Notre carnet de route (3/7), Heureux comme un juif à Djerba

Une petite communauté juive qui se sent d’abord tunisienne vit en paix et en harmonie avec la population arabe à Djerba. C’est un des derniers exemples de cette cohabitation tranquille entre juifs et arabes qui a existé en Tunisie, du moins avant que beaucoup de sépharades ne quittent le pays lors de l’Indépendance du pays, malgré la main tendue de Bourguiba, le fondateur de la Tunisie moderne. Dans les années qui suivirent, la Tunisie a toujours conservé cettre tradition hospitalière et fraternelle avec les communautés juives.

La troisième étape de notre carnet de route en Tunisie, signé Jean Hugues Lime

Pour accéder à l’ile de Djerba, le cout du bac s’élève à 30 centimes d’euro. Comment faire fonctionner cinq ferrys quotidiens avec des tarifs aussi bas?  J’ai refait intensément les calculs avant d’abandonner toute tentative de comprendre l’économie tunisienne. C’est en tout cas, au terme de mon périple, un des mystères de la Tunisie.

L’île de Djerba est parsemée de grosses villas cossues qui expriment toute la satisfaction du propriétaire et annoncent sa réussite flamboyante. Elles poussent ici ou là, un peu au hasard comme de gros dés blanc d’un jeu de hasard à la dimension de Djerba,. Autant de dés, autant de maisons. Sur les toits plats, un écheveau de piliers de béton, des promesses de murs non tenues, des commencements de construction, des idées de maison. Ici, une chevelure de fer à béton en guise de toiture. Chaque maison est un chantier en instance. Le niveau supérieur est la promesse d’un agrandissement de la famille.

Le père, qui est aussi le propriétaire, espère toujours que ses enfants viendront habiter au-dessus de chez lui. Autant d’étages que d’enfants, jusqu’à former une sorte de mille-feuille où il pourra loger tout son clan.

L’Histoire est omniprésente. Chaque touriste consomme 700 litres d’eau par jour dans une île en proie à l’intense sécheresse. Si bien qu’on envisage de remettre en route les vieilles citernes romaines de l’Antiquité dont certaines fonctionnent encore.

Ce n’est pas un hasard si je vais hériter d’une chambre qui fut, un soir, celle de Bourguiba. Son fantôme va-t-il revenir me hanter? La Tunisie est hantée par son passé

Soirée foot arrosée

Le café de l’hôtel est très prisé de la population car c’est un des rares endroits dans l’île où on peut y boire de l’alcool. Très vite le café est archi comble. Le serveur apporte à toutes les tables, un énorme seau à glace rempli de 5 ou 10 bières que les clients dégustent tout au long de la soirée. On dirait que le but est de boire le plus grand nombre de bières possibles.

Cela me rappelle les cafés enfumés de mon enfance avec son odeur âcre de tabac.

Les Tunisiens fument comme quatre.

Le café est rempli des mêmes hommes qui fument les mêmes cigarettes et boivent la même bière. À une table, cinq ou six copains boivent et mangent entre eux. Les femmes sont absentes. Cela me rappelle le service militaire : des types entre eux, vivants ensemble, tous pareils, tous du même âge, disant la même chose, formant un réseau social en quatre dimensions avant l’heure. Ils sont tous du même avis, du même genre, du même niveau, et s’efforcent de se ressembler encore plus sans doute pour ne pas se sentir exclus du groupe en un phénomène perpétuel d’identification à un modèle abstrait apaisant et protecteur.

Séjour de match de foot. Le Tunisien rentre de son travail vers 16h. Il reste à la maison de 16h à 18h. puis il file rejoindre ses copains au café. Là, il regarde ensemble le match de foot et devise sur l’avenir du monde, le destin et la nature humaine.

Dans le bar, ils grignotent du pop-corn, des frites minuscules et descendent 10 bières chacun. Les canettes vides s’accumulent dans un seau à glace comme les trophées de leur puissance à avaler des litres de bière.

J’ai surpris une dame, qui attendait sagement, à l’extérieur du café, le retour de son mari.

Le quartier juif de Hara Kebira

Après le match de foot nous retournons manger quelques brochettes dans le quartier juif de Hara Kebira, une petite commune au centre de l’ile constituée de quelques rues. Les juifs ne représentent plus en Tunisie que 0,1 pour cent de la population totale. Hare Kebira est une des dernières communautés juives  orthodoxes en pays arabe, une sorte de survivance. Les femmes portent une perruque, les hommes une kippa.

Sur les panneaux des commerçants, on lit des prénoms comme David ou Samuel mais les plats et les prix sont les mêmes. Le brick à l’œuf est à 60 centimes. Les jeunes filles en cheveux déambulent gaiement par trois dans la rue, tandis que les garçons, à cheval sur leur pétrolette, ne cessent de bourdonner autour d’elles afin de se faire remarquer.

Tout le monde parle l’arabe tunisien dans le quartier.

Hara Kbira (« grand quartier » en arabe) est un des quartiers juifs de Djerba

Nous parlons avec David, le marchand de brochettes. Tout de suite il nous explique en tant que Tunisien, qu’il se désolidarise de la politique d’Israël qui ne peut selon lui que répandre le poison de l’antisémitisme dans le monde. Et d’expliquer que les Juifs vivent en Tunisie depuis 2000 ans. Ils vivent en parfaite harmonie avec les musulmans. Il n’y a rien à voir ici avec ce qui se passe en Israël. Juif et musulman ont la même carte d’identité tunisienne. Il me montre sa carte d’identité.

Juif et musulman ont les mêmes droits. Chaque communauté vit selon ses désirs, ses préceptes, ses goûts. Ils sont cousins. Tous appartiennent à la même famille des Sémites depuis deux mille ans. Cette guerre de Gaza leur apparaît d’un autre âge. Les juifs vivent leurs traditions comme les vivaient sans doute leurs ancêtres depuis deux mille ans, en parfaite harmonie avec leurs cousins musulmans. L’antisémitisme n’y a pas cours puisque Juifs et Arabes ont la conscience aigue en Tunisie d’être tous deux sémites

La veille du Shabbat

Nous sommes la veille de Shabbat, la ruelle fort agitée. Les voisins vont et viennent, font leurs derniers achats presque en courant, leurs dernières emplettes en prévision du Shabbat. Tout le monde se parle, s’interpelle, s’appelle par son prénom. On se croirait presque dans une scène du Shtetl, du Violon sur le Toit transposé au Proche-Orient.

Le soleil va bientôt se coucher. Les commerces s’apprêtent à fermer jusqu’au dimanche. Mon chauffeur de taxi et moi sommes tout de suite repérés comme étrangers à la communauté.

On atterrit en désespoir de cause chez le dernier boulanger-pâtissier encore à peu près ouvert. Celui-ci nous reçoit comme deux chiens dans son jeu de quilles. Il nous regarde si fortement de travers malgré notre : shabbat shalom: rituel en entrant qu’on a l’impression d’être des pique-assiettes qui se sont invités à un mariage.

 il montre des signes d’empressement à se débarrasser de nous, comme si nous étions des intrus dans son petit monde tranquille et heureux. Qu’est-ce qu’on vient faire au juste puisqu’on est pas juif? A-t-on de mauvaises intentions ? Qui sommes- nous? Pourquoi venons-nous là justement, ce soir-là ?

Le boulanger nous toise de la tête aux pieds, nous “scanne”, demande d’un air excédé ce qu’on veut. Il est pressé de fermer. Pour se donner une contenance, on commande deux petites mille feuilles qu’il jette dans une boîte à gestes saccadés, prenant un ton de plus en plus excédé..

 Le prix d’un mille feuille est un dinar 50. On me l’a vendu 3 dinars 50. Trois fois le prix.Les Tunisiens de Djerba ont une capacité de résilience économique.

Comme les six autres ghriba dispersées à travers le Maghreb, elle se dresse isolée en rase campagne, à un kilomètre du village d’Erriadh (Hara Sghira), l’une des deux bourgades juives que compte l’ile et qui n’était habité jusqu’au xxe siècle que par des Cohanim, ce qui, selon les légendes locales, corrobore le fait que la Ghriba ait été fondée par des prêtres venus de Jérusalem.

Le touriste mal venu à la Ghriba

Nous approchons de la synagogue de la Ghriba. Le coin est désert, sinistre comme l’abord d’un cimetière. Impossible d’aller plus loin. Les abords de la synagogue sont transformés en bastion défendu par des gardes armés prêts à tirer à la moindre alerte. Quand nous descendons de la voiture, nous sommes tout de suite regarder comme des suspects. Le fameux pèlerinage qui attire des Juifs du monde entier a été annulé à la dernière minute. Le garde me demande si je suis juif avant de nous conseiller de nous éloigner aussitôt. Nous ne sommes pas les bienvenus.

L’année dernière, l’attentat perpétré à Djerba, à la synagogue de la Ghriba, a coûté la vie à quatre personnes dont un Français ainsi que des fidèles et des membres des forces de sécurité tunisiennes. Dans cette même synagogue en 2002, le pèlerinage annuel juif, un attentat-suicide avait fait 21 morts. La Tunisie a été traumatisée. Des kamikazes se font sauter avec leur charge de dynamite en pleine ville. Le pays a beaucoup souffert des attentats du Bardo, qui a ruiné le tourisme pour longtemps.

Les premières victimes de cet islam violent sont les musulmans confrontés au fanatisme, à l’hystérie, à la souffrance gratuite, à la cruauté aveugle. 

En France nous avons connu six guerres de religion bien sanglantes, de Marie de Médicis à Louis XIV. Avec étripage, égorgement, viol, destruction. Tout cela pour l’amour de Dieu. Il a fallu attendre le 19e siècle pour voir se réconcilier les différents courants religieux, extrémistes catholiques et protestants qui aujourd’hui font bonne figure.

 

Véritable musée à ciel ouvert, Djerbahood est un lieu authentique, investi par des artistes venus du monde entier. Le village d’Erriadh à Djerba (Tunisie) a accueilli successivement en 2014 et 2021, plus de 150 artistes d’une trentaine de nationalités différentes

Street-art au coeur de Djerba

Au coeur de l’Ile, le Village d’Erriadh possède le musée à ciel ouvert de Djerbahood, le seul exemple de street-art en Tunisie.

 

 

Notre carnet de route (2/6), Cap sur la Tunisie de l’intérieur!