pénètre au coeur du sanctuaire chrétien. Le Mont Liban abrite à la fois le Patriarcat maronite, né voici quatorze siècles et le seul casino du Moyen Orient. Les villages sont accrochés au flanc de la montagne, les  terrasses cultivées comme autant de  jardins suspendus, les rixes habituelles et les églises très fréquentées. À la façon des Corses! Sauf que l’identité du Mont Liban est marquée par un fort communautarisme, mais aussi par l’ouverture au vaste monde où vit une diaspora nombreuse, active et solidaire avec la mère patrie.

À l’entrée du village de Kartaba, le docteur Farès Souhaid accueille au seuil de sa vielle demeure familiale les amis et voisins venus apporter leur soutien à la liste qu’il conduira  le 15 mai prochain: huit sièges à pourvoir, sept chrétiens et un chiite, en raison de la présence d’une minorité musulmane.

Le patriarche maronite, Mgr Bechara Rai

Petit fils d’un médecin apothicaire formé à Paris en 1909,  Farès Souhaid est connu pour son combat contre l’occupation syrienne en 2005 et pour son engagement adésormais contre les milices armées chiites. Les voitures balisées des militants du Hezbollah rodent parfois, comme ces jours ci, jusque dans le village chrétien, une menace discrète mais réelle envoyée par un mouvement capable d’assassinats ciblés contre ses opposants. 

« Nous nous battons au Mont Liban sur le front culturel pour défendre notre mode de vie occidental, les plages, l’alcool ou le festival international de Byblos ». Et d’ajouter: « Pour la première fois dans l’histoire de notre région, prévient-il inquiet, le Hezbollah devrait remporter un des huit sièges en jeu. Leur candidat qui réside en banlieue sud de Beyrouth n’a rien à voir avec sa région d’origine « . « Tout était en notre faveur au Liban, nous possédions un joyau, explique une de ses soeurs présentes ce dimanche, mais cela s’est effondré ».  

Cardiologue de formation et brillant intellectuel, Fares Antoun Souhaid s’est engagé, en 2005, comme coordinateur du secrétariat général de l »‘ Alliance du 14 mars », le mouvement qui exigea, avec succès, la fin de l’ occupation syrienne du Liban en 2005.

Dans les villages du Mont Liban, le sentiment d’encerclement  par les forces hostiles est palpable. Des routes sont construites qui traversent désormais la montagne chrétienne pour relier la région de la Bekaa, fief du Hezbollah, à la mer. Ce que certains fantasment comme la volonté de Téhéran d’ouvrir, via ses alliés libanais, des couloirs jusqu’à la Méditerranée.

Autre sujet d’inquiétude pour les populations chrétiennes, le cadastre, créé sous le Protectorat français en 1926, a laissé un tiers des  terres sans bornage, à l’exception des ruisseaux et autres arbres fruitiers qui créent un réel sentiment d’insécurité. D’où des conflits permanents entre chrétiens et musulmans. La bataille cadastrale, comme l’appelle le docteur Farès, est devenue prioritaire dans sa campagne.  « L’heure de la Reconquista a sonné pour les chiites, explique le candidat, leur tour est venu puisque les chrétiens auraient été favorisés par le Patriarcat ». Et de dénoncer « ces deux cent millions de mètres carrés qui auraient été volés dans les villages d’Oura, Akqa ou Lassa ». « La stabilité cadastrale, insiste-t-il,  est aussi essentielle que la stabilité financière ».  

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)