A moins de deux mois des élections législatives libanaises prévues du 15 mai prochain, le tandem du Hezbollah pro-iranien et de son allié indéfectible, le parti aouniste du président Michel Aoun, fait feu de tout bois pour diaboliser ses adversaires hostiles à l’emprise iranienne sur le Liban.
Michel TOUMA
Dans le courant des années 1990 et au début des années 2000, l’appareil judiciaire libanais était manipulé en coulisses par les services de Renseignements syriens pour combattre tous ceux qui s’opposaient à l’occupation syrienne. Aujourd’hui, l’Histoire se répète sur ce plan. Le Liban est en effet le théâtre actuellement d’une vaste instrumentalisation, par le régime en place, d’une partie de la structure judiciaire du pays au profit cette fois-ci d’une alliance formée du parti chiite pro-iranien, le Hezbollah, et de son allié local, le chef du Courant patriotique libre (CPL, parti chrétien), Gebrane Bassil, gendre du président de la République libanaise Michel Aoun.
Cette instrumentalisation de la Justice se fait, sous la houlette de l’équipe du chef de l’État, dans un double but, purement partisan (dans le cas du CPL) et géopolitique (dans le cas du Hezbollah).
Pour le parti du président Aoun, dont la popularité chez les chrétiens est en chute libre, il s’agit avant les élections législatives de mai prochain et, surtout, avant la fin du mandat présidentiel (le 31 octobre) d’affaiblir au maximum ses adversaires chrétiens et ceux qui représentent une entrave à ses desseins politiques.
L’enjeu pour le Hezbollah
Pour le Hezbollah, il s’agit d’affaiblir, toujours dans la perspective des élections législatives, tous ceux qui s’opposent à son rôle régional et à l’influence iranienne au Liban, et tous ceux aussi qui représentent une entrave à son projet politique transnational, ancré idéologiquement à la République islamique iranienne.
Pour le parti chiite, l’enjeu véritable dépasse, en fait, le cadre du Liban et s’inscrit plutôt dans le contexte de la stratégie régionale de Téhéran. A cet égard, l’objectif à atteindre aujourd’hui pour le Hezbollah est double : d’abord, s’assurer une confortable majorité parlementaire afin de pouvoir, le cas échéant, légaliser son arsenal militaire illégal, qui échappe à tout contrôle, comme l’a souligné le patriarche maronite, Mgr Béchra Raï, lors de sa récente visite au Caire ; ensuite, il s’agit pour la formation pro-iranienne de préserver et consolider sa prédominance sur l’échiquier politique local afin de mieux servir les intérêts du régime iranien.
Campagne de diabolisation
Ce dernier objectif est d’autant plus vital que les négociations de Vienne sur le nucléaire iranien ont atteint un stade crucial et, de ce fait, le sort de l’influence iranienne dans la région, et a fortiori au Liban, se joue actuellement.
Les adversaires du Hezbollah et du CPL sont les mêmes. Il n’est donc pas surprenant que ces deux partis unissent leurs efforts pour combattre «l’ennemi» commun. Sauf que pour lutter contre leurs adversaires, ils ont recours, précisément, à l’instrumentalisation d’une faction de l’appareil judiciaire afin de se livrer à une véritable chasse aux sorcières.
Une campagne de diabolisation, qui n’est pas sans rappeler les circonstances de l’affaire Dreyfus, est ainsi menée dans une atmosphère fiévreuse contre le leader des Forces libanaises Samir Geagea (principal parti hostile à l’influence iranienne), la chaîne de télévision MTV et le célèbre journaliste Marcel Ghanem (farouchement hostiles également au régime et à l’emprise du parti pro-iranien), le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé (accusé par le Hezbollah et le CPL de tous les maux) et, cerise sur le gâteau, contre l’ensemble du secteur bancaire (qualifié de pro-américain par le Hezbollah).
Des coups de boutoir
Les procédures judiciaires lancées contre l’ensemble de ces acteurs se font sans fondements solides, le plus souvent en violation des règles les plus élémentaires d’une action judiciaire saine et impartiale. De ce fait, ce sont aussi bien le secteur bancaire que la Justice, en tant que pouvoir censé être indépendant, qui subissent des coups de boutoir successifs de la part du tandem Hezbollah-CPL. Cette diabolisation tous azimuts s’inscrit parfaitement dans le cadre de la stratégie de déconstruction de l’Etat et du système en place, appliquée par le Hezbollah depuis plus de vingt ans.
Ces dérives d’une faction du pouvoir judiciaire ont poussé le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, à monter au créneau et à stigmatiser, dimanche, sans ambages la « justice sélective et politisée », se demandant « où sont et que font les magistrats propres et intègres » …
Le patriarche a en outre mis en garde sans détour contre l’émergence d’un « Etat policier » et contre toute atteinte à la liberté d’expression. Un cri d’alarme qui reflète le sentiment d’une large faction de l’opinion libanaise et qui prend toute l’ampleur qu’il mérite à quelques semaines des élections législatives du printemps prochain.