Le grand retour de Saad Hariri sur la scène politique libanaise

Le 14 février 2025 pourrait marquer un tournant dans le cours de la conjoncture actuelle. Après six ans d’absence de la scène politique libanaise, ayant démissionné de son poste de Premier ministre en 2019, et vingt ans après l’assassinat de son père, Rafic Hariri, Saad Hariri pourrait faire son grand retour sur la scène politique libanaise.

C’est ce que, du moins, annonce depuis quelques semaines son équipe, en amont d’un discours qu’il se prépare à prononcer à l’occasion de la vingtième commémoration de la disparition tragique de Rafic Hariri, l’homme d’État qui a marqué de son empreinte l’histoire moderne du pays. Son arrivée, tant attendue par ses partisans au Liban, suscite des interrogations: s’agit-il d’un prélude à un retour en force de Saad Hariri sur la scène politique libanaise?

Il faut dire que le pays vit aujourd’hui un moment de transition. Un gouvernement dirigé par Nawaf Salam est en place depuis quelques jours, en attendant la confiance que lui accordera, ou non, le Parlement dans les jours qui viennent. Avec pour principal objectif de stabiliser le pays à plus d’un niveau avant les prochaines élections législatives, qui devraient se tenir en mai 2026, le nouveau cabinet dispose d’environ un an et demi pour sortir le Liban de la crise politique et économique profonde dans laquelle il se trouve depuis plusieurs années.

Dans ce contexte, la question qui se pose actuellement est celle du timing de l’annonce du retour en force de Saad Hariri, selon la campagne médiatique lancée à cet effet. L’ancien Premier ministre pourrait-il se réapproprier son rôle de leader au sein de la communauté sunnite libanaise, voire plus largement dans la politique nationale? Miserait-il sur le critère temporel et sur les prochaines législatives pour réaffirmer sa position? D’autant plus qu’après plusieurs années d’instabilité et l’absence d’un véritable dirigeant pour la communauté sunnite, le retour de Saad Hariri est perçu, par certains, comme une réponse aux attentes d’une partie de la population, en particulier de ceux qui estiment que son leadership est encore plus que nécessaire pour apaiser les tensions internes et garantir une certaine stabilité politique en leur sein.

Cependant, la situation reste complexe. Le paysage politique libanais a évolué et, au-delà des questions internes à la communauté sunnite, la politique nationale se trouve aujourd’hui fragmentée. Avec un gouvernement déjà en place sous la présidence de Nawaf Salam, toute tentative de retour de Saad Hariri sur le devant de la scène devrait se faire dans un cadre politique différent de celui qu’il a connu il y a quelques années. Une tâche ardue et non sans embûches.

Un retour qui n’en est pas véritablement un

La question d’un “changement politique” au Liban a été maintes fois évoquée depuis le lancement de la campagne médiatique relative au retour de Saad Hariri au Liban. “Certes, les raisons qui avaient conduit au départ de M. Hariri ne sont plus d’actualité aujourd’hui”, souligne Antoine Andraos, ancien député et ancien vice-président du Courant du Futur. “La conjoncture a évolué, et bien que l’on attende son discours, je reste personnellement sceptique quant à un véritable retour politique de sa part”, poursuit-il. “Il est toutefois certain, selon les informations dont je dispose, qu’il lancera une initiative au sein de son parti, en vue de préparer sa participation aux prochaines législatives”, estime-t-il, avant d’indiquer que l’ancien Premier ministre, qui réside à Abou Dhabi, n’envisage toujours pas de s’installer durablement au Liban, mais qu’il pourrait effectuer quelques allers-retours.

On rappelle, à cet égard, que le secrétaire général du Courant du Futur, Ahmad Hariri, a déjà commencé à préparer le terrain au retour politique de son cousin. Plusieurs déplacements et visites dans différentes régions libanaises ont été entreprises au cours des derniers mois, et ce “dans le but de sonder l’opinion publique, pour obtenir des indications relatives à la popularité et au poids réel de l’influence de Saad Hariri sur la population”, comme l’a précisé à Ici Beyrouth M. Andraos.

Selon l’ancien vice-président du parti, M. Hariri devra étudier attentivement sa participation aux législatives en analysant, de prime abord, la loi électorale, qui, lors des dernières élections, lui a fait perdre des députés et a permis aux Forces libanaises de gagner du terrain. “C’est un élément crucial qu’il doit impérativement prendre en compte, cette loi n’étant manifestement pas favorable à sa position”, suggère M. Andraos, avant de poursuivre qu’une telle démarche “représente l’un des défis les plus importants de son avenir politique”.

Les relations avec les puissances régionales 

Saad Hariri a toujours été perçu comme un homme proche de l’Arabie saoudite, un allié clé dans la région. Toutefois, ces dernières années, les relations entre le Liban et le Royaume ont été mises à l’épreuve, notamment au lendemain de la démission de M. Hariri en 2019. La perception d’une ingérence étrangère dans les affaires libanaises avait alors exacerbé les tensions politiques internes.

Aujourd’hui, bien que la situation reste fragile, il semble que les rapports entre Saad Hariri et l’Arabie saoudite ne soient pas aussi mauvais qu’ils n’en ont l’air. Certains signaux laissent penser que le Royaume pourrait “permettre” un retour “approximatif” du leader sunnite, bien que la situation en Syrie, les rivalités internes au Liban et l’évolution des dynamiques régionales puissent nuancer cette analyse.

“Je ne pense pas que l’Arabie ait donné un feu vert clair à Saad Hariri pour un retour politique en force”, note M. Andraos. “Le Royaume ne s’opposerait certainement pas à son initiative concernant les législatives, mais il est aujourd’hui peu probable que l’Arabie saoudite concentre tous ses efforts et tout son soutien autour d’un seul homme”, ajoute-t-il. “Il est encore trop tôt pour en juger et l’Arabie va probablement accorder sa chance à Nawaf Salam”, affirme-t-il. Et de signaler: “Il serait bon pour Saad Hariri de consolider, par conséquent, ses relations avec les composantes chrétiennes.”

Ainsi, avec la perspective d’un semblant de retour sur la scène politique libanaise, l’ancien Premier ministre devra faire face à une double réalité: celle d’un Liban fragilisé et le besoin urgent de reconstruire la confiance d’une population lasse des promesses non tenues. Le discours qu’il prononcera le 14 février prochain pourrait être un premier pas vers cette réconciliation, mais il devra surtout répondre aux questions qui taraudent ses partisans: quelle direction Saad Hariri souhaite-t-il réellement prendre?

 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)