La frontière entre le Liban et la Syrie est une passoire

Les frontières libano-syriennes sont d’authentiques passoires dont profitent des réseaux illicites, et/ou criminels, tant en Syrie qu’au Liban.

Un article d’Antoine Courban

Le 12 juillet dernier, le Parlement européen avait adopté une résolution sur le Liban (1) dont l’article 14 demande à l’Union « d’ajouter le Hezbollah dans son intégralité et le Corps des gardiens de la révolution islamique à sa liste d’organisations terroristes interdites » (1). Et pourtant, une campagne de dénigrement anti-européenne fut organisée à cause de l’article 13 qui souligne « que les conditions ne sont pas réunies pour un retour volontaire et dans la dignité des réfugiés dans les zones de conflit en Syrie » (1). Ce dernier constat fut présenté comme étant une volonté politique européenne d’implanter les réfugiés syriens au Liban. La levée de boucliers contre l’article 13 fut médiatiquement payante dans la mesure où elle occulte l’article 14 précédent, et détourne l’attention de l’article 5 qui demande à l’Union européenne de « proposer au Liban le déploiement d’une mission de conseil administratif intégral de l’Union afin de répondre au besoin urgent de pallier la déliquescence accélérée de l’administration publique et des services de base […] en apportant le soutien nécessaire en la matière » (1).

Que d’encre avait coulé alors, contre une imaginaire politique européenne, sous le soleil brûlant des canicules de juillet.
Depuis quelques semaines, on assiste à un afflux massif illégal de personnes à travers la passoire frontalière. On n’hésite pas à parler d’invasion syrienne, voire de risque de changement démographique.Il y a une vérité qui ne doit jamais être oubliée: aucune société au monde ne peut faire face à un afflux de réfugiés extérieurs, lorsqu’une certaine masse critique est atteinte ou dépassée. Pour le Liban, la masse critique globale des Syriens présents sur son territoire dépasse actuellement le tiers de l’ensemble de la population. Cela entraîne un déséquilibre évident.

La Sûreté Générale libanaise fait état de 2.080.000 Syriens présents au 1er octobre 2022 (2).

Les Syriens sont catalogués comme « réfugiés ». On ignore selon quels critères objectifs ces chiffres sont établis. L’UNHCR (Haut-Commissariat des Réfugiés), par contre, comptabilise 805.000 citoyens syriens dûment enregistrés comme réfugiés (2) auprès de ses services au 31 mars 2023. Ils reçoivent des aides en espèces et en nature ne dépassant pas la somme de 8.000.000 de Livres Libanaises/mois pour une famille de cinq personnes, selon les déclarations officielles de l’UNHCR (2).

Passeurs appréhendés par les autorités libanaises. Archives AFP

Les chiffres fournis par la Sûreté Générale ne précisent pas les critères adoptés pour qualifier un individu de « réfugié ». Le Liban est un pays qui n’est même pas capable de décompter sa propre population, par absence totale de statistiques fiables. Le dernier recensement objectif remonte à 1932. Depuis, on spécule sur les redoutables chiffres démographiques. La dernière estimation de l’ONU, sur la population libanaise, remonte à avril 2023 (2) et fait état de 6.700.000 habitants. Nul n’est cependant en mesure de dire comment se répartit, objectivement, ce nombre sur le plan confessionnel.


Dès lors, le nombre exact de citoyens syriens, officiellement présents sur le sol libanais, pourrait être estimé aux environs d’un peu plus de deux millions. Sont-ils tous des réfugiés suite aux violences de la guerre d’extermination en Syrie? Il vaut mieux s’en remettre au nombre de 800.000 inscrits par l’UNHCR. Mais qui sont les 1.280.000 autres, voire plus ?

Comment faut-il comprendre l’afflux massif actuel de Syriens vers le Liban, via la passoire frontalière du Nord et du Nord-Est ? Est-ce une invasion ? Est-ce une infiltration organisée, dans un but non avoué ? Est-ce tout simplement pour fuir les conditions de vie en Syrie ? Est-ce pour faire halte au Liban avant de trouver un moyen de rejoindre l’Europe ? Tous ces facteurs se conjuguent.
Mais cet afflux, ou cette invasion, ne saurait avoir lieu sans des complicités libanaises et sans l’une ou l’autre protection des mafias politico-miliciennes locales

ENCADRÉ, des manœuvres syriens témoignent.

Tout candidat syrien au départ doit, au préalable, contacter un  » passeur  » ; soit un individu, soit un bureau ou un réseau.
Deux possibilités s’offrent à lui :
  • Passer la frontière à pied sur une distance de 30 minutes de marche : coût 20 USD/personne. Le candidat se rend en un lieu précis. Le passeur prend en charge cinq personnes à la fois ; soit 100 USD. Selon l’informateur, 40 USD servent à s’assurer que le jour venu, aucune patrouille ne viendrait perturber l’opération d’exfiltration/infiltration des deux côtés de la frontière. Après la traversée, un complice attend à destination pour amener le groupe des cinq fugitifs à la plus proche localité. Gain de l’opération par groupe de 5 clandestins: 60 USD.
  • Passer la frontière en voiture. Coût au départ de Syrie : 250 USD. Cinq personnes peuvent embarquer. Parvenus à Beyrouth, les informateurs affirment que la voiture dépose les passagers soit à Dora, soit à la Galerie Semaan.

En d’autres termes, ceux qui font passer, au travers de la frontière, du Captagon, du Nitrate d’ammonium, des missiles, des armes, des carburants, de la drogue, etc. ne vont pas souffrir de crises de conscience pour infiltrer et exfiltrer des gens. Un tel afflux massif de clandestins nécessite un prérequis indispensable : la complicité criminelle de Libanais, y compris dans l’administration publique. C’est ce qui permet de maintenir la frontière libano-syrienne à l’état d’une passoire. Cela rapporte beaucoup à plus d’un mafioso.

acourban@gmail.com

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(1) https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2023-0279_FR.pdf
(2) https://daraj.media/107889/