Rwanda : Publication d’archives sur le génocide

RWANDA, AFRICA - DECEMBER 1996: Young Rwanda boys pose with grave stones in their grasp in December of 1996 in Rwanda, Africa. In 1994 Rwanda saw one of the worlds worst act genocide to date. At least 500,000 Tutsi civilians were massacred by Hutu extremists leaving the country debilitaed for decades to come. (Photo by Joe McNally/Getty Images)


Trente ans après, les efforts pour permettre la justice devraient être accélérés

(Nairobi, le 2 avril 2024) – Human Rights Watch a annoncé aujourd’hui la publication d’une série d’archives témoignant des efforts extraordinaires déployés par des défenseurs des droits humains au Rwanda et à l’étranger pour lancer l’alerte au sujet du génocide planifié de 1994, et tenter d’arrêter les massacres. Les documents illustrent tristement le refus desprincipaux acteurs étrangers de reconnaître le massacre de plus d’un demi-million de personnes et d’agir pour y mettre fin.

Un nombre important de personnes responsables du génocide, y compris d’anciens hauts responsables du gouvernement rwandais et d’autres figures clés à l’origine des massacres, ont depuis été traduites en justice, et plus d’une dizaine de poursuites pénales contre des auteurs présumés du génocide sont en cours devant des tribunaux nationaux en Europe en vertu du principe de compétence universelle. Pourtant, ces dernières années, plusieurs cerveaux présumés du génocide qui occupaient des fonctions de haut niveau sont décédés ou, dans le cas d’un planificateur présumé, ont été déclarés inaptes à être jugés – soulignant l’urgence de poursuivre la quête de justice.

« Le génocide au Rwanda a laissé une marque indélébile sur notre conscience collective, et trente ans plus tard, des leçons peuvent encore être tirées des actions – ou en l’occurrence de l’inaction – des dirigeants mondiaux face aux atrocités », a expliqué Tirana Hassan, directrice exécutive de Human Rights Watch. « Il est urgent d’accélérer la quête de justice pour s’assurer que les derniers architectes du génocide encore en vie rendent des comptes pour leurs actes avant qu’il ne soit trop tardr. »

Le 6 avril 1994, un avion transportant le président rwandais Juvénal Habyarimana et le président burundais Cyprien Ntaryamira a été abattu au-dessus de la capitale rwandaise, Kigali. Le crash a marqué le début de trois mois de massacres à caractère ethnique dans tout le Rwanda à une échelle sans précédent. 

Des extrémistes politiques et militaires hutus ont orchestré le meurtre d’environ trois quarts de la population tutsie du Rwanda, faisant plus d’un demi-million de morts. De nombreux Hutus qui ont tenté de cacher ou protéger des Tutsis, ou qui s’opposaient au génocide, ont aussi été tués.

À la mi-juillet 1994, le Front patriotique rwandais (FPR), un groupe rebelle principalement tutsi basé en Ouganda qui luttait pour renverser le gouvernement rwandais depuis 1990, a pris le contrôle du Rwanda et mis fin au génocide. Les troupes du FPR ont tué des milliers de civils essentiellement hutus, bien que l’ampleur et la nature de ces meurtres n’étaient pas comparables à celles du génocide.

Human Rights Watch a documenté le génocide et les crimes du FPR de 1994 en détail. Alison Des Forges, conseillère senior auprès de la division Afrique de Human Rights Watch pendant près d’une vingtaine d’années, a publié un ouvrage de référence sur le génocide rwandais intitulé « Aucun témoin ne doit survivre » et a documenté l’indifférence et l’absence d’action de la part de la communauté internationale.

Malgré les avertissements répétés des organisations rwandaises et internationales de défense des droits humains, de diplomates, de membres du personnel des Nations Unies et d’autres acteurs concernant la planification d’un génocide en amont du mois d’avril 1994, les gouvernements et les organismes intergouvernementaux, y compris les Nations Unies et l’Organisation de l’unité africaine (devenue l’Union africaine), n’ont pas agi pour le stopper alors qu’il était en cours. La force de maintien de la paix de l’ONU au Rwanda a retiré la plupart de ses troupes au plus fort des massacres, laissant la population civile rwandaise sans défense. 

Trente ans plus tard, Human Rights Watch met en ligne une partie de ses archives datant de mars 1993 à décembre 1994. Ces documents, présentés dans une chronologie des actions menées au cours de cette période, illustrent les efforts de plaidoyer considérables déployés par l’organisation, sous la direction d’Alison Des Forges, et par ses alliés, d’abord pour tenter de prévenir les massacres, puis pour y mettre un terme. Cette chronologie ne prétend pas être une compilation exhaustive de toutes les actions entreprises par les organisations de la société civile et d’autres acteurs en 1993 et 1994. Il s’agit plutôt d’une partie de la documentation compilée à une époque sans Internet et conservée par Human Rights Watch après le décès soudain d’Alison Des Forges en 2009 dans un accident d’avion aux États-Unis, et que l’organisation considère comme étant d’intérêt public.

Stopper les dirigeants et les meurtriers au Rwanda aurait requis le déploiement d’une force militaire, mais de taille relativement limitée lors de la phase initiale du génocide. Une intervention internationale rapide et efficace aurait pu permettre d’arrêter le génocide et d’empêcher certains des pires massacres. Les archives montrent que les dirigeants internationaux ont non seulement rejeté cette option, mais ont également refusé pendant des semaines d’user de leur autorité politique et morale pour contester la légitimité du gouvernement génocidaire. Les documents de stratégie, les déclarations et les courriers aujourd’hui publiés révèlent que les dirigeants internationaux de l’époque ont refusé de déclarer qu’un gouvernement qui exterminait ses citoyens ne recevrait jamais d’aide internationale et n’ont rien fait pour faire taire les émissions de radio qui incitaient les Rwandais à commettre des massacres. Des mesures aussi simples que celles-ci auraient pu saper le pouvoir des autorités alors déterminées à commettre des tueries de masse et encourager la résistance des Rwandais à la campagne d’extermination.

Le 10 mai 1994, Alison Des Forges a adressé un courrier au Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme de l’époque, José Ayala Lasso, l’informant que le régime qui commettait le génocide était soucieux de la façon dont il était perçu à l’échelle internationale et qu’à la veille de sa visite au Rwanda, « le comité national des milices Interahamwe […] a diffusé un communiqué appelant leurs membres à cesser de tuer les Tutsis et les membres de l’opposition politique.Il leur a aussi demandé d’aider à mettre fin aux meurtres commis par des personnes qui n’étaient pas membres de leurs groupes. » 

Les documents mettent également en lumière le rôle vital joué par les défenseurs des droits humains dans la prévention des atrocités. Dès le début, Human Rights Watch et d’autres organisations ont tiré la sonnette d’alarme face au ciblage des défenseurs des droits humains au Rwanda. 

Dans les mois et les années qui ont suivi, alors que l’on prenait la mesure de l’horreur du génocide, le « plus jamais ça » est devenu un refrain courant. Les dirigeants de certains pays ont reconnu leur inaction pour mettre fin au génocide, et certains s’en sont excusés. Cela a constitué l’un des éléments déclencheurs de la doctrine de la « responsabilité de protéger », que différents gouvernements ont adoptée en 2005 pour protéger les personnes faisant face à des atrocités de masse.

Le sentiment de culpabilité écrasant lié à l’absence d’actions, au niveau individuel et collectif, qui auraient pu stopper le génocide, a aussi été un facteur déterminant dans la politique étrangère de nombreux gouvernements envers le Rwanda depuis cette période. Ce sentiment continue de façonner les perceptions et les réactions internationales face aux événements qui ont lieu au Rwanda et dans la région des Grands Lacs, notamment en ce qui concerne le bilan du Rwanda en matière de droits humains depuis le génocide ainsi que ses incursions répétées en République démocratique du Congo. Le Rwanda a soutenu des groupes armés congolais responsables de meurtres de civils, de viols et d’autres violations graves des droits humains. 

La majorité des poursuites pénales liées au génocide ont eu lieu devant des tribunaux rwandais. D’autres se sont déroulées devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) ou des tribunaux nationaux en Europe et en Amérique du Nord. 

Les tribunaux communautaires rwandais, appelés « gacaca », ont achevé leur travail en 2012 ; le TPIR a officiellement fermé ses portes en 2015, transférant un certain nombre de fonctions à un mécanisme résiduel. Après des années de retards, depuis 2001, des dizaines de génocidaires présumés ont fait l’objet d’enquêtes, d’arrestations ou de poursuites en vertu du principe de compétence universelle en Allemagne, en Belgique, en France, au Royaume-Uni et dans d’autres pays d’Europe et d’Amérique du Nord.

Le trentième anniversaire du génocide rwandais constitue une occasion propice et opportune de mesurer les progrès qui ont été réalisés, tant au niveau national qu’international, pour faire rendre des comptes aux suspects qui ont planifié, ordonné et perpétré ces crimes atroces. Il est d’autant plus urgent de le faire, et de redoubler d’efforts pour poursuivre les suspects du génocide toujours en vie, que plusieurs planificateurs et cerveaux du génocide sont déjà décédés et que l’un d’entre eux – Félicien Kabuga – a été déclaré inapte à être jugé. 

« L’un des enseignements durables du génocide est que la communauté internationale n’a pas tenu compte des signes clairs indiquant que des atrocités de masse étaient en cours de préparation, notamment les avertissements des défenseurs des droits de l’homme qui ont risqué leur vie pour tirer la sonnette d’alarme,», a conclu Tirana Hassan. « Malgré le temps écoulé, les victimes méritent de voir les responsables du génocide et d’autres crimes arrêtés et jugés dans le cadre de procès équitables et crédibles. »

Pour plus d’informations sur la justice après le génocide depuis 2019, veuillez voir ci-dessous.

Pour accéder à la chronologie des archives récemment publiées par Human Rights Watch sur le génocide, veuillez consulter : 
https://www.hrw.org/news/2024/04/02/human-rights-watch-rwanda-archives