Deux ans de prison pour l’avocate tunisienne Sonia Dahmani

L’avocate et chroniqueuse, Sonia Dahmani a été condamnée, jeudi 24 octobre 2024, à deux ans de prison pour diffusion de fausses informations en vertu du décret 54. La nouvelle a été annoncée par l’avocat et membre du comité de défense, Sami Ben Ghazi.

Sonia Dahmani a comparu devant la même chambre le 17 octobre 2024 pour des déclarations faites à la radio IFM au sujet du racisme et la situation des migrants Subsahariens sur le territoire tunisien. Elle avait alors affirmé que le racisme existait bien en Tunisie. Après l’audition de Sonia Dahmani, le tribunal avait annoncé qu’il rendra son verdict le 24 octobre 2024

Il est à noter que l’avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani est en détention depuis le 11 mai 2024, et a déjà été condamnée à huit mois de prison et fait face à plusieurs autres poursuites judiciaires dans différentes affaires.

Une certitude, la répression des opposants et opposantes du régime en place ne cesse de s’amplifier. Lors de chaque apparition, le discours officiel de nature paranoïaque recourt à la diabolisation ainsi qu’à la criminalisation de ses détracteurs.trices L’exécutif use d’outils divers et variés et à leur tête la machine judiciaire. On parle notamment d’interdictions de voyager illégales et arbitraires, d’assignations à résidence, de comparutions devant le Tribunal militaire, d’arrestations en vue de la loi antiterroriste

Alors que les Avocats dénoncent dans la rue la condamnation de Sonia Dahmani, le président tunisien Kaïs Saïed, muré dans ses certitudes, continue à dénoncer comme une « ingérence étrangère inacceptable » les inquiétudes exprimées par l’Union européenne, la France et les Etats-Unis après une vague d’arrestations d’avocats, de journalistes et de figures de la société civile. Le chef de l’Etat, qui concentre tous les pouvoirs depuis l’été 2021, a ordonné au ministère des affaires étrangères de « convoquer dès que possible les ambassadeurs d’un certain nombre de pays étrangers » pour leur transmettre sa « vive protestation ». « Nous ne sommes pas intervenus dans leurs affaires quand ils ont arrêté des manifestants qui dénonçaient la guerre de génocide contre le peuple palestinien », a ajouté M. Saïed, dans une vidéo diffusée par la présidence.

Mondafrique s’était entretenu, voici un mois, avec cette opposante déterminée qui comparaitra prochainement, une deuxième fois, devant la justice tunisienne, pour avoir mis en cause la situation des détenus politiques dans les prisons.

                                                          Nicolas Beau 

Kaïs Saied, tel un étrangleur ottoman, place progressivement l’ensemble de ses opposants en prison

Des propos recueillis par la Rédaction de Mondafrique.

Mondafrique. Vous faites l’objet de poursuites pénales. Une première plainte a été déposée à votre encontre, par la ministre de la justice, Leila Jaffel, en vertu du décret 54, suivie d’une notification, adressée au président de l’Ordre régional des avocats de Tunis, Laroussi Zguir par le procureur général près de la Cour d’appel de Tunis.

Pourriez-vous mieux nous éclairer sur ces deux plaintes ?

Sonia Dahmani. Je fais l’objet de deux poursuites pénales sur la base du décret-loi 54 relatif à la lutte contre les infractions se rapportant au système d’information et de communication.

Abir Moussi, qui se positionne comme l’héritière du bourguibisme, représente une part non négligeable de la population tunisienne nostalgique du rêgne du défunt général Ben Ali de 1987 à 2011

J’encours dix années de prison pour avoir dénoncé les conditions de détention des détenus politiques tels que Issam Chebbi, Khayam Turki et Abir Moussi et encore dix années pour avoir critiqué l’actuel gouvernement et notamment la ministre de la Justice, Leila Jaffel, en ayant affirmé qu’on ne pouvait considérer le fait de mettre les gens en prison comme une réussite politique.

Le décret-loi présidentiel qui nous avait été présenté comme le texte qui allait protéger les Tunisiens de la diffamation sur les réseaux sociaux et que nous avions décrié lors de sa promulgation car portant atteinte à la liberté d’expression est aujourd’hui utilisé pour faire taire toutes les voix discordantes ou critiques. Tout le monde y passe, politiques, journalistes, artistes et citoyens lambda.

La ministre de la Justice, Leila Jaffel, aurait pu figurer dans les gouvernements répressifs qui ont sévi sous l’ancien diictateur, le général-président Ben Ali

Mondafrique. Les avocat.e.s sont désormais menacé.e.s dans l’exercice même de leurs fonctions.

On parle notamment de Me Abdelaziz Essid, qui a bénéficié d’un non-lieu, le 29 mars, suite à une plainte pour diffamation et outrage à agent public.

Et pour cause, l’avocat de l’« affaire de complot contre la sûreté intérieure de l’Etat », avait déposé des plaintes contre la ministre ainsi que le parquet du pole judiciaire de lutte contre le terrorisme pour falsification de documents.

Comment expliquez-vous cet acharnement de Leila Jaffel envers les avocat.e.s ?

Sonia Dahmani. En effet plusieurs avocats font l’objet de poursuites notamment les avocats des détenus politiques tels que Maître Abdelaziz Essid, Maître Dalila Ben Mbarek Msaddek, Maître Islam Hamza et Maître Samir Dilou.

Ces poursuites ne peuvent être le fruit du hasard car ces avocats ont une très grande visibilité médiatique et n’ont eu de cesse de dénoncer l’injustice faites aux détenus politiques dans ce que nous appelons communément en Tunisie « l’Affaire du complot » pour laquelle croupissent en prison depuis plus d’un an des figures politiques, des opposants au régime tels que Issam Chebbi, Ghazi Chaouachi, Jawher Ben Mbarek, Ridha Belhah, Khayam Turki et d’autres (voir l’article ci dessus).

Les droits de la défense sont aujourd’hui en grand danger puisque même les avocats sont en butte à des poursuites injustes et arbitraires simplement pour avoir dénoncé les injustices faites à leurs clients et avoir porté ces injustices devant l’opinion publique.

La mobilisation des avocats en faveur de la libération de Sonia Dahmani

 Mondafrique. Alors que dans l’affaire de l’assassinat politique de l’opposant Chokri Belaid en 2013, sept des accusés étaient maintenus en liberté jusqu’au premier verdict du 27 mars dernier, le journaliste Mohamed Boughalleb dont l’état de santé est critique, est lui maintenu en détention suite à un deuxième mandat de dépôt en vue du décret 54. Il menace d’entamer une grève de la faim sauvage.

Quelle crédibilité accorder à la justice tunisienne ?

Sonia Dahmani. Mohamed Boughalleb a été condamné à 6 mois de prison ferme pour avoir dénoncé ce qu’il supposait être une mauvaise gestion des deniers publics de la part du ministre des Affaires religieuses, ministre qu’il avait précédemment dénoncé pour utilisation d’une voiture de fonction à laquelle il n’avait pas droit.

Mohamed Boughalleb a été arrêté alors qu’il récupérait son fils de 9 ans à l’école. L’enfant a été conduit et enfermé seul au domicile de son père alors que ce dernier était conduit manu militari pour une garde à vue de 48 heures prorogée de 48 heures avant d’être écroué à la prison de Mornaguia.

Mohamed Boughalleb dont l’état de santé est plus que critique a été condamné à 6 mois de prison mais il fait également l’objet d’un deuxième mandat de dépôt sans même avoir été entendu par le juge d’instruction.

On ne peut plus rien espérer d’une justice totalement asservie par le pouvoir exécutif puisque dorénavant la nomination et la révocation des juges dépend exclusivement du président de la République.

La ministre de la Justice quant à elle déplace les juges selon son bon vouloir sans même les consulter.

La ministre tunisienne de la Justice

Mondafrique. Comment décrivez-vous le bilan de la ministre Leila Jaffel depuis la prise de ses fonctions en octobre 2021 ?

Sonia Dahmani. La ministre Leila Jaffel œuvre depuis sa nomination à la mise au pas des juges…57 magistrats ont été révoqués et n’ont pu réintégrer leurs fonctions malgré un jugement en leur faveur par le Tribunal administratif

Mondafrique. La liberté d’expression, un des seuls acquis de la révolution tunisienne de 2011, est menacée. Les médias publics exercent la censure même quand il s’agit d’une œuvre artistique.

La réalisateur Abdelahmid Bouchnak l’évoque lors de son passage dans le podcast « Rachma ». La chaîne nationale tunisienne qui possède le final cut aurait coupé des scènes de sa série « Ken Ya Makenech » par « peur de contrarier le président de la République ».

Qu’en est-il des médias privés ?

Sonia Dahmani. Les médias privés sont en général la propriété d’investisseurs privés. Plusieurs de ces hommes d’affaires font l’objet de poursuites pénales. L’un d’eux, patron de radio mosaïque, la radio privée qui bénéficie de la plus forte audience a été arrêté et fait encore l’objet de poursuites dans la fameuse « affaire du complot contre l’État ». Un autre propriétaire de la radio privée Diwan FM fait l’objet de plusieurs procédures notamment le gel de ses avoirs.

En outre, les médias privés doivent leur survie aux seules entrées publicitaires. De ce fait, ils se trouvent en grande difficulté financière et leurs patrons en butte à d’éventuelles poursuites judiciaires ce qui les amène à s’auto-censurer sous peine d’encourir les foudres du pouvoir. 

Le capitalisme autoritaire inefficace du président Xaïs Saied

Mondafrique. Vous êtes passionnée d’art et de culture, vous avez pris des cours de théâtre pendant dix ans auprès du metteur en scène Taoufik Jebali, connu pour ses célèbres pièces de théâtre « Klem Ellil », une satire politique des années 1990.

Selon vous, quel rôle l’art pourrait-il jouer dans la sensibilisation des citoyen.ne.s en Tunisie autour des enjeux politiques actuels, surtout chez les jeunes ?

Sonia Dahmani. L’art pourrait avoir un rôle prépondérant dans la sensibilisation des citoyens ce qui avait déjà été fait sous le régime de Ben Ali par des artistes tels que Taoufik Jebali notamment dans Klem Ellil, pièce de théâtre qui plus que jamais est d’actualité.

L’art reste sans aucun doute l’arme ultime pour rappeler encore et encore que nous avons vécu des années difficiles, que nous nous sommes battus pour faire prévaloir des droits fondamentaux tels que la liberté d’expression et que nous ne sommes guère disposes après tant de souffrances, après avoir vécu des attentats terroristes, des assassinats politiques à laisser se réinstaller la dictature.

Mondafrique. Les violences faites aux femmes dans l’espace privé mais aussi dans l’espace public ne cessent de s’accroitre. Les féministes tunisiennes tirent la sonnette d’alarme quant à la recrudescence des cas de féminicides.

Par quels moyens, d’après vous, pouvons-nous combattre ce fléau, dans une absence totale de l’Etat ?

Sonia Dahmani. On ne peut véritablement parler de lutte contre les violences faites aux femmes sans une volonté politique forte.

La Tunisie s’est dotée d’une loi contre les violences faites aux femmes, une loi extrêmement novatrice mais qui est restée pratiquement lettre morte car les moyens de mise en exécution de cette loi sont pratiquement inexistants. Seule la volonté politique pourrait changer la donne par la mise en place d’un système d’éducation et de formation des femmes quant à leurs droits par des campagnes d’information et une protection réelle.

Seules des actions à grande échelle pourrait diminuer les violences faites aux femmes aussi bien dans les espaces privés que publics dans une société machiste où les femmes sont victimes de violences diverses, physiques et morales.

Seul un discours fort et une tolérance zéro pourrait changer cet état de fait avec évidemment la collaboration d’une société civile certes dévouée mais avec des moyens limités.

Présidentielle Tunisie (3), Bernard Henri Lévy accusé dans un procès stalinien