L’absence d’emplois qui provoque le chômage massif des jeunes au sahel central devient une aubaine pour les groupes terroristes qui les embrigadent pour moins de 80 euros (50.000 FCFA).
Seidik Abba
À trop retarder la prise en charge effective de la délicate question de la création d’emplois pour les jeunes en Afrique, on pourrait se retrouver avec une situation totalement hors de contrôle. Plus qu’ailleurs sur le continent, c’est au Sahel central (Burkina Faso, Mali, Niger) que ce défi se pose avec la plus grande acuité. En effet, l’employabilité des jeunes fait partie autant du problème que de la solution à la crise multiforme et endémique que connaissent les Etats sahéliens, y compris le Tchad et la Mauritanie. Chaque année, environ 235000 jeunes Maliens arrivent sur le marché de l’emploi dans un pays où la plus de la moitié des 23 millions d’habitants a moins de 24 ans. L’équation est tout aussi compliqué dans les autres Etats de la région.
La fin de l’Etat-providence
Alors qu’on entrait jusqu’au tournant des années 80 à l’école avec l’assurance d’en sortir pour devenir agent de l’Etat, les fonctions publiques ne peuvent désormais plus recruter. Dans de nombreux pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le ratio de 35% des recettes fiscales consacrées la masse salariale a été largement dépassé. Comme pour ne rien arranger, le secteur privé, largement dominé par l’informel, ne crée pas autant d’emplois pour les jeunes pour constituer une vraie alternative à l’arrêt des recrutements par l’Etat. Dans les structures de type informel, on offre un emploi à un jeune non pas parce qu’il est compétent, mais plus souvent parce qu’on le connaît ou on connait quelqu’un qui le connait. Outre la fin de l’Etat-providence qui garantissait les études et la carrière de fonctionnaire et l’absence d’opportunités dans le secteur privé, les effets du changement climatiques sont devenus un facteur aggravant du chômage des jeunes au Sahel.
Au Burkina Faso, au Niger, au Tchad, en Mauritanie et ailleurs dans le Sahel, les perturbations climatiques ont fait perdre à l’agriculture, y compris l’élevage, sa capacité à créer des emplois et des revenus dans le milieu rural alors même que ce secteur représente dans certains Etats de la région 40% du produit intérieur brut (PIB) et 58% d’emplois directs et indirects dans la population active. Résultat, les groupes djihadistes qui écument le Sahel n’ont aucune peine à faire « des offres d’emplois » qui prospèrent auprès de la jeunesse.
Changer de paradigme
Il ne fait désormais plus aucun doute que la crise sécuritaire actuelle au Sahel ne connaitra pas de solution, si on s’en tient à la seule réponse sécuritaire et militaire. Et cette conviction repose sur des faits et des chiffres. Entre 2010 et 2018, les dépenses liées à la défense et à la sécurité ont connu une progression de 127% dans les cinq pays de l’ancien G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad), passant de près de 457 milliards de FCFA à environ 1037 milliards par an. Sans que cette explosion ait apporté une amélioration équivalente de la situation sécuritaire.
En 2025, s’offre une formidable occasion de changer totalement de paradigme dans la prise en charge du défi sécuritaire, en mettant en œuvre une réponse holistique qui passe par un sursaut dans la création d’emploi pour les jeunes. Tirant les enseignements de l’échec de la stratégie du tout militaire et sécuritaire, qui ne prospère pas même après l’arrivée des militaires au pouvoir au Burkina Faso, au Mali et au Niger, des Etats de la sous-région menacés à leur tour par la menace terroriste s’orientent vers une approche qui inclut l’agenda de la création d’emplois pour les jeunes. Après la Côte d’Ivoire, le Togo a poussé plus loin cette voie en associant le préventif avec la création du Comité interministériel de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent (CIPLEV) ; le développement à travers le Plan d’urgence pour les régions des savanes (PURS) et l’opérationnel avec l’opération militaire Koundjoaré lancée dès 2018 par le président Faure Gnassingbé.
Un plan Marshall pour lz Sahel
Il faut aller bien au-delà pour envisager un véritable plan Marshall pour la création d’emplois pour les jeunes. Dans le contexte actuel de la crise au Sahel et de sa progression, les solutions cosmétiques qui consistent en la création des ministères de la jeunesse et de l’entreprenariat des jeunes ne suffisent plus. La situation et l’immensité du défi appellent des solutions beaucoup plus fortes. Les jeunes sahéliens ne peuvent plus se satisfaire des discours de commisération des politiques. Ce dont ils ont besoin, c’est, par exemple, bénéficier de l’accès aux crédits qui reste encore un luxe pour eux au regard des conditionnalités toujours difficiles à satisfaire et du taux de remboursement aux frontières de celui de l’usurier. Ce dont ils ont besoin, ce n’est pas tant de s’apitoyer sur leur sort, mais de bénéficier du renforcement des capacités et d’accompagnement dans la création d’entreprises. A supposer même qu’on le prenne, ce virage ne sera d’une grande efficacité que s’il était complété par une réforme du système éducatif qui favorise la montée en puissance de l’enseignement professionnel et technique par rapport à l’enseignement général. Il reste toujours plus difficile de trouver un électricien, un plombier ou mécanicien à Bamako, N’Djamena, Niamey ou Nouakchott qu’un titulaire d’un master en droit, en géographie ou en lettres modernes. Cette révolution ne peut plus attendre et ne plus être reportée. La résolution de la crise sécuritaire au Sahel passera par le développement en particulier la création d’emplois pour les jeunes ou ne passera pas.
Seidik Abba