Candidat indépendant lors des élections législatives à la tète d’une des onze listes présentes à Tripoli, la deuxième ville libanaise, Ihab Matar (41 as), un homme d’affaires qui a fait fortune en Australie, a été seul à choisir, le 14 juin, le patron de l’armée libanaise, Joseph Aoun. Portrait
La ville de Tripoli, capitale du sunnisme libanais a été au cœur du mouvement de contestation populaire qui a débuté le 17 octobre 2019. On se souvient des énormes rassemblements de la « Thawra » (révolution libanaise) sur les places publiques de la deuxième ville libanaise. Ces mobilisations n’ont guère débouché sur un leadership capable d’incarner le changement lors des élections législatives du 15 mai. Il reste l’espoir de voir élue une douzaine de candidats « indépendants », ni totalement indépendants et ni vraiment unis, mais qui représentent une nouvelle façon de faire de la politique au Liban.
Ihab Mahar, 41 ans, est un de ces pionniers venus du bout du monde, fiers de leur réussite et portés par les réseaux sociaux. L’élection de cet électron libre porterait un sérieux coup au moral des féodaux qui se partagent le pouvoir, détestés par l’immense majorité du peuple. Sauf qu’à l’occasion de ces élections du 15 mai, les mêmes achètent, pour une poignée de dollars, les consciences des Libanais pauvres, 80% de la population désormais.
« Le virus de la réussite »
Issu de milieu modeste, Ihab Matar avait choisi Sydney à dix neuf ans pour trois raisons: un oncle sur place, un pays anglophone et ouvert sur le vaste monde, des études d’informatique moins couteuse à financer qu’aux États Unis. La francophonie a quelques soucis à se faire. Lorsqu’on recherche le nom d’Ihab Matar sur Google, toutes les références apparaissent en anglais. Son épouse, ses trois enfants et ses parents qu’il a fait venir à Sydney sont parfaitement intégrés dans un monde anglophone. « On adore la cuisine libanaise, mais aussi australienne, chinoise, turque ou arménienne ».
« J’ai le virus de la réussite », affirme ce Libanais qui est désormais à la tète à Sydney d’un groupe de services aux collectivités de quelques milliers de salariés qu’il gérera, depuis Tripoli, s’il est élu. Et d’ajouter dans un sourire: » J’ai deux amours: l’Australie et le Liban ».
L’Australie n’est pas vraiment la porte à coté, vingt quatre heures d’avion via Dubaï. Pas de quoi pourtant dissuader ce citoyen du monde sous perfusion d’Internet. La Révolution a été l’étincelle pour revenir dans sa ville natale de Tripoli combattre une classe politique qu’il juge totalement corrompue. Qu’on le comprenne bien, il s’agit de toute la classe politique. « Les politiciens s’en prennent au Hezbollah à a télévision. Mais il déjeunent et dinent avec ses dirigeants pour se partager le pouvoir ».
Ihab Matar parle vite, le temps lui est désormais compté. À l’image du Liban
Du neuf avec de l’ancien
Autre surprise, ce candidat ouvert au monde et sans aucune relation avec un système politique dont il espère l’effondrement s’est allié avec une branche d’un des plus anciennes formations politiques libanaises, les Frères Musulmans, qu’on appelle également au Liban « Jamaa Islamiya ». Comment faire autrement dans un scrutin de liste ultra sophistiqué, aménagé pour justement empêcher des personnalités indépendantes d’aller seules au combat électoral? « À Tripoli, une ville très religieuse et traditionnelle, ceux qu’on appelle ici font partie du paysage. Il me fallait m’enraciner dans la société telle qu’elle est, à la fois traditionnelle et très religieuse ». Et d’ajouter: » Nous n’avons conclu qu’une alliance électorale, tous unis dans notre passion pour Tripoli, et avec l’engagement de tenir les puissances étrangères éloignées de ce scrutin ». Ce qui vaut pour le Qatar, devenu pourtant le fief des Frères Musulmans comme pour la Syrie, la Mecque des anti « Jamaa Islamiya ».
Un patriotisme libanais toujours fort, l’influence déterminante de la diaspora, le vaste monde ramené à l’échelle d’un village libanais, une démocratie minée mais encore vivante, des hommes d’affaires fiers de leur réussite ou encore des alliances avec des islamistes inconcevables en Europe: voici ce que dit la candidature de Ihab Matar sur le Liban.
L’extravagant système électoral libanais