Nigeria, les chiffres abyssaux des pertes de pétrole

Si le pays d’Afrique de l’Ouest est théoriquement riche en pétrole, dans la pratique, les vols sur oléoduc et un mauvais système d’exploitation font perdre des milliards d’euros à l’État, dans un pays à l’économie pourtant fragile.

« La naira », cette monnaie nationale qui tire son nom de la contraction du mot Nigéria, n’est convertible que pour une minorité qui a accès au système bancaire. C’est le pétrole, souvent volé ou détourné, qui est vendu au Bénin et dans toute l’Afrique de l’Ouest, qui permet à beaucouo au Nigeria  d’obtenir des liquidités, souvent en francs CFA convertible.

Une enquête d’Olivier Vallee

L’explosion le 23 septembre à Seme au sud du Bénin d’un dépôt de pétrole rappelle sur un mode dramatique le lien congénital de la devise du Nigeria avec l’or noir.  Au moins 34 personnes ont été tuées. Le ministre de l’Intérieur, Alassane Seidou, a imputé, non sans de bonnes rausons, la responsabilité de ce drame à la contrebande du carburant.

Les acheteurs qui vivent notamment au Bénin irriguent toute une partie de l’Afrique de l’ouest de ce carburant. Tout cela est illégal et dangereux mais perdure depuis des années avec la complicité des autorités. D’autant plus que depuis l’élection du président Tinubu, l’accès à la naira est de plus en plus difficile. En juin 2023 la Banque centrale du Nigéria (Central Bank of Nigeria (CBN)) a cessé de fixer le cours de change officiel de la naira face au dollar US, la principale devise utilisée par les Nigérians. C’est le marché qui détermine à présent le cours de change quotidien. En septembre 2023, le cours de change fixe est passé de 460 nairas pour un dollar à 790 et désormais 1000 sur le marché noir [1].

LAGOS, NIGERIA – h

Descente aux enfers

C’est le marché noir qui fixe le cours de change réel. Une bonne partie de ceux qui ont besoin de devises ne peuvent en obtenir auprès de leurs banques qui, elles, ne peuvent pas s’en procurer auprès de la Banque centrale (CBN). Adedeji Owonibi, fondateur du cabinet de conseil Convexity, basé à Abuja, confirme : « Dans la pratique, il existe toujours une grande disparité entre les taux officiels et non officiels.[2]»

Le régime des taux multiples est constitutif de l’histoire monétaire du Nigéria. La Présidence Tinubu est cependant critique. Habituellement le marché noir s’alimente auprès du Bénin, du Niger et du Cameroun en Franc CFA, monnaie qui permet en raison de sa convertibilité d’obtenir des dollars. Les Francs CFA proviennent des achats par le Bénin et le Niger de produits nigérians, du coca cola aux céréales, de l’essence[3] aux engrais. Les sanctions de la CEDEAO ont bloqué nombre de transactions. Pire,  l’arrivée de forces militaires et policières aux frontières du Bénin et du Niger a accentué les rackets sur les échanges.  

Grace à la raffinerie de Zinder, au Niger, le nord du Nigéria pouvait auparavant s’approvisionner régulièrement et sans débourser de dollars. L’embargo de la CEDEAO coute cher au Nigéria. Le pays et ses plus pauvres supportent l’addition d’un blocus qui résulte de l’exigence de Paris transmise à travers le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Dès que les produits pétroliers raffinés se font rares c’est une nouvelle menace sur la liquidité monétaire car ils vont absorber un peu plus de Nairas. Dans les stations d’essence on peut difficilement trouver du carburant à N400/litre contre un prix officiel de N185/litre. Le nouveau président Tinubu voit sa thérapie de choc de l’économie nigériane par la fin des subventions du pétrole lampant et d’autres biens de première nécessité accentuée par la surenchère des rétorsions contre le voisin nigérien. Buhari a sa part dans ce délabrement de la monnaie en ayant décrété un changement des billets en circulation avant la dernière campagne électorale, ce qui a asséché les disponibilités en liquidités de millions de Nigérians non-bancarisés.

Article précédentLe patron émirati de la COP 28 fortement contesté
Article suivantBurkina, un éminent défenseur des droits humains enlevé
Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)