Contrairement à ce qu’il a dit lors de son adresse à la nation du 3 juillet, le président sénégalais Macky Sall a bel et bien eu l’intention de briguer un troisième mandat. Des facteurs internes, notamment le faible soutien de l’armée dans une situation politique tendue, l’ont contraint, la mort dans l’âme, à jeter l’éponge.
Macky Sall n’a pas dit la vérité, rien que la vérité et toute la vérité. Ni le 3 juillet dans son message à la Nation, ni dans son interview au quotidien Le Monde daté du 8 juillet 2023. Le président sénégalais a bien nourri jusqu’au bout l’espoir de briguer un troisième mandat. A la demande de Macky Sall, des juristes français ont analysé les dispositions constitutionnelles et rendu un avis favorable à sa candidature. C’est d’ailleurs sur la foi de cet avis que des délégations gouvernementales se sont rendues dans différentes capitales européennes pour convaincre députés, décideurs, journalistes de la « légalité de la candidature » à un troisième mandat.
Un autre élément atteste bien également que le président sénégalais a bien eu l’intention de rempiler en 2024 : il a imposé une omerta totale sur le sujet.
Tous ses proches qui ont manifesté leur impatience à lui succéder ont connu les foudres de la disgrâce.
Ceux de ses proches qui se sont permis le moindre commentaire dans le sens de la candidature ou de la non-candidature en ont, eux aussi, pris pour leur grade. Sollicité à de nombreuses reprises sur le sujet par Emmanuel Macron et ses homologues africains, Macky Sall n’a jamais écarté la possibilité de se représenter. « La seule raison pour laquelle j’aurais pu me représenter, c’est si le pays avait été confronté à une menace sérieuse pour sa stabilité. Mais cette menace n’est pas arrivée », a juré le président sénégalais, quelques jours après l’annonce de sa volte-face.
« Je ne pouvais pas dire plus tôt que je ne me représenterais pas. Sinon, le pays aurait cessé de travailler », tente-t-il de convaincre, sans plus de succès que pour le premier argument invoqué.
Soutien incertain de l’armée
Passé de l’assurance que sa candidature finirait par passer à l’hésitation, Macky Sall a fini par lâcher prise et jeter l’éponge. Les toutes dernières agitations que le Sénégal a connues ont fini par montrer que l’armée n’était, sans doute, pas disposée au « jusqu’auboutisme » du camp présidentiel. Certes l’armée de terre a sorti, au plus fort de la crise, quelques blindés dans les rues de Dakar. Rien n’indiquait, toutefois, qu’elle pouvait aller bien au-delà. Des scènes montrant des manifestants fraternisant avec les militaires et faisant des selfies près des engins ont fini par effrayer, y compris dans les premiers cercles du pouvoir. Les remontées d’informations venant des rangs et d’officiers supérieurs républicains faisaient en outre clairement ressortir la fragilité du soutien absolue de la Grande muette pour un passage en force nécessitant des mesures exceptionnelles.
Or, Macky Sall a eu la prudence de remplacer en avril dernier, avant même fin de son commandement, Cheikh Wade chef d’état-major général de l’armée sénégalaise par Mabye Cissé, son chef d’état-major particulier.
Cela n’a visiblement pas suffi pour s’assurer le soutien inconditionnel et sans réserve des armées. Pour ne rien arranger à son ambition, le président sénégalais n’a pas non plus su convaincre les grands chefs religieux qui disposent d’un pouvoir d’influence énorme au Sénégal, pays qui pratique un islam confrérique.
Dans une vidéo en wolof sortie opportunément par les adversaires du troisième mandat, on voit Macky Sall jurant au khalife général des mourides (la plus puissante confrérie religieuse), lors du référendum constitutionnel de 2016, qu’il était à son second et dernier mandat. Connaissant le poids du khalife général dans l’imaginaire des Sénégalais, se renier après avoir pris un engagement auprès de lui a valeur d’une condamnation à mort sociale et politique. A défaut du feu vert, la candidature de Macky Sall n’avait donc même pas reçu le feu orange des grands chefs religieux. Sans le soutien de l’armée et l’aval des khalifes généraux, la candidature pour un troisième mandat était définitivement condamnée.
Rapport de forces défavorable
Les partisans de l’opposant Ousmane Sonko, président du parti des Patriotes sénégalais pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF) ont fini par étouffer dans l’œuf les velléités du troisième mandat. Au moins 23 personnes, selon Amnesty international, ont trouvé la mort lors des affrontements entre partisans de Sonko et les forces de l’ordre, à Dakar et dans différentes villes du pays. A Ziguinchor, grande ville du nord du Sénégal dont le leader du PASTEF est le maire, les manifestations ont pris la forme d’une insurrection populaire.
Outre la résilience et la détermination des partisans de Sonko qui ont surpris les tenants de la ligne dure comme le ministre de l’Intérieur Antoine Diome et celui de la justice Ismaïla Madior Fall, l’entrée en scène inattendue de la diaspora a pesé dans la reculade de Macky Sall.
Des photos officielles présidentielles jetées au sol dans les consulats et les ambassades du Sénégal à l’étranger ont fini par faire désordre et ébranler le pouvoir sénégalais. Il s’y est ajouté des risques d’agressions physiques d’officiels sénégalais de passage dans certaines capitales étrangères. Face à ces facteurs internes, le chef de l’Etat sénégalais a compris que le passage en force n’était pas la garantie qu’il pourra diriger le pays en toute sérénité.
Soulagement des partenaires extérieurs
Dans de nombreuses capitales africaines et ailleurs dans le monde, l’annonce de « la non-candidature » de Macky Sall a été accueillie avec soulagement et grande joie. Cet épilogue inespéré préserve le Sénégal d’une grave crise politique dans une Afrique de l’Ouest déjà très profondément secouée par le défi sécuritaire et des coups d’Etats militaires. De Macron à l’ancien président américain Barack Obama, en passant par des chefs d’Etat de la région, de nombreuses personnalités se sont mobilisées ces derniers mois pour convaincre Macky Sall de ne pas y aller. Auprès de tous, le président sénégalais n’a pas pris aucun engagement ferme. Il était encore persuadé que sa candidature pouvait prospérer, en dépit de la mobilisation des partisans de l’opposant Ousmane Sonko. Macky Sall a fait le pari que la colère de la rue finisse par se tasser. Il a également espéré que la condamnation de son opposant le plus sérieux pour la présidentielle de 2024 ouvre le boulevard à sa candidature. Macky Sall ne sera finalement pas candidat en février 2024. Ce n’est pas le scénario qu’il avait prévu. Il doit désormais concentrer son énergie à la recherche d’un dauphin dans son propre camp et à la préparation de sa vie après le pouvoir.
Francis Sahel