Dans une lettre adressée aux Français du Niger à l’occasion de la fin de l’année scolaire, Stéphane Jullien, conseiller élu désormais installé à Lomé, étrille le Président français et l’ambassadeur Sylvain Itté, qu’il accuse d’un « immense gâchis, évitable et irresponsable. »
Le mandat de conseiller de Stéphane Jullien l’impliquait dans toutes les affaires culturelles, politiques et sociales gérées par le consulat. A ce titre, il a contribué à l’évacuation en urgence de près de 600 Français du Niger dans les jours qui ont suivi le coup d’Etat du 26 juillet, cause d’une crise diplomatique majeure entre les deux pays. A l’époque, cette évacuation avait été perçue comme un signal de l’imminence d’une intervention militaire française pour libérer le Président Mohamed Bazoum.
Dans les mois suivants, Emmanuel Macron a tenté d’imposer par la force le maintien de son contingent militaire et de son équipe diplomatique, avant de jeter l’éponge devant l’évidence que la communauté économique ouest-africaine ne serait jamais en mesure d’intervenir militairement pour chasser la junte du pouvoir. Mais les menaces et les insultes du Président français ont créé un climat de défiance tel que les détenteurs de passeports français ne peuvent désormais quasiment plus pénétrer dans le pays. Dans la foulée, ont été fermés successivement le lycée français, le centre culturel franco-nigérien, la Chancellerie et le consulat tandis qu’à Paris, l’Elysée tentait d’empêcher le remplacement de l’ambassadrice du Niger chère à son coeur.
« De toute l’histoire de notre présence en Afrique de l’Ouest, c’est la première fois qu’un gouvernement français ferme toutes ses institutions », déplore Stéphane Jullien. Et pourquoi? « Non pas que les Français du Niger étaient en danger, loin de là, tout simplement par l’orgueil et la folie déplacés d’un gouvernement et d’un ambassadeur qui ont préféré tout arrêter, fermer tout, mettre 1380 Français dans une situation innommable, surtout les Français installés de longue date et les binationaux, encore une fois sommés de choisir entre deux pays, comme si un tel choix était possible ! »
Stéphane Jullien a payé la tension entre les deux pays de plusieurs jours de prison, après la découverte d’uniformes militaires burkinabé dans son véhicule professionnel utilisé pour le déménagement d’un cadre de l’ambassade de France.
« Une année d’incertitude, éprouvante et difficile »
Dans sa lettre datée du 20 juin, il fait d’abord part de sa solidarité à l’endroit des Français et Françaises victimes, comme lui, de la tension franco-nigérienne et arrachés à leurs vies par « un déracinement difficile. » Il évoque « une année d’incertitude, éprouvante et difficile », à attendre une détente qui ne vint jamais. Et finalement, il affirme que 1380 Français ont ainsi été « jetés dans l’inconnu », en France, en Afrique de l’Ouest, ou, beaucoup plus rarement, au Niger, mais désormais sans assistance consulaire.
« La junte elle-même n’a pas compris ce bras de fer que le gouvernement français a instauré, créant la haine vis à vis de la junte qui, elle-même, se sentait menacée en retour (…) Les relations ont fini par devenir exécrables à l’encontre des Français vivant au Niger. »
Et l’élu de s’interroger sur le double standard de Paris : « Comment expliquer qu’au Burkina Faso et au Mali, malgré des coups d’Etat à répétition, les instances françaises restent installées? (…) Je ne dis pas qu’il fallait reconnaître un coup d’Etat ou une dictature. mais la France entretient tant de liens avec tant de régimes autoritaires, les pays de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest eux-mêmes n’ont pas rompu leurs liens diplomatiques avec le Niger, qu’on comprend mal pourquoi la France a réagi de cette manière, si ce n’est pour satisfaire l’ego de deux hommes, l’un Président de la République et l’autre, son représentant au Niger. Tous deux portent la lourde responsabilité de cette rupture. »
« Trop facile de jouer les héros »
Particulièrement fâché contre Sylvain Itté, désormais ambassadeur de France au Niger avec résidence à Paris, Stéphane Jullien estime qu’il est « trop facile de jouer les héros et de dire qu’on va aider quand même le secteur culturel, qu’il suffit de délocaliser à Lomé les services consulaires pour l’obtention de visas et de se lamenter sur la fermeture du Centre culturel franco-nigérien. A qui la faute ? Quand on se trouve à 5000 km de là, bien au chaud dans son ministère, payé et assuré de son avenir, il est facile d’avoir des idéaux, surtout quand ce sont les autres qui en supportent les conséquences. »
Les cadres de l’ambassade et les acteurs de la coopération les plus hauts placés ont tous été promus et décorés à leur retour en France. Ce n’est évidemment pas le cas pour tous les Français désormais privés de leur emploi, de leur domicile, des services consulaires ou de leur famille, dont le sort n’a ému personne en haut lieu.
Confiant un sentiment de colère partagé par de nombreux Français du Niger, l’élu invite les électeurs à se faire entendre « dans la confidentialité de l’isoloir et à manifester le profond sentiment de dégoût que vous inspire cet immense gâchis orchestré par une haute fonction publique sclérosée dans ses certitudes, une classe politique confite dans ses privilèges et un monde médiatique boursouflé de suffisance et d’ignorance. »