Jeudi 20 octobre au matin, de violents heurts ont opposé police et manifestants à N’Djamena. Des centaines de manifestants s’étaient réunies à l’appel de l’opposition pour protester contre le prolongement de deux ans de la « transition » du chef de la junte militaire, Mohamed Idriss Déby. Plusieurs dizaines de Tchadiens ont trouvé la mort dans ces affrontements.
Après la mort subite du président Idriss Deby, le 20 avril 2021,à la suite de tirs mal identifiés alors qui’l commandait son armée contre les rebelles dans le Nord du pays, la thèse qui avait prévalu alors auprès des autorités françaises qui considèrent le régime tchadien comme leur meilleur allié au Sahel, la voici: l’enjeu essentiel n’était pas de veiller au respect de l’Etat de droit au Tchad, mais d’assurer la stabilité du pays à tout prix. Une stabilité, comme on le découvre aujourd’hui, en trompe l’oeil.
Le président français s’était pourtant déplacé au Tchad pour adouber le fils du dictateur Idriss Déby, Mahamat Deby. Ce dont Emmanuel Macron aurait pu se dispenser. Ainsi soutenu, le fils Déby ne tardait pas à suspendre le fonctionnement normal des institutions tchadiennes pour une durée théorique de dix huit mois.
Or ce jeudi 20 octobre, alors que Mahamat Déby venait d’annoncer une prolongation de cette « transition » bien peu démocratique pour une durée de deux ans, une manifestation massive de l’opposition est réprimée avec une rare brutalité. Résultat, les forces de sécurité tirent sur la foule, cinquante personnes sont tuées. Le Quai d’Orsay « condamne » la répression du régime, sans un mot pour les victimes.
Et la porte parole du ministère français des Affaires Etrangères d’ajouter: « la France n’a joué « aucun rôle dans ces événements qui relèvent de la politique intérieure tchadienne ». On ose l’espérer! Cette déclaration traduit bien la gène du pouvoir français, « parrain » embarrassé du pouvoir tchadien.
Une jurisprudence tchadienne inédite
Au nom du principe que le monde avait besoin d’un Tchad stable pour lutter contre le terrorisme au Sahel et dans le bassin du Lac Tchad, Mahamat Idriss Deby a été soutenu par la France et le G5 Sahel. Deux poids, deux mesures. Les coups d’état qui ont eu lieu ces dernières années au Mali, en Guinée ou au Burkina étaient condamnés par la diplomatie française de la façon la plus ferme, pas celui qui s’est produit au Tchad. L’Union africaine s’est très vite rangée à la position française, alors que les Etats-Unis et l’Union européenne, d’habitude plus regardants sur le respect de l’Etat de droit et la démocratie, n’avaient rien trouvé à redire à ce que Deby fils succède à Deby père.
La communauté internationale avait poussé l’exception tchadienne jusqu’à ne pas demander la moindre garantie à la transition militaire : ni sur le partage équitable du pouvoir avec les civils, comme au Soudan après le renversement d’Omar El-Béchir en avril 2019, ni sur la clause de non-participation des dirigeants de la transition aux élections à venir comme au Mali et en Guinée après les coups d’Etats militaires d’août 2020 et de septembre 2021.
Mahamat à l’école d’Idriss
Avec cette bienveillance inespérée et inédite de la communauté internationale pour une prise de pouvoir par la force, le Conseil militaire de transition a facilement déroulé sa stratégie de stabilisation du pays. Comme sous son père, Mahamat a manié la carotte et le bâton dans ses relations avec les partis politiques et la société civile. Profitant de la formation du gouvernement, il a offert des strapontins aux deux principales forces politiques de l’opposition tchadienne : le Parti pour la liberté et le développement (PLD) de feu Ibni Oumar Mahamat Saleh et l’Union nationale pour la démocratie et le renouveau (UNDR) de Saley Kebzabo. Quelques seconds couteaux issus des groupes politico-militaires ont, quant à eux, été autorisés à rentrer d’exil, tant qu’ils ne menacent pas la stabilité du régime. Certains parmi eux ont d’ailleurs été recasés dans le Conseil national de transition (CNT) qui fait office de parlement pendant la transition.
Pour les autres, le CMT n’a pas hésité, comme sous Deby père, à sortir l’artillerie de la répression. Sur ce plan, on peut même dire que le fils est allé beaucoup plus loin que le père. Les foudres du pouvoir se sont abattus dès le 2 octobre 2021 sur le parti « Les transformateurs » de Succès Masra. Selon un décompte établi par cette jeune formation tchadienne, ce jour-là près de 48 personnes ont été blessées, pour certaines d’entre elles par balles réelles. Le siège du parti a été essuyé le jet, d’après toujours la même source, de près de 200 étuis de gaz lacrymogène.
Outre « les Transformateurs », le régime de Deby fils déroule le rouleau compresseur de la répression contre la plate-forme « Wakitama », qui, comme le parti de succès Masra, revendique une transition consensuelle et la non-participation des dirigeants de la transition, y compris Deby fils, aux prochaines élections générales.
Mouvements rebelles en embuscade
Alors qu’il ne maitrise le front intérieur que par la répression brutale, le débauchage ou la cooptation, le Conseil militaire de transition surveille comme le lait sur le feu l’agenda des groupes politico-militaires. Replié dans le Sud libyen après son revers militaire, le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), de Mahmat Mahdi, qui a tué en avril le président Deby Itno, s’est depuis lors réorganisé. Son agenda de conquérir le pouvoir par la force n’a pas changé. Faute de garantie que la transition actuelle gravera dans le marbre le principe de l’alternance Tchad, d’autres groupes rebelles tels que l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD) du général Mahamat Nouri ou le Rassemblement des forces du changement (RFC) de Timan Erdimi pourraient, eux aussi, revenir à l’option de la lutte armée.
Une hypothèse d’autant plus envisageable que le Soudan et la Libye, les deux voisins du Tchad d‘où partent habituellement les rébellions armées, sont confrontés à de graves crises internes. Ensemble, le front intérieur et la menace extérieure des politico-militaires pourraient ébranler la stabilité de façade affichée par le CMT, au grand dam de la communauté internationale qui n’aurait alors ni la démocratie, ni la stabilité. Comme dans un marché des dupes.
Tchad : Violente répression d’une manifestation de l’opposition