En décembre 2012, quand le M23 a menacé de prendre Goma, l’auteur de ces lignes, le journaliste Jean François Marseille, était à Kinshasa. Il n’avait fallu que quelques jours, et la menace de suspendre les aides internationales au Rwanda agitées tant par l’Union Européenne, les Etats-Unis que la Banque Mondiale, pour que la rébellion se retire. C’était il y a onze ans, une autre époque. Depuis la chute de Goma le 27 janvier dernier, suivie de celle de Bukavu le 16 février, l’avancée du M23, soutenu par le Rwanda, risque en revanche de provoquer un embrasement général en Afrique
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Il flotte dans l’atmosphère de Kinshasa ces derniers jours un parfum des années 90, qui ne berce guère de nostalgie les dizaines millions d’habitants de cette immense ville africaine. À l’époque, un régime corrompu et brinquebalant, celui du Maréchal Mobutu, s’abîmait dans ses derniers fastes et ses ultimes feux. A l’est du pays, le bruit sourd d’une rébellion oubliée se faisait entendre. Le Parti de la révolution du peuple, menée par Laurent Désiré Kabila depuis presque 30 ans, se transformait en l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du peuple (AFDL), se réveillait sous l’impulsion et avec l’appui du voisin rwandais. Meurtri par un génocide, désireux de poursuivre et punir ses auteurs, réfugié de l’autre côté de la frontière, les troupes de Paul Kagame, nouveau maître de Kigali, héros national et maître ès stratégie ont poussé Kabila jusqu’à Kinshasa.
« Depuis le début, il ressortait clairement que le Rwanda voulait non seulement neutraliser les camps, mais aussi faire une percée jusqu’à la capitale, à deux mille kilomètres à l’ouest. Pour Kagame, Mobutu devait partir, parce qu’il avait accueilli et protégé les génocidaires. Le minuscule Rwanda allait mettre à genoux le Zaïre, et l’AFDL devait faire en sorte que cela donne l’impression d’être une insurrection intérieure., décrypte David Van Reybroucke, dans son chef d’oeuvre Congo, Une Histoire. Kagame souhaitait mettre en œuvre un troisième changement de régime dans un pays d’Afrique centrale: après l’Ouganda et le Rwanda, c’était à présent au tour du Zaïre.»
Une guerre mondiale africaine (1998-2003)
Une avancée éclair de 7 mois qui commença par la prise d’Uvira, Bukavu, Goma puis Kisangani, tombée telles des châteaux de carte devant les escadrons d’enfants soldats, d’officiers rwandais à l’uniforme impeccable triomphant quasi sans résistance de la part de force armée zaïroises mal payées, mal équipées et si peu commandées. Une débâcle accompagnée de massacres, de pillages, d’exactions en tous genre, sous le regard interdit de la communauté internationale, encore pétrifiée d’avoir échoué à prévenir le génocide au pays des 1000 collines. En 1997, Kinshasa tombe aux mains de la rébellion, le pays est de facto sous tutelle rwandaise, dans un chaos de pillages, d’évacuations, de couvre-feu et d’imposition du port du pagne aux femmes…. Et l’agonie était loin d’être.
Un an après sa prise de pouvoir, Laurent Désiré Kabila demandait aux troupes rwandaises de quitter le pays. Une démarche qui déclencha la 2e guerre du Congo, qui impliqua sur le sol de l’ancienne colonie belge, les armées régulières d’Ouganda, d’Angola, du Rwanda, de Namibie, du Zimbabwe, du Burundi. Une guerre mondiale africaine (1998-2003), comme l’a démontré Gérard Prunier, au bilan incertain et macabre d’au moins 6 millions de morts entre combats, maladies et déplacements forcés de populations, dont les braises, notamment à l’est du pays, ne se sont jamais vraiment éteintes.
Félix Tsishekedi, un bilan désastreux
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Les événements actuels rappellent la marche triomphale de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du peuple AFLD de Kabila pour être ignorée. On assiste à l’irruption d’une rébellion restée embryonnaire pendant une décennie, mais qui sort de sa torpeur avec l’appui de Kigali, défaisant l’armée régulière sous équipée et sous-payée d’un régime corrompu à Kinshasa. Elu au terme d’un tripatouillage électoral en 2019, réélu en 2023, Félix Tsishekedi n’est parvenu ni à stabiliser l’économie du pays, ni à apaiser la situation avec ses voisins, encore moins à renforcer ses services de sécurité et son armée, pourtant officiellement dotée d’un milliards de budget.
Le parallèle continue jusqu’à l’impuissance de la communauté internationale qui n’a jusqu’alors pris aucune décision ni aucune sanction à l’encontre du Rwanda, quand 700 000 personnes déplacées par les combats ont rejoint les 7 millions de réfugiés que compte déjà la République démocratique du Congo. Pour ajouter au spectre d’un retour vers le futur, l’Ouganda a menacé d’intervenir, quand l’Afrique du Sud a déjà perdu des soldats, présents au sein d’une mission de pacification.
« Ce conflit commence à ressembler aux guerres du Congo de 1996-1997 et de 1998-2003, qui ont entraîné neuf pays africains dans leur sillage et fait des millions de morts», analyse froidement Jason Stearns, fondateur du groupe d’études sur le Congo, dans Le Monde.
Un sentiment largement répandu dans la population kinoise. Les classes les plus aisées commencent à envisager l’exil pendant quelques mois, scrutant les annulations de vol et ayant appris avec angoisse qu’Air France a commencé à dérouter certains vols vers Brazzaville, la capitale de l’autre Congo, de l’autre côté du fleuve. Les discussions familiales tournent autour des évacuations. « On s’attend désormais à ce qu’ils déroulent vers Kisangani et vers le Katanga», craint une source haut placée dans l’administration congolaise.
Nul ne fait confiance au régime de Tshishekedi pour rétablir la situation. Surtout pas les classes populaires qui ont violemment manifesté leur mécontentement le 28 janvier, en saccageant plusieurs ambassades occidentales. « C’est le signe que les Kinois attendent encore quelque chose des puissances occidentales, elles savent qu’elles ont les moyens de stopper le Rwanda», assure à Mondafrique un expert congolais des relations internationales.